HoMa contre Hochelag’

Au pays du condo

Carole Poirier est aux premières loges de la transformation de son quartier depuis 2002. Celle qui y a grandi, qui a été adjointe de la députée Louise Harel, puis députée elle-même, défendait bec et ongles ce qu’elle voyait comme une revitalisation saine. Jusqu’à ce que le phénomène de la copropriété n’entame le fragile équilibre qui régnait au pays du condo.

Mme Poirier se souvient très bien des désastreuses années 90. Les maisons abandonnées se propageaient comme des métastases dans le quartier. « Il fallait stopper le cancer. » Une séquence de transformation des anciennes usines s’est enclenchée, de concert avec les plans de la toute nouvelle place Valois. Au total, depuis 15 ans, près de 3300 condos se sont bâtis dans le quartier. Le phénomène était au départ positif, croit Mme Poirier, puisqu’il ajoutait une nouvelle population au quartier.

En parallèle, fait-elle remarquer, on a pris soin de bâtir aussi du logement social. Les édiles brandissent tous le chiffre magique de 17 % de logements sociaux dans les nouvelles constructions. Il est trompeur, car il concerne l’ensemble de l’arrondissement, ce qui inclut le secteur Mercier. Néanmoins, il est indéniable que Mercier–Hochelaga-Maisonneuve s’est doté de mesures pour l’inclusion : lorsqu’un promoteur construit 100 logements ou plus, il doit en consacrer 10 à 15 % à du logement social.

Et pour les démunis, on a bâti du beau : certains de ces immeubles qui abritent des coopératives de logement ont gagné des prix d’architecture. « On a réussi à faire des condos et du logement social sans qu’ils se distinguent visuellement. Il y a régulièrement des coops de logement qui se font taguer “À bas les condos”. C’est notre plus belle réussite », dit Mme Poirier.

VOL DE LOGEMENTS

Mais autour de 2010, un nouveau phénomène qui progressait de façon souterraine est devenu bien visible. « On voyait des affiches à vendre à tous les étages d’un immeuble. Vous rénovez, vous mettez vos locataires dehors et vous transformez votre édifice en condos, explique Mme Poirier. Ça, c’est la transformation indivise. Et ça prend de l’ampleur. Au cours des cinq dernières années, j’ai dit le mot “indivise” tous les jours. C’est un phénomène insidieux, qui vole des logements aux locataires. »

Gilles Sénécal et Nathalie Vachon, tous deux de l’Institut national de recherche scientifique, ont documenté le phénomène. Selon leurs calculs, Hochelaga-Maisonneuve a ainsi perdu 835 logements, transformés en copropriétés. Sur l’ensemble des 27 000 logements du quartier, c’est peu, disent les chercheurs, mais le phénomène ira en s’intensifiant, croient-ils, à cause des prix de l’immobilier qui ne cessent de grimper.

Et les victimes, ce sont les locataires. Les plus chanceux se font offrir une somme pour partir. « On leur offre 2000 $ ou 3000 $ pour partir », dit Jonathan Aspireault-Massé, ancien coordonnateur du comité BAILS dans le quartier.

« Dans d’autres cas, les proprios font de l’intimidation, du harcèlement. Certains locataires quittent par simple méconnaissance de leurs droits. »

— Jonathan Aspireault-Massé, ancien coordonnateur du comité BAILS

Et cette dérive, la députée Carole Poirier l’a personnellement vécue. Ses parents âgés de près de 80 ans ont été évincés de leur logement, où ils habitaient depuis 25 ans, par un propriétaire qui a totalement refait l’immeuble. Leur loyer mensuel s’élevait à 480 $. Ils ont été incapables de trouver un logement équivalent à moins de 800 $.

« Je leur ai acheté un condo, que je les aide à payer. Sinon, ils auraient dû quitter le quartier. »

Pour le maire de l’arrondissement, Réal Ménard, la situation est inquiétante, mais pas catastrophique. « Non, ça ne se trouve plus, des cinq et demi à 500 $. Est-ce qu’il y a eu une montée des prix ? Incontestablement. Mais on n’est pas le Plateau : il n’y a pas une éviction de la clientèle du quartier. »

EXODE DES FAMILLES

Pourtant, toutes les semaines, le Dr Gilles Julien voit des familles dont il suit parfois les enfants depuis des années être forcées de quitter le quartier.

Certaines familles consacrent 90 % de leur revenu au loyer, explique-t-il. « C’est devenu beaucoup plus difficile de trouver un logement à prix abordable, alors les gens se déplacent. » Certains partent plus à l’est dans l’île de Montréal, d’autres s’expatrient carrément à Sainte-Julienne ou en Abitibi.

« Oui, ça m’inquiète, dit le médecin. On essaie de les référer pour qu’elles trouvent un logement, mais on n’y arrive pas. Donc, on les perd. »

Un ménage sur quatre dans le quartier consacre plus de 50 % de son revenu au logement, et ce nombre est en constante augmentation, font valoir les porte-parole du comité BAILS. Les deux tiers des ménages sont locataires dans le quartier, et le loyer moyen d’un appartement deux chambres se situe entre 640 $ et 710 $.

« Je suis abasourdie par le prix des loyers. Un deux-chambres à 710 $, pour deux personnes qui travaillent au Dollarama, ils sont rendus à la banque alimentaire pour manger. »

— Carole Poirier, députée de Hochelaga-Maisonneuve

La députée dit recevoir régulièrement des appels à l’aide de familles pour trouver un logement à prix raisonnable.

« Il y a une différence énorme entre les loyers de deux logements identiques dont l’un des locataires est là depuis 10 ans et l’autre où les locataires se sont succédé, observe Guillaume Dostaler, du comité logement du quartier. C’est hallucinant. Ça n’a pas de sens de laisser le marché immobilier rendre les logements hors de la portée de la majorité des habitants du quartier. »

HoMa contre Hochelag’

COUPS D’ÉCLAT ANTI-EMBOURGEOISEMENT

2004

Six faux colis piégés sont posés devant des immeubles de condos ou des bureaux de promoteurs immobiliers dans le quartier. « Y en a marre de se faire virer de nos quartiers par les bien nantis, leurs condos de luxe et leurs cafés branchés », dit le Comité anti-gentrification dans un tract envoyé aux médias.

2013

Quatre commerces sont vandalisés dans le quartier. Le Chasseur, Bagatelle, Le Valois et In Vivo voient leurs vitrines fracassées par des militants anti-embourgeoisement. « Sous vos airs de jeunes entrepreneurs joyeux et sans scrupules, votre seul but est de coloniser nos quartiers. Vous n’êtes pas en sécurité dans notre quartier. »

2016

En février, la boutique Electrik Kids, le restaurant Les Affamés et le comptoir alimentaire Antidote se retrouvent avec des vitrines éclatées ou couvertes de peinture. « Fuck cet univers de consommateurs et de proprios voleurs ! Fuck la police qui les protège ! », peut-on lire sur le tract laissé à la station de métro Préfontaine.

2016

En avril, un attentat anti-embourgeoisement avorte après l’appel d’un citoyen au 911. Les policiers qui arrivent sur place se font attaquer par un groupe d’une vingtaine de personnes qui lancent des engins incendiaires. La scène est filmée par un citoyen du quartier et fait le tour du web. La police découvre par la suite que l’attentat était planifié.

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