Chronique

Les Expos 2.0 en hibernation

En mars dernier, l’enthousiasme était vif à propos de la renaissance des Expos. Le maire Denis Coderre portait l’idée avec vigueur, Stephen Bronfman déclarait avoir confiance de pouvoir réunir un milliard et demi pour acquérir une équipe et plus de 90 000 personnes étaient attendues au Stade olympique pour les deux matchs préparatoires des Blue Jays de Toronto.

Un an plus tard, ce rêve fou du retour du baseball majeur à Montréal semble stoppé par un coup de frein. Le dossier n’est pas une priorité de la nouvelle administration municipale et la défaite de Denis Coderre aux élections de novembre dernier prive le projet de son principal porteur de ballon.

La visite annuelle des Blue Jays, lundi et mardi prochains, suscite aussi moins d’engouement que par le passé. Deux raisons l’expliquent. D’abord, la présentation de matchs préparatoires est un concept déjà usé. Voilà pourquoi Denis Coderre souhaitait attirer au Stade des affrontements du calendrier régulier.

Ensuite, un changement dans la convention collective du baseball majeur devance l’ouverture de la saison afin d’offrir aux joueurs des jours additionnels de congé durant l’été. Les Blue Jays seront donc à Montréal en début de semaine plutôt que les vendredi et samedi. Les jeunes familles et les amateurs de l’extérieur de la région n’assisteront pas aussi nombreux au rendez-vous.

Résultat, le message lancé au commissaire du baseball sur l’intérêt des Québécois à retrouver les Z’Amours sera moins percutant. Sur le plan de l’image, ce sera le premier recul depuis 2014, lorsque le succès inattendu de la visite des Blue Jays au Stade olympique a résonné aux quatre coins de l’Amérique sportive.

Ajoutons à cela qu’il n’existe aucun lien entre le commissaire Rob Manfred et la mairesse Valérie Plante, celle-ci n’ayant pas pris contact avec lui depuis son élection. Elle n’a pas davantage rencontré les investisseurs montréalais intéressés par le retour des Expos, me confirme son porte-parole. Un seul entretien a eu lieu entre la Ville et des représentants des investisseurs, mais à un niveau hiérarchique moins élevé des deux côtés.

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Alors, le projet de retour des Expos est-il en voie de s’éteindre à petit feu ? Pas du tout, même s’il faut bien reconnaître qu’il est actuellement en hibernation. Et qu’il faut creuser un peu pour trouver des signes positifs.

Le plus important d’entre eux est que le groupe d’investisseurs, avec Stephen Bronfman à sa tête, n’a pas rangé les armes.

De plus, un entretien entre les principaux promoteurs du projet et Valérie Plante est prévu « dans quelques semaines » même si aucune date n’est encore fixée, m’explique le cabinet de la mairesse.

Enfin, les modifications apportées au projet du futur train électrique qui sillonnera la région ne nuisent pas à la construction d’un nouveau stade de baseball, contrairement à certaines appréhensions. Au contraire, le tracé est en parfaite harmonie avec le projet imaginé.

Cela dit, rien n’annonce un développement important dans ce dossier avant longtemps. Et l’état du projet à Montréal n’a rien à voir avec cette situation. Le baseball majeur doit d’abord mettre de l’ordre dans ses affaires.

Malgré le passage des mois, les Rays de Tampa Bay et les Athletics d’Oakland n’ont toujours pas résolu l’épineuse question de leur nouveau stade. Et Rob Manfred a déjà expliqué que le baseball majeur n’envisagerait pas d’expansion avant le règlement de ces deux dossiers.

À Tampa, un lieu a été ciblé pour accueillir la nouvelle demeure des Rays. Mais l’enjeu du financement (on évoque un projet d’au moins 600 millions US) demeure entier. Conclure un accord acceptable pour toutes les parties sera une tâche complexe. Selon les médias locaux, les Rays proposent pour l’instant de débourser une part de 150 millions US des coûts de construction.

À Oakland, le projet de nouveau stade a connu un recul majeur en décembre dernier, lorsque le plan imaginé par les dirigeants des Athletics est tombé à l’eau. Ils examinent présentement d’autres options.

Bien sûr, pour Montréal, le scénario idéal serait que le propriétaire des Rays déménage son équipe au Québec en demeurant actionnaire majoritaire et en offrant aux investisseurs québécois une participation dans l’équipe. Cette opération serait nettement moins coûteuse que l’acquisition d’un éventuel club de l’expansion. Mais tout cela tient surtout du rêve.

Le baseball majeur est aussi aux prises avec un autre problème : la détérioration de sa relation avec l’Association des joueurs. Le marché de l’autonomie a tourné au ralenti durant l’hiver. Les offres aux meilleurs joueurs disponibles ont été rares et moins généreuses que dans le passé, une situation dénoncée par plusieurs agents.

Ce n’est pas tout : l’Association des joueurs a aussi déposé un grief contre les Marlins de Miami, les Rays, les Athletics et les Pirates de Pittsburgh, leur reprochant de ne pas utiliser les sommes obtenues du partage des revenus pour renforcer leur formation. Bref, pour la première fois depuis très longtemps, les relations patronales-syndicales semblent engagées dans une mauvaise direction. Cela ne favorise certainement pas la possibilité d’une expansion.

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Après Régis Labeaume, qui s’est fait le champion du retour des Nordiques à Québec, et Denis Coderre, qui a agi de la même façon en travaillant à celui des Expos, les priorités de Valérie Plante entraînent un réalignement des choses.

Pour la première fois depuis longtemps, la mairie d’une des deux plus importantes villes du Québec ne met pas tout son poids politique derrière le retour d’une équipe professionnelle.

Les investisseurs intéressés par le retour des Expos le comprennent très bien. Cette nouvelle donne n’anéantit pas leurs espoirs. Mais elle complique leurs ambitions. Car les ligues professionnelles ne s’établissent plus dans des villes où elles ne sentent pas un appui entier de toutes les parties prenantes.

Remarquez que parfois, elles font aussi un pied de nez à celles où le projet remporte une forte adhésion. Les gens de Québec peuvent malheureusement en témoigner.

Aujourd’hui, dans la capitale comme dans la métropole, les amateurs qui souhaitent l’arrivée des Nordiques et des Expos dans leur version 2.0 doivent s’armer de beaucoup de patience.

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