Énergie

Le solaire dans l’air du temps

L’énergie solaire attire de plus en plus l’intérêt des consommateurs, même au Québec, où la rentabilité n’est pas au rendez-vous. La popularité des panneaux solaires et de la domotique est une tendance lourde qui force Hydro-Québec à se réinventer.

Un dossier d'Hélène Baril

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L’ attrait du soleil

La maison des Trudeau, à Sherbrooke, est équipée de quatre panneaux solaires depuis un peu plus d’un an. Ils leur permettent d’économiser un peu sur leur facture d’électricité, mais pas assez pour rentabiliser leur investissement.

Les économies sur la facture d’électricité sont de l’ordre d’une centaine de dollars… par année. Qu’importe, Yves Trudeau est content d’avoir investi dans l’énergie solaire. « Ce n’est pas pour les économies, c’est plus un jouet, explique-t-il lors d’un entretien avec La Presse. C’est pour le principe aussi. Je suis sensible aux changements climatiques, et c’est l’énergie solaire qui a le plus grand potentiel. »

Yves Trudeau n’a pas fait qu’installer des panneaux solaires. Sa résidence est bien isolée et équipée d’un système de géothermie pour une plus grande efficacité énergétique. Le Québec a la chance d’avoir de l’énergie renouvelable, mais il ne l’utilise pas de la manière la plus efficace, selon lui.

« On chauffe avec des plinthes électriques, c’est un choix de société, mais c’est un choix discutable », estime-t-il.

Quand il a voulu s’équiper de panneaux solaires, Yves Trudeau a choisi ÉcoSolaris, de Saint-Jérôme. L’entreprise, qui se spécialise dans les solutions énergétiques depuis 11 ans, a récemment été submergée par l’intérêt des consommateurs pour les panneaux solaires.

« C’est dans l’air du temps, les gens en veulent. Et la rentabilité n’est généralement pas leur motivation. »

— Martin Lambert, président d’ÉcoSolaris

Il compare les fans d’énergie solaire à ceux qui achètent une Tesla à 100 000 $ ou à ceux qui s’équipent d’une piscine à 50 000 $ pour s’en servir quelques heures par année. « C’est un trip, et ce n’est pas pour les pauvres. »

Martin Lambert doit souvent diriger vers d’autres solutions les gens qui s’adressent à lui pour réduire leur facture d’électricité avec des panneaux solaires. « Je me suis tiré dans le pied souvent en leur disant de commencer par isoler leur maison ou d’arrêter de chauffer aux plinthes électriques », illustre-t-il.

Le prix de l’électricité au Québec est actuellement trop bas pour rentabiliser les investissements nécessaires à l’achat et à l’installation des panneaux solaires. « On fait beaucoup d’installations hors réseau, où le solaire a plus de sens, dit le président d’ÉcoSolaris. Mais c’est souvent des banlieusards qui en veulent. »

Pas rentable

Le Québec est une des provinces canadiennes où l’investissement dans les installations solaires est le moins avantageux financièrement, selon une étude récente de l’Office national de l’énergie (ONE).

Le coût des panneaux solaires a diminué et continue de baisser, et le prix de l’électricité augmente chaque année. Malgré cela, les réseaux solaires résidentiels ne sont pas rentables actuellement au Québec, et ne le seront probablement pas dans un avenir prévisible, selon l’ONE.

Le fondateur d’ÉcoSolaris estime que la rentabilité des panneaux solaires apparaîtra quand il y aura au Québec un régime de tarifs d’électricité variables selon la période de la journée. Avec des panneaux solaires et des batteries pour stocker l’énergie qu’ils produisent, il sera possible de réduire sa consommation pendant les périodes où les tarifs seront plus élevés et d’économiser davantage, explique-t-il.

Même s’il croit beaucoup à l’avenir de l’énergie solaire, Yves Trudeau est conscient que le Québec ne pourra jamais se passer du réseau d’Hydro-Québec, notamment à cause de notre hiver rigoureux.

« Même ailleurs dans les conditions les plus favorables, le solaire ne suffira pas, ça prendrait trop d’espace pour installer les panneaux », estime-t-il.

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Mission : réinventer Hydro-Québec

Même modestes, les économies réalisées par les consommateurs d’électricité qui ont des panneaux solaires commencent à inquiéter Hydro-Québec, qui pourrait perdre des millions de dollars de revenus.

Déjà pour 2019, la société d’État a inclus dans ses prévisions une réduction de ses ventes d’électricité de 12 gigawattheures (ou milliards de wattheures) en raison de la popularité des panneaux solaires.

C’est encore peu, mais c’est appelé à augmenter, explique Alain Sayegh, directeur de la nouvelle division de l’intégration des nouvelles technologies chez Hydro-Québec. Sa petite équipe a une grande mission, celle de réinventer la société d’État.

« Les nouvelles technologies nous obligent à nous transformer », explique-t-il en entrevue. Hydro-Québec, qui est avant tout un producteur d’électricité, deviendra un fournisseur de services énergétiques, prévoit-il.

De plus en plus de clients d’Hydro-Québec produiront et stockeront de l’énergie. Les maisons consommeront moins d’énergie grâce à la domotique et à une meilleure isolation.

C’est une bonne et une mauvaise nouvelle à la fois, explique Alain Sayegh. La mauvaise, c’est qu’il y aura moins de revenus pour maintenir et améliorer le réseau de distribution. La bonne, c’est qu’Hydro-Québec n’aura plus besoin de construire de nouveaux ouvrages pour répondre à la demande en périodes de pointe, quelques heures par année.

Hydro-Québec peut tirer profit de la technologie en réduisant la demande de pointe, qui lui coûte très cher parce que son réseau ne suffit pas et qu’elle doit acheter de l’énergie pendant quelques heures chaque année en hiver, malgré ses surplus. Les économies ainsi réalisées compenseront la réduction des ventes et limiteront les hausses de tarifs.

Contrairement à d’autres entreprises de son secteur, Hydro-Québec n’est pas menacée à court terme par la « spirale de la mort », qui décrit une situation dans laquelle un fournisseur d’électricité voit diminuer ses revenus et augmenter ses coûts pour le maintien de ses capacités de production et de ses lignes de transport.

Cette menace est quand même prise très au sérieux boulevard René-Lévesque Ouest. « Le seul fait que j’existe est la preuve de l’importance qu’on y accorde », dit le directeur de l’intégration des nouvelles technologies.

Pour Hydro-Québec, la solution passe par l’augmentation des frais de branchement au réseau, qui est la part fixe de la facture d’électricité des Québécois, selon Pierre-Olivier Pineau, professeur à HEC Montréal et titulaire de la Chaire en gestion de l’énergie. « Pour rétablir un prix qui a du sens, et qui protégerait Hydro-Québec de la spirale de la mort, il faudrait faire payer aux consommateurs ce qui coûte vraiment quelque chose, estime-t-il, soit être connecté au réseau, selon le niveau de puissance maximal demandé. »

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