Opinion Pascale Navarro

Esquisse d’une internationale féministe

Cette idée aurait semblé utopique voilà seulement cinq ans

Il y a quelques années, une représentante de l’organisation ONU Femmes que j’avais rencontrée lors de mes recherches m’avait clairement dit que, pour l’organisation, les femmes occidentales, privilégiées, n’avaient besoin ni de programmes spécifiques ni de soutien politique international. Elles ont désormais les outils institutionnels et législatifs pour se débrouiller.

Je lui ai demandé quelles étaient les priorités de l’organisme, ce à quoi elle avait répondu que la discrimination, la pauvreté et les conditions de vie des femmes des pays émergents et des Premières Nations (du Nord au Sud) figuraient en haut de la liste.

C’est ce qui fait que les pays riches, dont nous sommes, ont un rôle à jouer dans l’amélioration des conditions de vie des femmes et des familles du monde entier, sans oublier le travail qu’il reste à faire ici même. Et faire tout cela dans une perspective décolonisatrice.

C’est ce à quoi s’est attaqué le Comité consultatif sur l’égalité des sexes pour la présidence canadienne du G7, initiative de notre premier ministre féministe. Dans son rapport publié la semaine dernière, à l’occasion de la réunion internationale, le Comité s’est d’ailleurs arrimé au mouvement de fond qui traverse tous les continents, comme on peut le lire : « Dans les communautés du monde entier, des mouvements comme #metoo, #balancetonporc, #MyDressMyChoice et #Cuentalo, signalent une nouvelle vague de militantisme citoyen, mettant en lumière l’inégalité entre les sexes et exigeant la responsabilité de tous. » Nous pourrions en ajouter d’autres, dont celui des femmes latino-américaines, #niunamenos, qui dénonce les féminicides, comme ceux que nous connaissons au Canada.

Ambition féministe

Piloté par les deux coprésidentes Isabelle Hudon et Melinda Gates, et comptant parmi ses membres Winnie Byanyima, directrice générale d’Oxfam international, ainsi que Phumzile Mlambo-Ngcuka, directrice exécutive d’ONU Femmes, le Comité recommande donc des investissements ambitieux, des services publics (comme des services de garde payés par l’État, ce que le Canada n’a pas encore, tout pays riche soit-il), des protections sociales, une valorisation des soins, le partage des tâches domestiques équitable, l’instruction pour les filles ainsi qu’une économie écologiquement durable. 

Les signataires recommandent aussi une transparence efficace concernant les impacts des choix politiques et la présence équitable de femmes dans les milieux décisionnels politiques et institutionnels.

On souhaite en somme instaurer la paix, la sécurité pour les femmes, la fin de la violence et le développement de mouvements féministes. C’est ambitieux, et c’est tant mieux.

Vers la gauche

On a beau trouver parfois des féministes à droite du spectre politique, c’est quand même à gauche que se situeront les changements et la vision progressistes que le Comité appelle de tous ses vœux. La conception néo-libérale actuelle du travail, la dévalorisation de la politique et des institutions publiques, le fait qu’on les désinvestisse à la fois humainement et financièrement nous dirige dans le sens contraire de l’atteinte de l’égalité entre les femmes et les hommes.

On a beau créer un Comité de l’égalité des sexes, et j’en suis, il faudra que les gouvernements et les politiciens se montrent courageux, audacieux, décidés. Qu’ils imposent des idées à contre-courant, car personne, dans nos pays balayés par le vent de droite, ne veut payer plus d’impôt ni travailler davantage au bien commun.

Qu’allons-nous faire, alors, pour réaliser les recommandations de ce Comité de l’égalité des sexes ?

La clé de l’économie

La justice et l’égalité sont des valeurs suffisamment fortes pour exiger que les vœux du Comité se réalisent. Mais pour convaincre tout le monde, peut-être faudra-t-il s’atteler à démontrer l’intérêt économique de l’égalité. 

Incidemment, un nouveau rapport de l’OCDE, publié le 14 mai dernier (Is the Last Mile the Longest ? Economic Gains from Gender Equality in Nordic Countries), explique en long et en large à quel point ce sont les politiques sociales et favorables à la famille, mises en place depuis près de 50 ans, qui ont fait grimper le PIB des pays nordiques. Pour le secrétaire général de l’OCDE, Angel Guener, l’égalité entre les sexes est « à la fois un droit humain fondamental et un facteur essentiel de croissance inclusive ».

On a beau lever les yeux au ciel en entendant (encore) parler des pays nordiques qui, d’ailleurs, sont imparfaits, et non exempts de problèmes sociaux, ils demeurent des modèles en matière d’égalité des sexes.

Une occasion à saisir

Surtout, ils font la preuve que progrès social et succès économique vont de pair. Bien sûr, pour ça, il faut croire au bien collectif et au partage de la richesse ; il faut croire surtout en la force des institutions politiques et publiques. Trois éléments qui sont bien fragiles au Québec et au Canada.

Mettre au programme du G7 et des priorités politiques du Canada l’égalité des sexes, voilà qui donne un nouveau visage aux rencontres internationales et à la géopolitique actuelle. On est peut-être en train de dessiner une sorte d’internationale féministe, qui aurait semblé utopique voilà seulement cinq ans.

Il faut saisir l’occasion pour que cela se traduise dans la vie politique, la vie publique et les institutions démocratiques et cela doit commencer ici, au Canada.

Nous avons un premier ministre féministe, ce qui est fabuleux. Il faut maintenant donner l’exemple. Une idée ? On pourrait commencer par la base : créer un service de garde public, d’un océan à l’autre.

Un beau projet pour la prochaine année électorale fédérale.

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