TRICHERIE À L’UNIVERSITÉ

Des travaux

faits par des « professionnels »

Sur l’internet, ils se présentent comme des « rédacteurs ». Ils promettent de « l’aide à tous les étudiants » pour leurs travaux de session, leurs dissertations, leurs mémoires ou leurs essais, « confidentialité assurée ». Ce qu’ils proposent : faire les travaux scolaires en entier à la place des élèves.

« Pour des travaux de session impeccables, faites appel aux services d’une professionnelle », dit une annonce sur Kijiji. « Appel à tous les étudiants. Fini les nuits blanches », promet une autre.

L’offre est variée. Certains rédacteurs disent se spécialiser dans les travaux de sciences. D’autres donnent dans la littérature, les sciences humaines, la gestion ou l’anglais et même l’espagnol. Plusieurs affirment être des enseignants ou être titulaires d’un doctorat.

Moyennant des tarifs allant de 0,07 $ le mot à 15 $ la page plus un tarif à l’heure, ils proposent de corriger, de réécrire, de prendre en charge la recherche ou de carrément faire tout le travail à la place des étudiants « débordés ». Ils promettent des documents uniques et exclusifs, rédigés sans plagier d’autres sources. Pour les vendeurs, il n’y a rien d’illégal dans cette pratique, mais pour les étudiants, l’achat de travaux est strictement interdit.

COMMENT ÇA MARCHE ?

Pour mieux comprendre comment fonctionne ce stratagème, La Presse a joué le jeu de la tricherie.

Nous avons joint une douzaine de rédacteurs trouvés sur l’internet, nous présentant comme une étudiante.

Notre demande était toujours la même : « Je suis débordée et je n’ai pas le temps de faire tous mes travaux. Je dois rendre un gros travail la semaine prochaine. Jusqu’où exactement vont vos services ? Pouvez-vous rédiger et faire la recherche à ma place pour un travail donné ? En gros, prenez-vous en charge le travail de A à Z ? Confidentiellement ? »

Nous avons obtenu 10 réponses, pour la plupart positives, en moins de 24 heures.

« Oui j’ai déjà réalisé plusieurs travaux de A à Z, mais ça sera sur quelle thématique ? Si ce sont des sujets où je ne suis pas très à l’aise, je préfère honnêtement m’abstenir. Pour la confidentialité, je vous garantis qu’elle sera totale », a répondu une contractuelle.

« Je fais exactement ça, c’est-à-dire j’aide les personnes débordées en prenant un travail totalement en charge. Bien sûr, tout est 100 % confidentiel », a écrit un autre.

L’ACHAT DU TRAVAIL

La Presse a acheté un travail, puis l’a fait corriger par une professeure. Le vendeur choisi est en fait un regroupement de pigistes qui s’annonce sur Kijiji, mais qui a aussi son propre site web baptisé Francais123.com. Il donne dans les travaux scolaires, mais aussi dans la rédaction et la révision d’autres documents.

Nous avons commandé un résumé critique d’un livre sur la Renaissance, travail dont les étudiants du cours d’histoire La Renaissance en Europe de l’UQAM doivent réellement s’acquitter cette session.

La mission était la suivante : lire le livre de 128 pages, le résumer et le critiquer en 7 pages.

Nous nous sommes entendus sur un tarif de 240 $, soit 15 $ par page et 15 $ l’heure pour 12 h de lecture et de prise de notes. On nous offrait un rabais de 15 %. Délai : une semaine. Les rédacteurs se sont eux-mêmes procuré le livre à la bibliothèque. Tous nos contacts sont demeurés virtuels.

La professeure Lyse Roy, qui donne le cours La Renaissance en Europe, a accepté de jeter un coup d’œil au produit final. Selon elle, le travail acheté est « très mauvais ». Elle nous a tout de même attribué la note « passable ». Un résultat faible, mais suffisant pour réussir. Cela, sans jamais même avoir eu un exemplaire du livre en mains.

« Je ne suis pas certaine que j’aurais soupçonné un travail acheté, conclut Mme Roy. J’aurais pensé qu’il s’agit d’un étudiant qui ne fréquente pas souvent ses cours en histoire. »

INDÉTECTABLE

De l’aveu même des professeurs et des experts sur la question du plagiat, ce type de tricherie est pratiquement indétectable. « Il y a même des entreprises [installées à l’étranger] qui offrent d’adapter le texte au langage de l’étudiant pour ne pas éveiller les soupçons », raconte Nicole Perreault, responsable des technologies de l’information et de la communication à la Fédération des cégeps.

Difficile, donc, de chiffrer le phénomène. « La mesure des infractions académiques est très complexe, note Michel Séguin, professeur à l’UQAM et expert en matière de plagiat. Qui va avouer, même dans le cadre d’une étude, qu’il a triché ? Il y a un problème, oui. Et il doit y en avoir qui ne sont pas pris. » L’expert précise que seule une faible minorité d’étudiants triche.

Qui sont les acheteurs ? Plutôt des étudiants à l’université que des cégépiens « parce que ça coûte très cher », croit Nicole Perreault.

Une jeune enseignante de français qui offre ses services de rédactrice aux élèves sur Kijiji depuis deux ans a accepté de nous accorder une entrevue à condition que nous taisions son nom. Elle affirme recevoir au moins 10 demandes par mois de la part d’élèves. « Pendant les périodes d’examens, ça monte à trois ou quatre par semaine », dit-elle.

Ses clients sont surtout des cégépiennes en technique d’éducation à l’enfance et des étudiants d’université qui lui confient des travaux de littérature ou d’analyse de texte.

« Je ne garantis aucune note et généralement, je refuse ce qui est hors de mon domaine d’expertise », raconte-t-elle.

Elle compte aussi parmi ses habitués des étudiants allophones qui lui demandent de réécrire leurs travaux. « Avec eux, l’idée est là. Mais des fois, c’est carrément incompréhensible et je dois les contacter pour déchiffrer ce qu’ils veulent dire. Sans moi, ils n’auraient pas la note de passage. »

Pour s’assurer que les élèves maîtrisent au minimum la matière – et qu’ils ne se feront pas démasquer –, elle leur suggère d’ajouter eux-mêmes des références à la bibliographie du travail.

Une autre rédactrice, celle-ci spécialisée dans les sciences, dit décrocher surtout des contrats pour des travaux de maîtrise et des articles scientifiques. Elle aussi compte parmi ses clients des élèves qui ont des lacunes en français.

Le plus ironique, dit-elle, c’est que lorsqu’elle a commencé à offrir ses services sur l’internet, elle souhaitait faire de la traduction ou de la révision. Jamais elle ne se serait vue écrire des travaux à la place d’un autre. C’est la forte demande qui l’a forcée à adapter son offre.

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