Journée noire pour Facebook

Nouvelle journée noire, hier, pour Facebook, poursuivi en justice aux États-Unis pour l’affaire Cambridge Analytica et aux prises avec une nouvelle polémique autour de la gestion des données personnelles de ses utilisateurs. L’action a dévissé. 

Sous pression pour sa gestion des données

Déjà dans la tourmente depuis deux ans et sous le feu permanent des critiques et des enquêtes, Facebook a chuté lourdement en Bourse hier (- 7,3 %). 

Le procureur général de Washington a annoncé avoir lancé des poursuites contre le groupe pour avoir « mal protégé les données de ses utilisateurs », les rendant vulnérables à des « manipulations politiques » pendant la campagne présidentielle de 2016, selon un communiqué. Ces procédures s’inscrivent dans la foulée du scandale Cambridge Analytica, éventé en mars 2018. 

Selon le procureur, Facebook a été « laxiste » et a trompé ses utilisateurs sur le fait que leurs données pouvaient être utilisées par des tiers, enfreignant ainsi des lois en vigueur dans la capitale fédérale.

Dans un communiqué succinct, Facebook a dit « examiner la plainte et être prêt à continuer à dialoguer ».

Le réseau social, qui tire sa fortune de l’exploitation des données de ses utilisateurs qui permettent de cibler très précisément la publicité, est accusé d’avoir laissé les données personnelles de dizaines de millions d’usagers arriver – à leur insu – entre les mains de cette firme britannique d’analyse de données qui a travaillé pour Donald Trump lors de la campagne présidentielle de 2016.

Une nouvelle tuile

La journée avait déjà mal commencé pour l’entreprise de Mark Zuckerberg en raison de nouvelles accusations de gestion opaque et peu scrupuleuse des données personnelles de ses usagers, rapportées dans une enquête du New York Times (voir onglet suivant).

« Cela poursuit une autre année de mauvaise publicité et d’enjeux problématiques pour Facebook, ce qui augmente les chances que le gouvernement américain agisse pour pénaliser ou encadrer davantage Facebook, a indiqué l’analyste financier Scott Kessler, de CFRA Research. Mais les fondamentaux de l’entreprise sont encore bons et l’évaluation est attrayante. »

En juillet, Facebook avait vu son action s’effondrer de 20 % après la diffusion de ses résultats financiers. L’entreprise avait indiqué que ses marges de profit seraient sous pression pour quelques années, en raison des appels à mieux protéger les données. 

Fronde autour des droits civiques

Facebook a aussi fait face mardi à une fronde de plusieurs organisations américaines de défense des droits civiques, qui lui reprochent vertement de ne pas lutter efficacement contre les contenus abusifs et d’avoir cherché à les dénigrer par l’entremise de l’agence de communication Definers.

Dans une lettre datée de mardi et adressée à Mark Zuckerberg, plus d’une trentaine de groupes lui ont demandé de renoncer à la présidence du conseil d’administration, que la numéro deux Sheryl Sandberg quitte le C.A. ou encore de faire des excuses « à toutes les organisations visées par Definers Public Affairs ».

Parmi les signataires, on trouve la puissante association de lutte pour la défense des droits des Noirs (NAACP), qui a parallèlement lancé un appel au boycottage du réseau social via le mot-clic #logoutFacebook (« Déconnectez-vous de Facebook »).

Facebook a été violemment critiqué le mois dernier pour avoir fait appel aux services de Definers Public Affairs, une entreprise de relations publiques accusée d’avoir diffusé de fausses informations pour tenter de discréditer les divers groupes critiques de Facebook et d’avoir tenté de les lier au philanthrope milliardaire George Soros, bête noire des républicains et cible d’innombrables attaques antisémites.

De plus, des rapports commandés par le Sénat américain et dévoilés lundi affirment que la campagne de propagande menée par la Russie sur les réseaux sociaux avant la présidentielle américaine de 2016 a notamment consisté à tenter de dissuader les Noirs de voter.

Dans ce contexte, Sheryl Sandberg – directement mise en cause dans le scandale Definers – a pris la plume mardi pour affirmer que « Facebook est engagé dans un travail avec les organisations américaines de défense des droits civiques pour renforcer et faire progresser les droits civiques » sur la plateforme.

