Documentaire Grande Fille !

Le point sur la puberté hâtive

Des poils pubiens à 8 ans ? Des seins à 9 ans ? La puberté des jeunes filles survient plus hâtivement aujourd’hui qu’il y a quelques décennies, révèlent les recherches. Dans un documentaire qui se veut éducatif (sur RDI jeudi), la cinéaste Hélène Choquette aborde ce phénomène troublant qui pourrait bientôt devenir une préoccupation de santé publique mondiale. Entrevue avec la cinéaste.

Est-ce que le phénomène de la puberté hâtive est alarmant ?

Il faut d’abord distinguer la puberté précoce, qui est une maladie, de la puberté hâtive, qui est un phénomène. Je ne crois pas que la situation soit alarmante, mais je pense qu’il est important de cesser de fermer les yeux devant cette réalité. Des gens hésitent à en parler. Souvent, les filles qui vivent une puberté hâtive sont isolées par leurs pairs, et aussi dans le milieu scolaire. Beaucoup de filles me disent qu’elles auraient aimé avoir du soutien de leur professeur au primaire. Le but de ce film est de rallier les parents, les filles et les garçons pour lancer une discussion. Parce que le mot puberté n’évoque rien de bon pour les jeunes, je voulais que ce soit un film qui soit beau, agréable à regarder.

De quelle façon se manifeste cette puberté hâtive ?

On ne sait jamais comment elle se manifeste. Des filles ont leurs règles plus tôt, d’autres ont des seins ou des poils pubiens avant leurs amies. Elles vont avoir des montées hormonales, donc un éveil sexuel hâtif. En fait, le développement pubertaire survient jusqu’à six mois plus tôt aujourd’hui. Ça semble peu, mais six mois dans une puberté qui dure habituellement quatre ans, c’est beaucoup dans la vie d’une jeune fille. Ça peut représenter une année scolaire plutôt désagréable si personne ne lui en parle, si elle n’a pas de soutien parental.

Quels en sont les effets sur la santé physique ?

Selon ce qui se dégage d’études longitudinales, la puberté hâtive est associée à des risques accrus pour la santé. On étudie les facteurs de risques accrus notamment pour le cancer du sein, le diabète de type 2 et les maladies cardiaques.

Les conséquences sur l’identité peuvent être tout aussi dramatiques. Des femmes que vous avez interviewées ont été fortement marquées (agressions sexuelles, vie sexuelle dysfonctionnelle, etc.).

C’était important pour moi de montrer que ça ne se passait pas mal pour toutes les filles. Certaines d’entre elles passent au travers assez bien. D’autres, moins. Par exemple, une a été agressée dans sa jeunesse parce qu’elle est tombée tout de suite dans la sexualité. Quand on est en transformation et, en plus, quand on est différente de toutes les autres, la confiance en soi est difficile. On ne peut même pas s’identifier à nos pairs. Ce sont des filles fragilisées, elles restent marquées.

Sait-on ce qui occasionne ce bouleversement hormonal ?

Mon film pose beaucoup de questions, il montre les pistes qui sont examinées. La puberté hâtive est multifactorielle : on sait que les perturbateurs endocriniens présents dans plusieurs produits de consommation (dont les savons, fragrances, etc.) sont suspects. Mais la recherche américaine est en train de démontrer que l’obésité joue également un rôle dans le déclenchement de la puberté. Les cellules de l’obésité envoient des signaux prématurés de développement pubertaire. On ne vit pas dans des milieux contrôlés et plusieurs facteurs peuvent provoquer la puberté hâtive.

A-t-on des pistes pour agir et contrer cette situation ?

On peut dès aujourd’hui agir sur certains facteurs, bien évidemment. Dans notre quotidien, il faut faire très attention à tous les savons qu’on utilise, les produits de beauté de petite fille. Il faut user de prudence.

En attendant, doit-on adapter l’éducation sexuelle ?

Oui. Je comprends le défi auquel sont confrontées les écoles, c’est-à-dire parler de sexualité dans un milieu multiethnique, multiconfessionnel où l’on n’aborde pas la sexualité de la même façon. C’est un sujet qui est très intime, très personnel à chaque famille, chaque culture. C’est pour ça qu’on a fait ce film : peu importe comment tu parles de sexualité dans ta vie, on peut regarder le film ensemble et en discuter dans le respect de nos valeurs.

Qu’est-ce qui vous a motivée à faire ce film ?

C’est une idée de Monique Simard. Ça faisait plusieurs années qu’elle voulait faire un film sur le sujet. Au fil de mes recherches, j’ai réalisé que nos filles grandissaient plus vite ; ce n’était pas qu’une impression, c’était vrai. Quand on a pris contact avec moi pour faire ce documentaire, j’ai tout de suite pensé à ma cousine. À 12 ans, elle avait l’air de 18 ans. Je me souviens que, dans la famille, on se posait des questions sur sa maturité, on ne savait pas comment lui parler en raison de son apparence physique. Ma cousine offre un beau témoignage dans le film. À 19 ans, elle demeure fragile.

Note : Grande fille ! sera diffusé à la télévision le 9 octobre à 20 h, à l’émission Les grands reportages à RDI, puis offert en DVD, en version téléchargeable et pour visionnage en continu dès le 17 octobre dans la cyberboutique ONF.

Hélène Choquette réalise des documentaires à caractère social et politique. Elle a coréalisé en 2003 la série documentaire Marché Jean-Talon (Meilleure série documentaire et Prix du multiculturalisme, Gémeaux 2004). En 2006, elle a remporté le Prix du meilleur long métrage canadien au festival Planet in Focus (Toronto) pour son documentaire Les réfugiés de la planète bleue sur la thématique des réfugiés environnementaux à l’échelle de la planète. Son dernier film en lice, Les poings de la fierté, s’immisce dans le quotidien de jeunes réfugiés birmans qui gagnent leur vie dans le ring.

Source : Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec

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