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Le garagiste qui voulait être musicien

Jeudi matin, 10 h 30. Il neige. C’est la saison des « changements de pneus » et des urgences mécaniques. On sent une certaine fébrilité au garage de Patrice Bédard.

« Chaque hiver, surtout les jours de mauvais temps, c’est comme ça, résume-t-il. Tout le monde prend rendez-vous en même temps ! Tout le monde arrive au garage avec un problème urgent à régler ! »

Il vient tout juste de remplacer les pneus d’un client lorsqu’une femme, qui vient d’arriver, lui demande s’il peut remplacer ses essuie-glaces. Il enfile aussitôt son manteau et s’exécute. Les clients n’attendent pas.

« Je n’ai pas encore eu le temps de prendre mon deuxième café ! », dit-il, avant de reprendre le travail.

Il sourit. Il ne se plaint pas de ses « conditions de travail ». C’est lui, le patron, après tout.

Son garage à « trois portes », c’est sa deuxième maison. Ses clients, sa deuxième famille.

Placoter...

« On vient ici pour faire réparer son véhicule, mais aussi pour placoter, prendre un café, souligne le garagiste âgé de 48 ans. Je l’ai toujours voulu ainsi. C’est agréable. »

Ça fait plus de 20 ans que le mécanicien autodidacte répare des véhicules et qu’il voit revenir les mêmes clients, et parfois même, ce sont les enfants de ses « premiers clients » qui lui confient leur bagnole mal en point.

« J’ai le sentiment de rendre service, dit-il. Je me sens utile. Je veux que les gens aient confiance. Ma récompense, c’est lorsque je me fais dire que je fais du bon travail. Quand un client me dit : "Merci beaucoup, Patrice !", c’est ma paie. Je donne et je reçois. C’est ma philosophie. »

Il lui arrive d’en faire « un peu plus », de son propre aveu. « Je vais parfois chercher le véhicule d’un client et je le ramène dans l’entrée de la maison après l’avoir lavé, dit-il. Chaque fois, ça produit la même réaction. À tout coup, le client n’en revient pas ! Ça crée de belles relations. »

Le service à la clientèle, il tient ça de son père Benoit, 85 ans, qui a longtemps été propriétaire d’un restaurant, aux limites de Sainte-Thérèse et de Blainville.

« J’ai grandi dans la cuisine du resto, dit-il, pour faire image. J’ai vu mon père aller. Il était généreux avec ses clients et son restaurant affichait presque toujours complet. Il s’amusait. Je m’amuse à mon tour. »

Son père est d’ailleurs toujours dans les parages. « Tous les matins, il est au garage. Il fait mes courses, jase avec les clients. Je suis chanceux de l’avoir près de moi, dans ma vie, dans mon commerce. Et les clients l’aiment bien. »

Il a beau « aimer » ses clients, il n’en demeure pas moins qu’il est dans les affaires. Il doit payer des factures et verser des salaires. Il se voit comme un chef d’orchestre dans son garage de banlieue. Un chef d’orchestre qui n’hésite pas à se salir les mains pour aider son équipe de mécaniciens.

« J’ai compris que, pour avoir des employés heureux, il faut leur permettre de se réaliser », dit-il.

« Je ne laisserai jamais un client quitter mon garage avec une auto qui présente un danger pour sa sécurité, quitte à renoncer à ce qu’il me paie la totalité de la facture, ou pas du tout, à la limite. » 

— Patrice Bédard

Un multitalentueux

Pourtant, avant de devenir garagiste, Patrice Bédard rêvait de faire carrière dans le show-business. Pendant cinq ans, il a fait la tournée des bars. Il a travaillé aux côtés de Toyo, l’actuel directeur artistique de Sylvain Cossette.

Puis, il s’est lassé des tournées.

C’est à ce moment-là qu’il a décidé de ranger son véhicule dans l’entrée de son garage. Il ne l’a jamais regretté. « Je fais un travail valorisant, résume-t-il. On me fait des cadeaux, on me donne de bonnes bouteilles de vin, du sucre à la crème, toutes sortes de gâteries. »

« J’ignore comment ça se passe dans d’autres garages, ajoute-t-il. Mais chez nous, dans mon garage, c’est souvent la fête. » Il aime entendre le bruit des moteurs, bien qu’il avoue candidement qu’il n’est pas un maniaque des cylindrées.

Il n’a pas non plus perdu sa passion pour la musique. Il joue du piano, gratte de la guitare, quand il rentre à la maison, après avoir vidangé l’huile-moteur. Et il aime écrire.

« J’ai cinq romans, dit-il. Des romans policiers avec des intrigues. Un jour, qui sait, je vais peut-être les publier ? »

Et il y a sa fille Alyson, 21 ans.

« J’ai financé la production de son premier CD, lance-t-il fièrement. Elle a une belle voix. Elle donne dans le folk rock. Elle va réussir, j’en suis certain ! »

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