Recyclage du verre

La SAQ se dit pour la consigne, mais pas dans sa cour

Le statu quo ne peut plus durer, ont dit en chœur les premiers groupes témoignant lors de la commission parlementaire portant sur le recyclage et la valorisation du verre, qui commençait hier à Québec. Mais tous ne s’entendent pas sur les solutions.

La Société des alcools du Québec (SAQ) a créé la surprise hier en se disant pour la première fois prête à appuyer la consignation des bouteilles de verre, après s’y être opposée vigoureusement pendant des années.

La présidente et chef de la direction de la société d’État, Catherine Dagenais, a expliqué ce changement de cap par le faible taux de recyclage du verre, au Québec.

Bien que le taux de verre « envoyé aux fins de recyclage » soit passé de 14 %, en 2015, à 28 %, l’an dernier, selon Recyc-Québec, il est encore trop bas aux yeux de la présidente de la SAQ, qui dit partager la préoccupation des Québécois concernant le fait que la majeure partie du verre récupéré est enfoui, dans la province.

« C’est inacceptable, il faut que ça cesse », a déclaré Catherine Dagenais dans une entrevue accordée à La Presse quelques heures avant de prendre la parole devant les parlementaires.

« Le problème n’est pas un problème de récupération, mais de recyclage. »

— Catherine Dagenais, PDG de la SAQ, rappelant que 87 % des contenants que la société d’État met en marché sont récupérés par la collecte sélective

La SAQ, qui a historiquement privilégié la collecte sélective pour récupérer le verre, remet ce modèle en question, en raison de son incapacité à assurer le recyclage de la matière dans une forte proportion.

S’il faut un changement de type de collecte pour améliorer le recyclage du verre et que le gouvernement optait pour la consigne, « la SAQ appuiera l’initiative », assure Mme Dagenais, sans prôner elle-même une méthode de remplacement en particulier.

Pas dans les succursales

Il est toutefois hors de question que les succursales de la SAQ reprennent les bouteilles vides, puisqu’elles ne disposent pas de l’espace pour ce faire, affirme Catherine Dagenais.

Les dépanneurs et les épiceries ne veulent pas en hériter non plus, puisqu’ils disent en avoir plein les bras avec la gestion de la consigne actuelle sur les bouteilles de bière et celle sur les contenants de boisson gazeuse, qui génèrent par ailleurs leur lot de défis en matière de salubrité.

« N’en jetez plus, la cour est pleine », a imploré l’Association des marchands dépanneurs et épiciers du Québec ; un discours semblable à celui de l’Association des détaillants en alimentation du Québec.

La SAQ se dit néanmoins prête à « participer activement à trouver une solution durable et globale » et à jouer un rôle dans le futur système de récupération du verre.

Sa présidente ne ferme pas la porte à l’idée, par exemple, que les camions de la société d’État, qui reviennent vides après avoir fait leurs livraisons dans les succursales de la province, soient mis à contribution.

Quelle que soit la voie que Québec choisira, la SAQ insiste pour que la solution prenne en charge la totalité du verre, y compris les pots de confiture et les bouteilles d’eau, par exemple, car le verre provenant de la SAQ ne représente que la moitié du verre récupéré par la collecte sélective.

Il faudra aussi tenir compte des émissions de gaz à effet de serre qu’elle générera, dit Mme Dagenais.

Mettre fin au statu quo

La mise sur pied d’un réseau de dépôts à verre où les citoyens apportent leurs contenants, système répandu en Europe, est une autre solution qui pourrait améliorer le recyclage du verre, ont souligné la SAQ et Recyc-Québec.

« Les points de dépôt volontaire sont une initiative intéressante », a déclaré la présidente et directrice générale de Recyc-Québec, Sonia Gagné.

La société d’État recommande de moderniser à la fois le système de consigne – qui ne devrait pas être basé sur le contenu, mais bien sur le contenant – et celui de la collecte sélective, des systèmes complémentaires qu’il ne faut pas opposer, estime-t-elle.

« Le statu quo n’est pas une solution », a lancé Mme Gagné, faisant écho aux propos de la dirigeante de la SAQ, mais aussi à ceux de son homologue d’Éco entreprises Québec (EEQ), Maryse Vermette.

