Mode masculine

Génération street

Issue du monde underground, la culture street est aujourd’hui plus qu’une tendance, plutôt un mouvement de fond qui chamboule la planète mode. État d’un phénomène mondial… et montréalais !

UN DOSSIER D’IRIS GAGNON-PARADIS

Quand la rue envahit les passerelles

Adoptée seulement par les initiés jusqu’à tout récemment, la culture street se trouve désormais sous les projecteurs, alors que les plus grandes marques de haute couture reprennent ses codes et que le streetwear compte de plus en plus d’adeptes.

Mais à quoi fait-on référence au juste lorsqu’il est question de streetwear ? L’expression va bien au-delà du hoodie (chandail à capuchon) et du t-shirt, note Pete Williams, fondateur de la marque montréalaise Raised by Wolves et éditeur en chef du magazine biannuel de la plateforme web Highsnobiety.

« La façon la plus simple de comprendre ce style, c’est qu’il prend racine dans la subculture plutôt que dans le vêtement lui-même. On va donc l’adopter pour signifier son association avec un groupe. Pour moi, c’était beaucoup le skateboard, mais aussi le snowboard, et les scènes hip-hop et punk/hardcore. Bref, c’est le style avant la marque, l’authenticité avant la tendance. »

« Porter un vêtement va au-delà du look, renchérit Maxime Weingertner de la jeune entreprise montréalaise Only Five Reasons. Le streetwear, c’est un mode de vie, une mentalité, ce sont des petits brands qui se construisent à partir de rien, en mettant de l’avant une histoire, des valeurs. »

Le nouveau luxe

Autrefois issu de milieux marginaux, le streetwear est aujourd’hui un phénomène mondial. Des marques associées à la culture street comme Supreme sont aujourd’hui d’importants acteurs sur le marché, alors que le style inspire maintenant de grandes marques internationales.

« Il y a une ouverture sur le street et toute une génération qui veut s’exprimer et mettre de l’avant ses valeurs, bref, trouver une culture qui leur ressemble, ça ne peut que continuer à grandir. »

– Guillaum Chaigne, designer de streetwear montréalais

La nouvelle direction prise par Balenciaga et son nouveau directeur artistique Demna Gvasalia illustre à merveille le phénomène, comme sa collection automne-hiver qui tire clairement ses inspirations de la culture street, mais aussi des mouvements « normcore » et « dadcore ».

« Cet engouement montre un changement profond : aujourd’hui, c’est le client qui a le pouvoir et les entreprises regardent énormément ce qui se passe dans la rue. C’est aussi lié à l’apparition d’une culture progressiste qui valorise l’égalité, la disparition des classes sociales et aussi des genres. C’est mal vu d’avoir l’air riche ! », constate Milan Tanedjikov, chargé de cours au collège LaSalle et à l’École supérieure de mode de l’UQAM et membre de l’équipe éditoriale du magazine montréalais The Fine Print. Il a également dirigé sa marque de streetwear, Perplex et Lola, au début des années 2000.

Cette nouvelle réalité témoigne de l’arrivée sur le marché du travail d’une nouvelle génération ayant grandi avec l’internet, les blogues et les réseaux sociaux, qui permettent de rendre l’information accessible à tous, sans discrimination.

« Notre génération change les façons de faire en mettant nos intérêts de l’avant. Le travail de Demna pour Balenciaga est fascinant, parce qu’il ébranle la vieille garde et questionne de façon agressive ce qu’est le luxe. Ainsi, on peut porter un sweatsuit, non pas parce qu’on ne peut se permettre un complet, mais parce qu’on est dans une position où on peut porter ce qui nous plaît. C’est ça, le nouveau luxe », analyse Pete Williams.

Portées par cette vague et inspirées par les Balenciaga et Gucci de ce monde, les marques de streetwear se font plus raffinées, incorporant des textiles plus luxueux à leurs designs et empruntant à la haute couture des techniques de fabrication. Chez Raised by Wolves, Pete Williams mise par exemple sur les pièces de haute qualité, fabriquées au Canada, inspirées par l’esprit nordique et les grands espaces canadiens.

Montréal, l’avant-gardiste

Montréal n’est peut-être pas une plaque tournante mondiale du streetwear, mais sa créativité, son audace et son côté avant-gardiste sont de plus en plus reconnus.

« Il y a beaucoup de choses qui se passent à Montréal, tellement de gros noms et de gros joueurs établis qui inspirent les plus petits brands à se dépasser et à voir plus loin, constate Gustavo Lopenz Rivera, de Sweet Nothings. Montréal, c’est un petit New York, mais avec peut-être encore plus de liberté. »

Parmi les marques dont la notoriété dépasse nos frontières, on pense à Dime, qui témoigne du dynamisme de la scène du skateboard à Montréal avec un événement comme le Glory Challenge. Il y a aussi Atelier New Regime, qui vient de lancer une collection avec l’artiste Ricardo Cavolo et qui avait même son espace au ComplexCon, à Los Angeles, la semaine dernière, l’un des événements street les plus courus sur la planète. Il ne faut pas oublier la boutique Off The Hook et ses collaborations exclusives avec des géants comme Vans et Puma. 

« Les bureaux principaux de Highsnobiety sont à Berlin et à New York, mais cela n’empêche pas leurs équipes de régulièrement me demander ce qui se passe ici lorsqu’il est question de tendances, indique Pete Williams. Montréal est souvent très en avance sur ce qui s’en vient à l’international, notamment grâce à une culture DIY très forte et créative. Il y a juste quelque chose de très real et brut ici. Montréal a une âme, un cœur, et ça se ressent. »

Trois jeunes marques prometteuses 

La scène du streetwear est dynamique à Montréal et plusieurs nouvelles entreprises tentent leur chance en lançant des collections de vêtements. Nous vous présentons aujourd’hui trois jeunes marques montréalaises à suivre.

Guillaum Chaigne

Guillaum Chaigne est loin d’être un nouveau venu sur la scène street. Il a acquis une certaine reconnaissance dans le milieu avec sa marque de « graphic wear » EraGraff. En 2015, il a décidé de mettre le tout de côté pour se consacrer à son projet éponyme, issu d’un processus créatif plus introspectif et émotif. Ses mini-collections intemporelles mettent de l’avant des pièces excentriques et très « oversized », influencées notamment par les cultures coréenne et japonaise, avec une approche qui fait le pont entre le street et la haute couture. Sa première collection complète est prévue pour le printemps 2018.

Only Five Reasons

Only Five Reasons se construit autour de cinq valeurs positives, colonne vertébrale de la marque : fraternité, intelligence, visionnaire, élégance et, la quintessence du tout, l’amour, le non-palpable. La marque fondée par Maxime Weingertner et Pierre Alexandre Clément se réclame à la fois d’une esthétique européenne et d’une créativité montréalaise, alors que chaque collection se construit autour d’un thème vecteur. La prochaine, Amakuni (offerte en décembre), s’inspire de la légende du samouraï japonais, et on devine le coup de sabre dans les pièces structurées, qui jouent avec les volumes.

Sweet Nothings

D’abord artiste et designer graphique baignant depuis toujours dans la culture street montréalaise, Gustavo Lopenz Rivera (aussi connu sous son nom d’artiste Many Mainichi) a lancé sa marque Sweet Nothings il y a trois ans. Comme ces petits mots doux et éphémères qu’on glisse à l’oreille, sa marque évoque l’évanescence des choses, avec une esthétique très DIY et des inspirations puisées dans plusieurs cultures – street, mais aussi punk, par exemple. Introspectives, ses collections, dont la prochaine sera offerte en décembre, reflètent ses états d’âme du moment.

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