« Incroyablement heureuse et soulagée »

Laurence Vincent Lapointe est blanchie par la Fédération internationale de canoë

Même dans les moments les plus sombres, Laurence Vincent Lapointe était convaincue qu’elle gagnerait. Pas seulement sa cause, mais aux Jeux olympiques.

« J’ai toujours eu cette flamme-là. C’est bizarre, parce que je n’avais aucune façon de savoir, aucune façon de penser ça. Mais dans ma tête, c’était : je vais y aller et je vais gagner. Je me suis raccrochée à ça. »

À ce moment-là, son avenir ne tenait, pour ainsi dire, qu’à un cheveu. Celui de son conjoint de l’époque, qu’elle a pensé soumettre à une analyse. Après avoir remué ciel et terre pour découvrir l’origine de son contrôle antidopage positif au ligandrol, elle s’est dit : pourquoi ne pas élargir les recherches à celui qui était le plus proche d’elle ?

Au bout du compte, cette idée, appuyée par le travail de son équipe, en particulier celui de son avocat Adam Klevinas, l’a sauvée.

À moins d’un appel qu’elle perdrait, et en tenant pour acquis qu’elle se qualifiera, Vincent Lapointe pourra concourir en canoë féminin aux Jeux olympiques de Tokyo, où la discipline sera présentée pour la première fois l’été prochain. Championne du monde à de multiples reprises, elle sera l’une des athlètes les plus attendues sur le canal de la Forêt de la mer, dans la baie de Tokyo, du 3 au 8 août.

« Je suis incroyablement heureuse et soulagée », a dit la canoéiste de 27 ans en conférence de presse dans un hôtel montréalais, lundi après-midi.

« Enfin, j’ai la réponse que j’attendais. J’ai été blanchie et ça me fait énormément chaud au cœur. »

— Laurence Vincent Lapointe

En matinée, la Fédération internationale de canoë (ICF) a annoncé dans un court communiqué la fin immédiate de sa suspension provisoire, qui courait depuis le 13 août. Un comité antidopage a accepté la preuve fournie et dégagé l’athlète canadienne de toute responsabilité quant à la quantité infime de ligandrol, une substance prohibée, trouvé dans ses urines après un test mené à Montréal le 29 juillet.

« Après avoir considéré l’expertise et la preuve scientifique fournies par l’équipe légale de Mme Vincent Lapointe, et aussi les traces minuscules de ligandrol décelées dans l’échantillon de l’athlète, l’ICF a reconnu que Mme Vincent Lapointe n’a pas pris la substance illégale de façon consciente », a indiqué l’ICF.

La fédération internationale la juge « victime d’une contamination par une tierce personne ».

Vincent Lapointe a réagi peu après dans une première conférence de presse qui s’est déroulée dans sa ville natale de Trois-Rivières.

« Vous ne pouvez pas vous imaginer à quel point je suis soulagée. À quel point ça fait du bien de finalement mettre fin à ce périple-là et de juste pouvoir me concentrer sur ce que j’aime, de retourner sur l’eau et me préparer en vue des Jeux. C’est formidable. »

« Échange de fluide corporel »

Après une recherche et des analyses exhaustives « extrêmement » coûteuses, MKlevinas est parvenu à démontrer que sa cliente avait été contaminée par un « échange de fluide corporel » avec son ex-conjoint.

Une analyse des cheveux de Vincent Lapointe, menée dans un laboratoire de Strasbourg, a dévoilé qu’ils ne contenaient pas la substance incriminante. En regard de la quantité microscopique trouvée dans son échantillon A d’urine – 4 picogrammes par millilitre –, cette découverte signifiait qu’elle n’avait pas elle-même consommé directement du ligandrol.

Mais personne ne parvenait à identifier la source de la contamination. Au total, 17 produits ou substances ont fait l’objet de tests qui n’ont rien révélé : tous ses compléments alimentaires, un autre que consommait son conjoint de l’époque, du chocolat du Japon qu’une athlète lui avait offert en cadeau, des épices étrangères, etc.

À la fin d’octobre, en discutant avec son copain, ils ont convenu d’envoyer une mèche de ses cheveux au même labo. Les résultats ont révélé une exposition multiple au ligandrol sur une période de plusieurs mois, avec un pic juste avant le prélèvement du 29 juillet.

À la réception du rapport, l’ex-conjoint a admis qu’il consommait un produit appelé SR9011, une substance interdite reconnue pour aider les performances et favoriser la perte de poids. Apparemment, il en prenait pour l’aider au soccer, sport qu’il pratiquait de façon récréative.

« Il travaille de longues heures, a précisé MKlevinas. Il pensait que s’il prenait ce produit, qu’un coéquipier lui avait donné, il aurait plus d’énergie et récupérerait un peu plus à la suite de ses pratiques. Il ne savait pas qu’il contenait du ligandrol ou d’autres substances. »

Soulagement… et colère

En réalité, la petite bouteille, qu’il gardait dans son sac de sport, ne contenait pas de SR9011, comme l’étiquette l’indiquait, mais du ligandrol et un peu d’ostarine, un autre produit prohibé. L’énigme était résolue.

Vincent Lapointe s’est sentie trahie, partagée entre le « soulagement et la colère ».

« Ce ne sont pas deux sentiments qui vont habituellement ensemble, a-t-elle noté. J’étais juste tellement frustrée que ce soit ça. D’un autre côté, j’étais comme : OK, je sais comment c’est arrivé. Ç’a été difficile. D’ailleurs, c’est pour ça qu’on n’est plus ensemble. Je ne pouvais pas continuer à toujours avoir la peur de [me demander] : est-ce qu’il aurait pu prendre quelque chose sans me le dire ? »

L’ex-petit ami a accepté de témoigner par vidéoconférence lors de l’audience du comité antidopage de l’IFC, le 9 décembre, à Lausanne.

