Opinion

Éviter de mourir en se croisant les doigts

Sans relâche durant la dernière semaine, bravant la chaleur extrême, des milliers de citoyennes et citoyens, de professionnels municipaux et du réseau de la santé ont arpenté nos rues et cogné aux portes des plus vulnérables, mis en place des mesures de prévention, soigné jour et nuit et été de garde en mesures d’urgence et en santé publique.

Le premier ministre du Québec, cité dans un article de La Presse Canadienne du 9 juillet, a dit : « Croisons nos doigts, parce que les personnes vulnérables sont les premières touchées lorsqu’arrive la canicule ». En effet, parmi ces personnes vulnérables, on reconnaît nos amis et collègues souffrant de maladies chroniques ; nos proches devenus moins proches, plus isolés que ce qu’ils auraient souhaité ; ceux qui peinent à se déplacer à cause d’incapacités ou faute de moyen, ceux qui souffrent de problèmes de santé mentale, et tous ceux qui n’ont pas la possibilité de vivre hors d’un îlot de chaleur, dans un logement aéré, abordable et salubre.

Seulement, se croiser les doigts ne prévient pas la mort. Avant, durant, et après la canicule, il faut justement s’activer énergiquement… à prévenir. Permettre à un véritable réseau de la santé d’avoir des succès spectaculaires et pourtant atteignables : épargner à des milliers et des milliers d’entre nous des maladies, des traumatismes et des morts entièrement évitables.

Étonnamment, certains doigts n’étaient pas du tout croisés lorsqu’est venu le temps de couper massivement en prévention au Québec. Selon une étude à laquelle j’ai contribué, parmi les programmes du réseau de la santé, seule la santé publique a été ciblée par des coupes majeures en 2015 (voir Fiset-Laniel et al. 2017, Public health investments in Quebec, trends over the past 10 years, Conférence de l’Association Canadienne de Santé Publique). Ces coupes de 27 millions imposées aux Directions de santé publique du Québec ne faisaient pas partie d’un courant de rigueur budgétaire généralisé en santé : aucun autre service dans le réseau de la santé n’a subi des coupes d’une telle ampleur en 2015. En effet, selon les données publiques du ministère de la Santé et des Services sociaux que nous avons analysées, seuls 3 des 9 « programmes-services » de santé du gouvernement ont été coupés en 2015 : coupes de 7 % envers le programme santé publique dans son ensemble et coupes de 1 % envers le programme déficience physique et envers le programme dépendances.

Tous les autres « programmes-services » du réseau de la santé ont été épargnés et certains ont même bénéficié d’investissements en 2015.

Pourtant, un consensus international se dégage. La prévention est essentielle à l’amélioration de la santé et de la qualité de vie, en plus d’être indispensable à la viabilité du système de santé (Fortin et Godbout 2007 ; Conference Board 2014 ; Hancock 2017). Les gouvernements ont tout avantage à protéger les budgets en prévention (Organisation mondiale de la santé 2014). De multiples interventions en prévention sont coût-efficaces (OCDE 2017).

Ne serait-il pas important que le Vérificateur général du Québec se penche sur les raisons ayant motivé des coupes en prévention d’une telle ampleur et examine leurs conséquences sur la santé des Québécois ? En Ontario et en Colombie-Britannique, les investissements de santé publique font l’objet de suivis étroits de la part de vérificateurs généraux.

D’autres mains viendront cogner à nos portes cet automne. Cette fois-ci pour nous faire part de leurs idéaux, prêter l’oreille à ce qui nous importe, et espérer notre appui à leur campagne électorale. Ouvrez-leur la porte. S’il vous plaît rappelez-leur que couper de façon massive en prévention comme l’a fait le gouvernement du Québec en 2015 va à l’encontre de toute donnée probante. Ne nous croisons ni les doigts ni les bras et expliquons à nouveau à nos futurs élus ce que des milliers de citoyens consultés par le Commissaire à la santé et au bien-être ont déjà dit clairement en 2016 : il faut rehausser en priorité la place accordée à la prévention. Puisque nos vies en dépendent.

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