Les trois femmes s’entendent aussi pour dire qu’il faut imposer aux centres de tri une reddition de comptes, des indicateurs de performance et une traçabilité des matières qu’ils traitent.

« Il faut aller vers une [telle] obligation au Québec. »

— Maryse Vermette, PDG d’EEQ 

Les trois organisations recommandent aussi de réduire, voire d’interdire l’utilisation du verre comme matériau de recouvrement dans les centres d’enfouissement et de soutenir le traitement et la transformation du verre.

Elles insistent aussi sur la nécessité de développer les débouchés pour le verre, comme l’ajout cimentaire, qui permet de réduire la quantité de ciment dans la fabrication de béton.

De nombreux groupes, qui témoigneront durant les prochains jours, désapprouvent toutefois cette dernière proposition, puisqu’ils considèrent qu’il s’agit d’une mauvaise utilisation d’un matériau pouvant être refondu à l’infini.

Gaétan Frigon « lève son chapeau » à la SAQ

L’ex-PDG de la SAQ Gaétan Frigon, qui a profondément transformé la société d’État durant son mandat de 1998 à 2002, s’est réjoui de la nouvelle en entrevue avec La Presse. « Je leur lève mon chapeau, a-t-il affirmé. Ça veut dire qu’ils ont fait une analyse approfondie de la question et qu’ils ont jugé que c’était faisable. » À l’époque où il était à la tête de la SAQ, la consigne ne faisait même pas l’objet de discussions. « Dans le temps, je dois l’admettre, il y avait un parti pris contre la consigne. Ils considéraient la consigne comme une maladie grave. À la SAQ, les gens ne voulaient même pas en entendre parler. » Le manque d’espace dans les succursales et la peur des « bibittes » ont forcé la mise en place d’autres mesures. « À l’époque, on investissait beaucoup dans les centres de recyclage. Ça semblait être la solution à ce moment-là, ça semblait faire la job. » Mais, souligne-t-il, la question de l’environnement n’est plus ce qu’elle était il y a 20 ans. 

— Raphaël Pirro, La Presse

Un « signe d’ouverture »

La déclaration de la SAQ à l’égard de la consigne est un « signe d’ouverture » qu’accueille favorablement le Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets (FCQGED). La société d’État a « compris ce que la population veut », a déclaré le directeur général du FCQGED, Karel Ménard, en marge de la commission parlementaire. Il qualifie toutefois la déclaration d’« un peu timide », notamment parce que la SAQ ne veut pas récupérer les bouteilles de vin et spiritueux vides dans ses installations. M. Ménard souligne que le syndicat des employés de la SAQ estime, lui, qu’il serait possible de récupérer les contenants dans un grand nombre de succursales. L’Opération Verre-Vert se réjouit également de ce changement de cap de la SAQ, soulignant que la Société d’État a compris l’importance de trouver une solution pour l’ensemble du verre post-consommation, mais regrette que la SAQ ne veuille reprendre les bouteilles dans ses succursales. « C’est un vœu pieu », a déclaré à La Presse Jean-Claude Thibault, porte-parole de l’organisation qui milite pour la pleine valorisation du verre, que ce soit par la consigne ou par les dépôts volontaires, comme ceux qui ont vu le jour sous son impulsion dans le Val-Saint-François, en Estrie.

— Jean-Thomas Léveillé, La Presse

Une solution envisagée

Du verre issu de la collecte sélective québécoise pourrait éventuellement être réutilisé pour fabriquer du nouveau verre, ont annoncé hier dans un communiqué le Groupe Bellemare, conditionneur de verre de Trois-Rivières, et Owens-Illinois, qui possède la seule fonderie de verre du Québec, à Montréal. Les deux entreprises ont conclu une entente de principe en ce sens, mais elle est conditionnelle à des garanties d’approvisionnement en verre et à ce que Québec interdise l’utilisation du verre dans les sites d’enfouissement au Québec. Le Groupe Bellemare se dit prêt à réaliser les investissements nécessaires à l’achat des nouveaux équipements requis dès que ces garanties seraient obtenues.

— Jean-Thomas Léveillé, La Presse

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