OPINION POLITIQUE

L’énigme GND

Il sera intéressant à voir aller, et il marquera le Québec contemporain

Du temps de C’est pas trop tôt !, à la Première Chaîne, j’ai travaillé deux ans avec l’hyper talentueux Gabriel Nadeau -Dubois.

Il assurait le camp gauche de nos débats, la droite étant défendue par Lise Ravary. L’ex-figure de proue du mouvement étudiant était redoutable parce qu’archi-préparé, avec son carnet noirci de notes ordonnées et son dogmatisme affable. Il l’emportait souvent, implacable et imperturbable dans sa logique.

Si j’admire son cran et sa tête bien faite, son jusqu’au-boutisme heurtait souvent ma sensibilité politique.

Il fut le leader le plus vindicatif du printemps érable. Il est aujourd’hui pratiquement sacré (co)chef de Québec solidaire, le parti le plus radical à l’Assemblée nationale. Que veut-il, que peut-il, dans ce nouveau rôle ?

Il sera le représentant le plus symbolique d’une nouvelle génération en politique. Là où Martine Desjardins et Léo Bureau-Blouin se sont cassé les dents, et contrairement à un Paul St-Pierre Plamondon qui loge carrément dans l’antichambre du pouvoir traditionnel, il signe la fin officielle de la mainmise des baby-boomers sur la politique québécoise. Il incarne une nouvelle ère, il appelle un nouvel air.

En conférence de presse, il a jeté le blâme sur trois décennies de politique québécoise, trois décennies qui ont consolidé le fameux modèle québécois, celui dont s’inspire par ailleurs Bernie Sanders. Oui, il y a des trous, des manques, des ratages, des flops, même, dans notre système. Mais aussi ses réussites qui nous distinguent. Ce n’était pas très élégant de sa part, mais fort stratégique. Il a donné le ton, consacré la différence générationnelle. Sa tournée « Faut qu’on se parle » lui a permis d’aller chercher un programme, des appuis en région, et la caution d’être un gars qui écoute et travaille en gang. GND s’annonce être un stratège aussi habile que Jean-François Lisée…

GND se revendique donc de Bernie Sanders. Même s’il est le chouchou de plusieurs médias, il n’est pas assimilé à l’establishment, du fait de son passé de leader étudiant et de son jeune âge. Il attire des jeunes, des citoyens laissés en rade par la politique politicienne, des orphelins politiques, des tannés des discours des élites. C’est un populiste de gauche.

C’est aussi un idéologue. Il polarise. On l’aime ou on le déteste. Lourd de son passé de carré rouge, il antagonise.

Et comme il n’a jamais désavoué la violence de 2012 comme leader étudiant ou même après, cela lui sera reproché. Ses ennemis utiliseront cet argument contre lui avec insistance.

Il va considérablement changer la donne pour le PQ. Sa présence à QS aspirera une bonne part de ce qu’il y a de jeune et à gauche au PQ. Puisque les péquistes ont déjà remisé leurs aspirations référendaires aux calendes grecques, que leur reste-t-il pour espérer déloger le PLQ ? Se tourner légèrement à droite ? Séduire les électeurs de la CAQ, ou carrément la CAQ tout court ? On peut s’amuser à faire de la politique-fiction, mais disons que l’arrivée de GND pose un problème aigu à Lisée.

GND a aussi, en cette époque où les chefs populistes attirent et où l’image façonne la politique, un atout de taille. Il est charismatique. Il séduit, convainc.

Il permet déjà à QS de faire le plein de nouveaux membres. Ça faisait des années qu’on n’avait pas vu de chef charismatique au Québec. Depuis Lucien Bouchard, en fait. Et il a l’avenir devant lui.

Je reviens à ma question de départ.

Que veut-il ?

De la lumière, de l’attention, servir sa propre image, certes.

Influencer, aller dans le sens du changement social, assurément.

Foutre le trouble dans ce système qu’il décrie.

On sait surtout ce qu’il ne veut pas : prendre le pouvoir. Si c’était le cas, il aurait choisi un véhicule moins marginal que QS. Il sera intéressant à voir aller ; il marquera le Québec contemporain.

Mais pour l’instant, entendez-vous Philippe Couillard rire ?

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