Chronique

Champ de bataille

La guerre n’est pas encore gagnée, mais la protection du droit d’auteur a remporté une grosse bataille au cours des derniers jours. Le combat qui oppose Copibec à l’Université Laval a connu un rebondissement jeudi lorsque la Cour d’appel a autorisé l’organisme à procéder à une action collective qui devra être entendue plus tard par la Cour supérieure. Pour ceux qui n’auraient pas suivi cette affaire, voici un rappel des faits.

En novembre 2014, Copibec, l’organisme chargé de prélever les droits d’auteur liés aux reproductions de textes pour les éditeurs et les auteurs, déposait une poursuite contre l’Université Laval. Cet établissement qui, selon Copibec, reproduit chaque année une dizaine de millions de pages tirées d’œuvres québécoises, canadiennes ou étrangères, n’avait pas renouvelé sa licence qui l’autorisait à faire légalement ces reproductions. Cette licence coûtait annuellement environ 640 000 $ à l’Université Laval.

L’Université Laval avait décidé de ne pas renouveler sa licence, car elle prétendait qu’elle n’avait pas besoin de payer pour photocopier des extraits de livres. Pour justifier cette décision, elle s’appuyait sur la Loi sur le droit d’auteur fédérale et invoquait une interprétation de la loi qui, selon elle, lui permettait de reproduire jusqu’à 10 % d’une œuvre sans payer de droits. Personne ne sait d’où vient cette interprétation, car elle n’apparaît nulle part dans la loi. La loi parle plutôt d’une « utilisation équitable » et selon des critères bien précis. 

Cette interprétation de la loi de la part de l’Université Laval a d’ailleurs reçu la bénédiction de la ministre de l’Enseignement supérieur Hélène David, qui, en décembre dernier, a affirmé que l’Université Laval agissait « en accord avec le principe des droits d’auteur du gouvernement fédéral ». Dans une explication peu convaincante qui m’a été envoyée vendredi après-midi par courriel, l’Université Laval tente de justifier son choix de ne plus collaborer avec Copibec et de gérer elle-même ses « pratiques de gestion du droit d’auteur ».

À deux reprises, des lettres signées par des dizaines d’auteurs, dont Michel Tremblay, Marie Laberge, Yann Martel, Michel Marc Bouchard, Arlette Cousture et Nicolas Dickner, ont été publiées dans les journaux afin de dénoncer la situation.

Donc, après un refus de la Cour supérieure en février 2016, la Cour d’appel vient de donner raison à Copibec. Dans un jugement limpide et qui ne prend pas de détours, le tribunal autorise Copibec à procéder à une action collective. L’organisme réclamait au départ 4 millions de dollars à l’Université Laval. La réclamation s’élève maintenant à 7 millions de dollars, m’a confirmé Me Daniel Payette, le procureur qui a défendu Copibec dans cette cause (5 millions en redevances impayées, 1 million en dommages moraux et 1 million en dommages exemplaires).

Je ne sais pas combien touchera Copibec au bout du compte et encore moins combien recevront les auteurs et les éditeurs, si le jugement leur est favorable. Ce que je sais, c’est que cette décision envoie un message aux établissements d’enseignement qui seraient tentés d’imiter leur confrère. Pour le moment, l’Université Laval est le seul établissement québécois avec lequel Copibec a connu une mésentente de la sorte.

Une nécessité pour les auteurs

Les auteurs québécois gagnent en moyenne 2450 $ par année. Seuls quelques rares écrivains ou personnalités reçoivent une somme substantielle pour la vente d’un ouvrage. Dans la chaîne du livre, les auteurs touchent la plus petite part (auteur : 10 % ; distributeur : 20 % ; éditeur : 30 % ; libraire : 40 %). Ce partage est publié sur le site de l’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ).

Bref, pour un livre vendu 30 $ en librairie, l’auteur reçoit 3 $ pour chaque exemplaire vendu. S’il vend 2000 exemplaires, un chiffre honorable au Québec, il touchera au total environ 6000 $. Tout cela pour plusieurs mois de labeur.

Il est donc tout à fait normal qu’un auteur réclame les redevances qui sont liées à la reproduction de son œuvre, surtout de la part d’un lieu de savoir qui regorge de chercheurs et d’auteurs.

Cette décision du tribunal donnera peut-être de l’énergie aux auteurs dans leur participation à une autre bataille qui a lieu en ce moment. Celle-ci oppose les librairies indépendantes et les librairies à grande surface. Les premières craignent d’être écrasées par ces mégalibrairies que l’on retrouve partout au pays.

Mais au-delà de la survie des librairies indépendantes, il y a les effets pervers du monopole sur les éditeurs et les auteurs. Imaginez un instant qu’une mégalibrairie ne s’entende pas avec un éditeur et décide de ne pas vendre ses livres. Qui écopera de cette décision ? L’éditeur, bien sûr, mais aussi l’auteur. Le danger, il est là. La crainte, elle est là.

Cela voudrait dire que les centaines d’exemplaires du livre sur lequel un auteur aura planché pendant des mois pourraient se retrouver à pourrir dans un entrepôt en attendant de se faire gruger par les rats.

Et finir sa vie en se faisant gruger par les rats, personne n’a envie de cela.

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