procès sur l’Aide médicale à mourir

Une « diversion » sur la contagion suicidaire

« C’était de la diversion. »

Durant les 24 jours qu’ont duré les audiences, Nicole Gladu s’est souvent demandé si le procès auquel elle assistait était vraiment le sien.

Alors que des témoins experts appelés à la barre par le procureur général du Canada sont venus parler de la menace de « contagion suicidaire » qui planerait avec un hypothétique retrait du critère de « mort naturelle raisonnablement prévisible », Mme Gladu se disait que cela n’avait rien à voir avec sa cause.

« À quoi sert tout cela ? », s’est souvent demandé la femme de 73 ans, qui souffre du syndrome post-poliomyélite – une maladie dégénérative incurable –, depuis le début du procès, en janvier dernier.

Mme Gladu a eu l’impression que les représentants des gouvernements canadien et québécois (le procureur général du Québec fait aussi partie des défendeurs) faisaient « diversion » en faisant témoigner des médecins – et même un éthicien – sur des questions de suicide et de dépression.

Après tout, les médecins qui ont évalué Mme Gladu et son corequérant, Jean Truchon, ont conclu qu’ils n’étaient ni suicidaires ni dépressifs, a fait valoir leur avocat, Jean-Pierre Ménard. Et ces conclusions n’ont pas été contredites par les défendeurs, a-t-il ajouté.

La cause des deux Québécois lourdement handicapés entrait dans sa dernière ligne droite, hier, avec le début des plaidoiries au palais de justice de Montréal.

« Rien à voir avec le suicide »

Atteints tous deux de maladies dégénératives incurables, Mme Gladu et M. Truchon contestent la constitutionnalité des lois québécoise et fédérale sur l’aide médicale à mourir.

« Mme Gladu et M. Truchon ont senti qu’une grande partie [du procès] ne les concernait pas, a déploré leur avocat, Me Ménard. Plusieurs psychiatres sont venus témoigner de la contagion suicidaire. Mes clients se demandaient ce qu’ils faisaient là. »

« Leur démarche n’a rien à voir avec le suicide, a poursuivi leur avocat. Elle n’est pas impulsive. Elle est longue, réfléchie, coordonnée. En fait, l’aide médicale à mourir n’a rien à voir ni de près ni de loin avec le suicide. »

Leur demande a été refusée, car ils ne remplissaient pas le critère de « fin de vie » (loi québécoise) et de « mort raisonnablement prévisible » (loi fédérale), a rappelé Me Ménard.

De son côté, le procureur général du Canada défend sa loi en affirmant qu’éliminer le critère de « mort raisonnablement prévisible » équivaudrait à « promouvoir des stéréotypes nuisibles au sujet des gens malades, âgés ou handicapés », en plus de « compromettre les efforts de prévention du suicide » puisque cela enverrait le message aux gens vulnérables que « leur vie ne vaut pas la peine d’être vécue ».

Malgré une certaine vulnérabilité physique, Mme Gladu insiste sur le fait qu’elle n’est pas une personne vulnérable. « On vieillit comme on a vécu, a-t-elle lancé, hier, aux médias présents. J’ai toujours fait ce qu’on m’avait dit que je ne pouvais pas faire. »

Si Mme Gladu perd sa cause, elle ira mourir en Suisse, dit-elle, car elle a la chance d’en avoir les moyens. Toutefois, cette perspective l’effraie puisqu’elle devra alors « devancer sa mort » – ce qui enfreint son droit à la vie – pour être capable de s’y rendre avant que ses capacités physiques ne déclinent au point de l’empêcher de voyager.

Des mesures de protection « suffisantes »

La Cour suprême a invalidé l’article du Code criminel qui interdit l’aide au suicide – dans son volet aide médicale à mourir – il y a quatre ans. Ottawa a par la suite adopté une loi en ajoutant un critère plus restrictif que celui de la Cour suprême en parlant de « mort naturelle raisonnablement prévisible ».

« C’est la première fois, à notre connaissance, que le législateur adopte une loi après un arrêt de la Cour suprême en en rétrécissant les droits. »

— Me Jean-Pierre Ménard, avocat de Nicole Gladu et de Jean Truchon

Aux yeux de Me Ménard, les critères contenus dans les deux lois – en faisant fi de ceux de la fin de vie et de la mort raisonnablement prévisible – sont suffisants pour assurer la protection des gens vulnérables (les deux avis médicaux nécessaires, les 10 jours qui doivent s’écouler entre la demande et l’obtention de l’aide médicale à mourir, l’aptitude à consentir jusqu’au dernier moment).

En 2016, aux Pays-Bas – où le critère déterminant n’est pas la fin de vie, mais bien la souffrance –, seuls 7 % des patients qui ont reçu l’aide médicale à mourir avaient une espérance de vie dépassant les six mois, a souligné Me Jean-François Leroux, de l’équipe de Me Ménard.

« L’explosion du nombre de cas qu’on nous annonce en défense [si on abolit le critère de fin de vie] est une création de l’esprit », a renchéri Me Leroux.

Les plaidoiries s’étendront jusqu’au 28 février. La juge Christine Baudouin de la Cour supérieure prendra ensuite la cause en délibéré pour rendre un jugement dans les mois suivants.

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