Pour autant, « nous savons que nous devons faire mieux », a-t-elle ajouté dans un acte de contrition devenu habituel chez Facebook, et affirme prendre « extrêmement au sérieux » les révélations des rapports commandés par le Sénat.

Un buffet de données, selon le Times

Même si elle avait assuré la Federal Trade Commission (FTC) américaine, dans une entente survenue en 2011, qu’elle ne partagerait plus les données de ses utilisateurs sans leur permission, Facebook a laissé jusqu’à 150 entreprises « partenaires » se servir au buffet, a dévoilé hier le New York Times. Explications.

Qu’a fait Facebook, cette fois ?

Environ 150 entreprises, pour la plupart très connues comme Amazon, Spotify, Microsoft ou Netflix, ont signé avec Facebook des ententes commerciales leur permettant d’accéder non pas à l’ensemble des données du réseau social, mais à certaines portions, qui devaient servir à améliorer leurs propres services. Facebook pouvait aussi, de son côté, en profiter pour amasser des données additionnelles à ajouter à ses bases de données.

Des exemples ?

Les rares utilisateurs du système d’exploitation d’un téléphone mobile BlackBerry utilisant son propre système d’exploitation (plutôt qu’Android) connaissent la fonction BlackBerry Hub, qui peut regrouper en un seul endroit toute l’information provenant de Facebook, Twitter, LinkedIn, de leurs courriels, etc. BlackBerry devait avoir accès à des données de Facebook pour offrir cette fonction.

La Banque Royale du Canada a lancé en 2013 une fonction permettant d’envoyer de l’argent par Facebook Messenger. Selon le Times, la banque canadienne a ainsi obtenu l’autorisation de lire, écrire et supprimer des messages de ses utilisateurs, ce que la Banque nie formellement.

La Royale affirme avoir reçu l’autorisation d’envoyer des messages aux utilisateurs de Facebook de 2013 à 2015, lorsqu’elle proposait un service d’application mobile permettant aux clients d’envoyer de l’argent à leurs amis par l’entremise du réseau social. La banque dit ne pas avoir eu la possibilité de consulter les messages des utilisateurs.

La banque a expliqué qu’elle devait pouvoir envoyer les messages pour confirmer l’identité de l’utilisateur de Facebook recevant l’argent et lui envoyer un accusé de réception pour la transaction. La banque a nié avoir eu accès aux messages privés ou avoir eu besoin d’accéder à ces messages. Le service, qui utilisait l’application mobile de la banque, a été mis hors service en 2015 en raison de sa faible utilisation.

De son côté, le moteur de recherche Bing, de Microsoft, aurait carrément eu accès aux noms des amis de chaque utilisateur Facebook.

Certaines organisations médiatiques, dont le New York Times lui-même, font partie des entreprises qui bénéficiaient de telles ententes.

D’autres entreprises partenaires, notamment la chinoise Huawei et la russe Yandex, compliquent politiquement le dossier pour Facebook en raison de leurs liens allégués avec leur gouvernement respectif.

Dans certains cas, les entreprises auraient continué d’avoir accès à ces données même après que le service pour lequel elles étaient « nécessaires » eut été supprimé. Certaines ententes sont toujours en vigueur.

Et ce n’était pas permis ?

Le débat à ce sujet risque de monopoliser l’attention de très dispendieux avocats pendant longtemps, mais la pratique semble entrer en contradiction avec une entente conclue en 2011 avec la FTC.

Cette entente servait en quelque sorte de règlement à l’amiable à une enquête déclenchée par l’organisme après que l’entreprise eut subitement, en 2009, rendu publiques des données que ses utilisateurs avaient désignées comme étant « privées », sans approbation.

Une clause de cette entente, se défend Facebook, lui permettait de continuer de partager des informations avec des « fournisseurs de service » et que c’est ainsi qu’elle considère ces partenaires. Le contrat entre Facebook et ces entreprises, fait valoir la première, oblige les secondes à respecter ses conditions.

Ce n’est pas si clair, clament d’anciens de la FTC dans l’article du Times. Selon eux, cette clause ne devait permettre à Facebook que de réaliser des transactions courantes pour toutes les entreprises, des paiements par carte de crédit par exemple.

