Éditorial : Françoise David

Le départ d’un mégaphone

Ce n’est pas en défendant les assistés sociaux qu’on remporte une élection, ni même qu’on fait les manchettes. En fait, il n’y a pas grand-chose à « gagner ».

On pourrait dire la même chose des toxicomanes amputés de leur aide, ou des aînés évincés de leur logement. Ces poqués se trouvent souvent dans l’angle mort de la politique. Pris dans le dalot, d’où ils regardent l’économie qui continue de rouler.

Voilà le grand legs de Françoise David : avoir amené la gauche de la rue à l’Assemblée nationale, et y avoir servi de porte-parole pour les sans-voix.

Elle fut leur mégaphone.

La députée de Québec solidaire a démissionné hier. Âgée de 69 ans, elle se disait fatiguée et craignait un burn-out. Sans la transformer en sainte ni exagérer son influence, on doit souligner sa contribution à la lutte pour la justice sociale.

Si les gens poqués sont oubliés, ce n’est pas que pour des raisons stratégiques ou idéologiques. C’est aussi parce que le pouvoir ne les voit tout simplement plus. Le toxicomane ou l’assisté social n’est pas la personne qu’un ministre risque le plus de croiser au bureau ou dans une assemblée partisane. Bien sûr, des dossiers atterrissent sur le bureau de circonscription, mais il y en a plusieurs autres sur la pile.

Les statistiques ne suffisent pas à susciter l’empathie. Il faut un peu de contact humain. Mme David avait cette sensibilité, elle qui a longtemps œuvré dans le milieu communautaire.

En 2006, Québec solidaire naît de la fusion entre son mouvement Option citoyenne et l’Union des forces progressistes, le parti d’Amir Khadir. Cela allait mener à l’arrivée pour la première fois à l’Assemblée nationale d’un parti résolument de gauche.

La gauche a toujours été tiraillée entre la pureté et le pragmatisme. Entre la tentation d’avoir raison devant les caméras et celle de faire avancer ses idées, avec le compromis que cela exige parfois. Bien sûr, cet équilibre est infiniment plus facile à trouver dans l’opposition, quand on ne subit jamais le test d’une décision impopulaire…

M. Khadir incarne l’approche militante, avec les coups de gueule qui mobilisent mais polarisent.

Mme David provenait quant à elle de la gauche communautaire, où il y a un temps pour dénoncer et un autre pour négocier en coulisses.

Cette approche l’a aidée à percer à Québec le mur de la partisanerie. En juin dernier, elle a convaincu le gouvernement libéral d’adopter une loi qui protège les locataires aînés. Et l’automne dernier, elle a fait de modestes gains avec le projet de loi sur les assistés sociaux.

Le ministre de l’Emploi, François Blais, avait une approche autistique. Il jonglait avec les chiffres et études européennes, sans trop écouter ceux qui vivaient le problème au quotidien. Avec l’aide de l’opposition péquiste, Mme David a trouvé un interlocuteur au gouvernement libéral pour modifier la loi. La réforme ne s’appliquera pas aux nouveaux demandeurs, et ses impacts seront réévalués dans deux ans. En échange, l’opposition a cessé son obstruction, ce qui lui a permis de voter contre sans forcer le bâillon.

Après 10 ans, les progrès de Québec solidaire restent modestes. Même s’il gagne des appuis à chaque élection, le parti ne compte que trois députés, ce qui l’empêche d’être reconnu officiellement à l’Assemblée nationale. Il n’a jamais récolté plus de 7,6 % des votes et peine à déborder de son tronçon de la ligne orange de Montréal.

Malgré ce faible rapport de force, Mme David a tout de même réussi à laisser sa marque. Lorsque nécessaire avec des compromis sans compromission, car un petit gain vaut mieux que rien du tout.

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