Me Klevinas a souligné que l’histoire de sa cliente n’était qu’un « cas de malchance ». « Je sais que c’est une histoire assez folle, mais ce n’est pas juste un hasard », a déclaré l’avocat, confiant que le verdict tiendrait en cas d’appel du Centre canadien pour l’éthique dans le sport ou de l’Agence mondiale antidopage.

« C’est un résultat qui est juste dans les circonstances. Je tiens vraiment à préciser qu’on n’a pas demandé quelque chose que Laurence ne méritait pas. »

— Me Adam Klevinas

Fortement éprouvée par ce qu’elle a décrit comme un « périple », en particulier durant les deux premiers mois, Vincent Lapointe est consciente que sa forme physique n’est pas à son mieux. Avant un récent séjour en Floride, elle s’est entraînée sur un rameur, avec un miroir et son téléphone comme seuls conseillers techniques.

La canoéiste repart mardi pour la Floride, où elle rejoindra l’équipe canadienne qui amorce un stage. Elle tentera de se qualifier pour les Jeux olympiques dans le cadre des essais nationaux en avril, en Géorgie.

« Je ne m’inquiète pas, a-t-elle assuré. Je suis prête à foncer. Je vais donner tout ce que j’ai. On croise les doigts. »

Sa coéquipière ontarienne Katie Vincent, avec qui elle a remporté l’or en double aux Mondiaux de 2018, lui a envoyé un message lundi : « Elle m’a dit : “aujourd’hui, c’est la première journée où je me sens heureuse depuis le mois d’août”. Je la comprends parce que moi aussi, ça a fait : “enfin !” »

Le calvaire des parents

Les parents de Vincent Lapointe ont vécu comme un calvaire le test positif de leur fille et l’opprobre public qui a suivi, l’été dernier.

« J’étais complètement démoli, il a fallu que je consulte », a raconté son père, Guy Lapointe, en marge de la conférence de presse lundi. « Ton enfant souffre. Les gens te regardent de travers quand tu te promènes avec elle sur la rue. »

Au plus fort de la crise, sentant « la pression trop forte », les Vincent Lapointe se sont réfugiés en Floride avec leur fille et son conjoint de l’époque.

M. Lapointe dit avoir « confronté » l’ex de sa fille « pendant deux semaines ». « Moi, j’ai toujours eu un doute [à son sujet], a-t-il affirmé. Je lui disais : dis-le. “Ah non, non, je le jure sur la tête de ma mère, mes frères !” Ben oui. Je disais : ça vient de quelque part. »

Selon M. Lapointe, l’ex-petit ami de sa fille avait perdu une grande quantité de poids. « Il n’avait pas été là pendant un an et demi. Là, il revient, et je lui dis : tu as bien maigri. Je le connaissais un peu. Je doutais qu’il puisse s’entraîner tellement pour perdre du poids. »

« Ç’a été plus dur pour elle, mais Laurence est plus forte que nous, a ajouté son père. C’est la nuance. Tu es comme pris dans une cage. Tu n’as pas de sortie. J’ai été atteint, mais aujourd’hui, ça va beaucoup mieux. »

Avant le test positif, les Vincent Lapointe avaient déjà réservé et payé leur hôtel à Tokyo. Avec la disculpation de Laurence, sa mère Nathalie Vincent s’apprête maintenant à magasiner les billets d’avion.

Des cas semblables

Richard Gasquet

Laurence Vincent Lapointe n’est pas la première athlète à avoir été blanchie à la suite d’un test positif en plaidant la contamination par échange de fluide corporel. Le cas du tennisman français Richard Gasquet est le plus célèbre. En 2009, il avait subi une suspension provisoire de deux mois et demi à la suite d’un contrôle positif à la cocaïne. Le Tribunal arbitral du sport lui avait donné raison sur toute la ligne quand il avait affirmé qu’il avait pu être contaminé lors de baisers échangés avec une femme au cours d’une soirée en Floride. La très faible quantité de cocaïne détectée dans son urine était compatible avec une exposition fortuite.

Gil Roberts

En janvier 2018, le sprinter américain Gil Roberts a été innocenté à la suite d’un test positif au probénécide, substance interdite en raison de ses propriétés d’agent masquant. Il avait expliqué que sa femme avait consommé un médicament acheté en Inde contenant le produit prohibé. L’athlète aurait été contaminé en l’embrassant passionnément avant le passage des contrôleurs. Pascal Kintz, l’expert français qui a témoigné en sa faveur, est le même qui a offert son aide à Vincent Lapointe et à Gasquet. Adam Klevinas, l’avocat de la Québécoise, travaillait pour l’Agence mondiale antidopage lors de la contestation de ce cas devant le Tribunal arbitral du sport. « Notre dossier était vraiment plus fort » que ceux de Roberts et de Gasquet, a soulevé Me Klevinas lundi.

Shawn Barber

Le perchiste canadien Shawn Barber a évité une suspension après un contrôle positif à la cocaïne en 2016. Sa thèse, accréditée par un arbitre : il a eu une relation sexuelle avec une « professionnelle » rencontrée par l’entremise du site de petites annonces Craigslist, la veille de sa compétition aux sélections olympiques canadiennes d’Edmonton, en 2016. Celle-ci aurait consommé la poudre blanche avant leurs ébats. Champion mondial en titre, Barber avait reçu son pardon quelques jours seulement avant de s’élancer aux Jeux de Rio, où il a terminé 10e.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.