Éditorial Alexandre Sirois

C’est aussi notre identité qu’on démantèle

Est-ce que le gouvernement du Québec en fait assez pour protéger son patrimoine culturel ? Dans la foulée de la destruction de la maison Boileau à Chambly et des nombreux autres cas d’immeubles patrimoniaux démolis, endommagés ou menacés ces dernières semaines, la réponse est évidente.

Le diagnostic va toutefois au-delà de ces récents gâchis. Il a été posé il y a deux ans par Claude Corbo et Michelle Courchesne, dans un rapport aussi éloquent que convaincant.

Un rapport qui aurait dû, d’ailleurs, provoquer davantage de réactions de la part des élus à Québec.

Preuves à l’appui, les auteurs déplorent (peut-être même trop poliment) la « relative modestie » des ressources que le gouvernement du Québec consacre au patrimoine culturel par rapport aux besoins. Alors qu’ils sont visiblement criants, ces besoins.

La modestie est par exemple de mise à Québec en matière de ressources humaines. Prenons la Direction générale du patrimoine, que notre gouvernement qualifie de « pivot » du ministère de la Culture dans ce domaine : on y retrouvait 162 employés en 1976-1977, un sommet. Aujourd’hui, elle compte… 27 employés.

Et le problème n’est pas que quantitatif. Il est aussi qualitatif. Car des experts déplorent qu’il n’y a plus personne, parmi les fonctionnaires à Québec, qui assure un suivi sur le terrain en matière de patrimoine. Plus personne, non plus, qui fait de la recherche.

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Le rapport souligne également la modestie des ressources financières du gouvernement provincial. En général, on fait même pire qu’hier. Les auteurs font remarquer que les sommes allouées au patrimoine en 1995 par le ministère de la Culture étaient de quelque 47 millions de dollars. Et ils soulignent que Québec n’a que rarement, depuis, investi davantage sur une base annuelle. Cela ne s’est produit qu’à trois reprises en 21 ans.

Sans compter qu’il y a eu des périodes, dans les années 60, 70 et 80, « pendant lesquelles le gouvernement québécois a consenti des sommes très considérables à la protection, à la préservation et à la mise en valeur de grands ensembles de patrimoine immobilier ». Le Vieux-Montréal et la place Royale à Québec, par exemple.

On peut présumer sans crainte de se tromper qu’investir davantage de ressources humaines et financières permettrait au Ministère d’« agir » plutôt que de devoir toujours « réagir ».

Ces deux mots ont d’ailleurs été utilisés récemment par la nouvelle ministre de la Culture, Nathalie Roy, qui semble avoir été elle-même surprise et choquée par la destruction de la maison Boileau. Elle a d’ailleurs aussi été interpellée, récemment, au sujet des travaux effectués au moulin du Petit-Sault à L’Isle-Verte et tente d’empêcher la démolition du Château Beauce à Sainte-Marie. Elle n’a pas pu non plus ignorer les autres cas médiatisés, comme la destruction de la maison Vézina à Saint-Denis-sur-Richelieu ou l’état précaire de la maison Charbonneau à Laval, dont faisait état Le Devoir en rappelant qu’elle est pourtant protégée par Québec.

Nathalie Roy est donc forcée de constater dès le début de son mandat que sa maison est en feu en matière de patrimoine.

Heureusement, elle dit avoir l’intention de prendre les choses en main.

Sur Facebook, il y a quelques jours, la ministre a parlé de « l’urgence d’agir pour protéger notre patrimoine bâti ». Elle a justement dit vouloir analyser le rapport Corbo-Courchesne et discuter avec ses auteurs.

Il faudra voir si les bottines suivent les babines et si l’« audace » sur laquelle insiste François Legault se traduit aussi en gestes pour mettre en valeur notre patrimoine culturel.

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L’une des grandes forces du rapport Corbo-Courchesne est de nous faire prendre conscience non seulement de la vulnérabilité de notre patrimoine culturel, mais également du fait qu’il revêt une importance toute particulière pour le Québec. Entre autres parce qu’il « s’associe à la langue française dans la construction de l’identité nationale ».

À méditer : ces maisons qu’on démolit, c’est aussi notre identité qu’on démantèle. Si la défense de cette identité demeure fondamentale pour la CAQ, la sauvegarde de notre patrimoine est un enjeu prioritaire qui s’impose d’emblée.

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