Aventure

Éloge de la lenteur en famille

Il y a un peu plus d’un an, un couple de Québécois a quitté Montréal. Il avait avec lui ses vélos, ses bagages et sa fille de 15 mois. Direction ? La Terre de Feu, en Argentine. Maintenant rendu au Mexique, il pourrait rouler jusqu’en 2019. Voici le projet un peu fou de parents qui ne voulaient qu’une chose : voir grandir leur fille.

Kayla est née le 4 février 2013 à Québec. Ce jour-là, raconte Marie-Ève Paiement, « le compte à rebours a commencé ».

Il n’était pas question de repeindre la chambre du bébé ou de chercher une garderie. Il fallait plutôt mettre de l’argent de côté. Il fallait se préparer à abandonner son emploi, à vendre ou donner ses meubles, à quitter son appartement. Il fallait se préparer à partir en vélo pour des années. Il fallait se préparer à changer de vie.

La naissance d’un enfant est la plupart du temps synonyme d’enracinement ; celle de Kayla a été le point de départ d’un voyage qui dure maintenant depuis un an et des poussières.

« On a gardé des souvenirs de famille et on a donné tout le reste. Quand on va revenir au Québec, ça va être un nouveau départ », raconte Marie-Ève Paiement, jointe dans une auberge de jeunesse de San Cristobal de Las Casas, dans le sud du Mexique.

Il faut dire que les astres étaient alignés. Marie-Ève, 35 ans, a rencontré le père de Kayla il y a 10 ans maintenant. Karl Baltzer, 40 ans, un Français adepte de cyclotourisme alors en voyage au Québec. Il avait parcouru à deux roues l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le bassin méditerranéen.

« Quand on s’est rencontrés, il était justement en voyage à vélo. Finalement, il n’est jamais reparti. »

— Marie-Ève Paiement au sujet de son conjoint Karl Baltzer

Karl l’a initiée au cyclotourisme et elle a tout de suite aimé. « Surtout la lenteur », dit-elle. Ils sont partis rouler en Espagne, au Portugal et au Maroc et sont revenus au Québec avec un projet à la fois clair et compliqué : faire un enfant et traverser l’Amérique à vélo en famille.

Kayla a mis quatre ans à naître, plus longtemps que prévu. Ils ont repoussé d’aussi longtemps leur projet de voyage. « On voulait le faire en famille. On voulait profiter de chaque moment. La petite enfance, ça va vite, explique Marie-Ève Paiement. Je suis éducatrice. Des fois, je voyais les premiers pas d’un enfant à la garderie avant les parents. J’avais envie de voir les premières fois de ma fille, d’être avec elle. Le voyage me semblait le meilleur moyen de le faire. »

OBJECTIF TERRE DE FEU

Il fallait au moins attendre que Kayla ait 1 an. « Pour qu’elle puisse se tenir la tête toute seule dans la remorque », dit sa mère. Puis, il a fallu attendre le printemps en Alaska, point de départ du périple.

La petite avait finalement 15 mois quand, le 3 mai 2014, ses parents et elle ont tout quitté. Dans l’avion, leur voisin de siège revenait d’une virée en vélo entre New York et Montréal. Il les a invités à coucher chez lui à Anchorage. Ils se sont dit que c’était un bon présage.

Depuis, la petite famille a roulé 9600 km, a traversé le Canada, les États-Unis et presque l’entièreté du Mexique. Kayla a maintenant deux ans et demi. Pour elle, l’adaptation au voyage n’a pas été difficile.

« Kayla, en fait, elle est nomade depuis toute petite. Je ne crois pas qu’elle se souvienne de sa vie d’avant. Pour elle, c’est son quotidien de se déplacer, de rencontrer des gens, explique Marie-Ève Paiement. Il y a une certaine routine : il y a nous, il y a les vélos, la tente. Mais son carré de sable, lui, change tous les jours. »

Cette traversée n’a rien d’une compétition. La famille roule lentement. Au départ, elle pensait arriver à Ushuaïa, à la Terre de Feu, en 2017. Maintenant, elle pense y arriver en 2019.

« Plus on avance dans ce voyage, plus on prend notre temps. On veut profiter de tout ce qu’on voit. »

— Marie-Ève Paiement

« Il y a eu un moment où on allait plus vite. Mais le soir, on était plus fatigués, on avait moins de patience avec Kayla, dit sa mère. Ce n’était pas le but du voyage. On voyage à vélo pour y aller lentement. On préfère être de bonne humeur. »

Le vélo est un mode de transport à la fois économique et écologique, dit-elle. C’est pour ça que Karl et elle l’ont choisi. Mais il n’y a pas que ça. « Les gens sont curieux de voir une famille à vélo. Parfois, ils nous invitent à dormir chez eux, nous font à manger. On a croisé beaucoup de personnes très généreuses. »

Kayla, elle, au fil du voyage, a commencé à comprendre des phrases en anglais et en espagnol. Les parents profitent des moments avec elle. Ils ne regrettent pas leur choix. En entrevue, Marie-Ève Paiement ne semble pas angoissée le moins du monde devant l’inévitable retour à la « vie normale » et aux diktats du travail. Elle profite du moment présent. « La sensation de liberté est indescriptible. Il faut vraiment le vivre pour le comprendre. On décide chaque jour où on va. On n’a pas de contraintes. »

Si tout va bien, la famille atteindra la ville la plus australe du continent américain – et du monde – entre 2017 et 2019. Kayla aura alors vécu le plus clair de sa vie en voyage. Ses parents rentreront sans maison et sans boulot. Mais avec des souvenirs pour encore bien des années.

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