Un musée londonien dit non au don de la famille Sackler

La National Portrait Gallery de Londres vient de refuser un don de 1,77 million de dollars de la famille multimilliardaire Sackler, qui a fait fortune grâce à l’OxyContin, puissant analgésique accusé d’être à l’origine de centaines de milliers de surdoses fatales aux États-Unis. À Montréal, l’Université McGill a bénéficié des dons de la Fondation Sackler.

C’est le genre de dons pour lesquels les musées déroulent le tapis rouge.

Une donation de 1,77 million (1 million de livres sterling) offerte à la National Portrait Gallery, célèbre musée londonien, par la famille Sackler, l’une des plus riches des États-Unis.

Or, devant la controverse, le don n’aura pas lieu. « Le Sackler Trust et la National Portrait Gallery se sont entendus pour ne pas aller de l’avant », a dit la National Portrait Gallery dans une déclaration la semaine dernière.

C’est la provenance de l’argent qui rebute le musée : la famille Sackler, dont les membres ont une valeur nette collective de 13 milliards US, est propriétaire de la société pharmaceutique Purdue, qui fabrique l’OxyContin, puissant analgésique accusé d’avoir joué un rôle de premier plan dans l’épidémie de dépendance aux opioïdes qui a coûté plus de 400 000 vies aux États-Unis depuis 20 ans.

Cette semaine, Purdue a conclu une entente avec l’État de l’Oklahoma, qui la poursuivait. L’entreprise devrait payer 270 millions US, qui serviront en majorité à financer un centre de recherche et de traitement de la dépendance aux analgésiques. Au total, 36 États américains poursuivent Purdue pour son rôle dans la crise des opioïdes. Selon une étude de la Maison-Blanche, la crise des opioïdes inflige un coût de plus de 500 milliards US par année à l’économie américaine.

Nan Goldin, photographe américaine qui a elle-même vécu une dépendance à l’OxyContin, s’est réjouie de la décision du musée. Invitée à exposer ses photos à la National Portrait Gallery, elle avait dit qu’elle ne le ferait pas si le musée acceptait l’argent de la famille Sackler.

« Je suis extrêmement heureuse de cette importante décision », a confié Mme Goldin au Guardian de Londres, ajoutant qu’elle espérait que la décision aurait un « effet domino » et que d’autres institutions dans le monde qui acceptent des dons des Sackler revoient leur position. Depuis, le musée Guggenheim de New York a annoncé qu’il cesserait d’accepter les dons liés à la famille Sackler.

Une question de réputation

Sylvain A. Lefèvre, professeur au département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale de l’Université du Québec à Montréal et responsable du centre régional Québec-Maritimes du Réseau canadien de recherche partenariale sur la philanthropie (PhiLab), dit être surpris par le refus de la National Portrait Gallery d’accepter les fonds.

« Le musée fait le calcul que le coût à sa réputation va être plus élevé que le bénéfice de recevoir le don, dit-il. C’est très rare comme situation. »

M. Lefèvre note que le fait que la famille Sackler soit actuellement poursuivie à cause des effets de l’OxyContin peut avoir eu une influence sur la décision. « Ce n’est pas une histoire qui a eu lieu il y a 30 ans. Ça se joue maintenant. »

Il trace un parallèle avec la famille milliardaire allemande Reimann, propriétaire de Krispy Kreme et des boissons Dr. Pepper, qui fera un don de 17 millions de dollars (11 millions d’euros) après avoir réalisé qu’une partie de sa richesse était attribuable au travail forcé d’esclaves sous le régime nazi.

« On réfléchit à la provenance de l’argent, aux conséquences », dit-il.

En 2007, la société Purdue et trois membres de la famille Sackler avaient payé 600 millions US après avoir plaidé coupable alors que l’entreprise était accusée d’avoir trompé le gouvernement et le public et d’avoir minimisé les risques de dépendance de l’OxyContin.

Cette semaine, l’État de New York a accusé la famille Sackler de prélever frauduleusement des fonds de leur société pharmaceutique Purdue Pharma dans des sociétés offshore, afin d’éviter qu’ils servent à payer les dommages réclamés en justice dans les procès en cours. 

Dons à McGill

Au fil des ans, la famille Sacker s’est taillé une place de choix dans le monde de la philanthropie aux États-Unis et ailleurs.

Vincent Campbell Allaire, agent de communications de l’Université McGill, note que la Fondation Sackler compte parmi les donateurs de l’université montréalaise.

« L’Université McGill a déjà reçu des dons de la Fondation Sackler, lesquels ont principalement été affectés au soutien de la recherche en épigénétique et en cardiologie, note-t-il. Les lois sur la protection de la vie privée nous empêchent de fournir plus de détails sur les dons individuels versés à l’Université. Le dernier don a été reçu avant que l’Université soit informée des révélations publiées depuis. »

Chaque don reçu par l’Université McGill a d’abord fait l’objet d’une analyse, note M. Campbell Allaire.

« L’Université McGill a mis en place les mécanismes nécessaires à l’évaluation de tout projet de don, conformément à sa Politique d’acceptation des dons, en vertu de laquelle elle peut refuser d’accepter des dons provenant d’individus ou d’organisations dont la philosophie et les valeurs pourraient être jugées contraires aux siennes. »

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