L’entente avec la FTC imposait aussi à Facebook la création d’une équipe chargée d’analyser les nouveaux produits et services pour s’assurer qu’ils respectent les principes de vie privée. Or, rapporte le Times, cette équipe n’a jamais été très populaire chez Facebook et son niveau de surveillance variait passablement d’une entente à l’autre.

Comment Facebook se défend-elle ?

Facebook affirme ne pas avoir enfreint l’accord signé avec la FTC. Dans un message publié sur son site, l’entreprise explique principalement que les utilisateurs dont les données ont été partagées avec d’autres entreprises y ont consenti au moment où ils ont inscrit leur mot de passe Facebook dans les applications de ces entreprises.

Facebook admet que des entreprises ont continué d’avoir accès à certaines données même quand ce n’était plus « nécessaire » et assure qu’elle revoit actuellement tous les accès à ses bases de données.

« Nous avons mis fin à presque tous ces partenariats au cours des derniers mois, sauf pour Amazon et Apple », a aussi indiqué le réseau social.

— Avec La Presse canadienne et l’Agence France-Presse

Une machine à générer des profits, mais...

Malgré les scandales, Facebook continue de générer des profits par milliards de dollars – environ 1,7 milliard US par mois. Sauf que tout ne va pas pour le mieux pour l’entreprise de Mark Zuckerberg, qui a perdu 40 % de sa valeur boursière depuis juillet dernier.

Toujours très rentable

Malgré le scandale Cambridge Analytica et les nombreux autres enjeux de protection de la vie privée chez Facebook, l’entreprise a amélioré sa rentabilité en 2018 : ses profits nets sont passés de 11,7 milliards pour les neuf premiers mois de 2017 à 15,2 milliards pour la même période en 2018. 

Moins populaire en Europe

Depuis avril dernier, une tendance quelque peu inquiétante semble toutefois se dessiner : Facebook voit sa popularité décliner légèrement en Europe et stagner aux États-Unis et au Canada. En Europe, le nombre d’utilisateurs actifs chaque jour est passé de 282 millions à 278 millions entre mars et septembre 2018. Aux États-Unis et au Canada, le nombre d’utilisateurs actifs quotidiennement est resté stable à 185 millions. Pourquoi est-ce particulièrement inquiétant ? Parce que l’Europe, les États-Unis et le Canada représentent actuellement 73 % des revenus de Facebook. Une nouvelle loi plus sévère pour la protection de la vie privée est entrée en vigueur en Europe cette année, ce qui pourrait expliquer en partie le déclin du nombre d’utilisateurs sur ce continent.

Le titre perd 7,25 %

Pourquoi les marchés ont-ils autant réagi hier – une baisse de 7,25 % du titre – à l’annonce des poursuites de Washington ? Parce que les États-Unis et le Canada sont le marché le plus lucratif de Facebook, et de loin. Un utilisateur de Facebook au Canada ou aux États-Unis génère en moyenne 27,11 $ par trimestre (trois mois), comparativement à 8,69 $ pour un utilisateur en Europe, 2,66 $ pour un utilisateur en Asie et 1,81 $ pour un utilisateur dans le reste du monde. Les investisseurs de Facebook suivent donc avec intérêt la perspective d’une réglementation plus sévère aux États-Unis en matière de vie privée.

Un record peu enviable

Le 25 juillet dernier, Facebook a inscrit un record peu enviable en Bourse : celui de la plus grande perte de valeur en une journée pour un titre. Le réseau social a perdu 119 milliards en valorisation boursière ce jour-là, alors que l’entreprise annonçait des résultats financiers trimestriels inférieurs aux attentes des analystes.

Des analystes plus prudents

Avant la plongée en Bourse du 25 juillet, 40 des 43 analystes financiers répertoriés par Thomson Reuters qui suivaient Facebook recommandaient d’acheter le titre. Ils sont un peu plus hésitants aujourd’hui : 40 des 51 analystes recommandent d’acheter le titre de Facebook, 9 recommandent de le conserver et 2, de le vendre. « C’est probablement le meilleur ratio risque/rendement dans les grandes entreprises internet. Même sous pression, la croissance est impressionnante », écrivait en octobre dernier l’analyste financier Mark Mahaney, de RBC Marché des capitaux. Après les pertes d’hier, Facebook valait 383 milliards US en Bourse.

— Avec Reuters, CNBC et Bloomberg

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