Attentat à Nice

L’anxiété atteint le Québec

Depuis jeudi soir, alors que Nice était plongée dans l’horreur, les patients de la psychologue Pascale Brillon, spécialisée en stress post-traumatique, réagissent fortement. Ses services, tout comme ceux de collègues, sont très sollicités. Dans plusieurs cliniques, le téléphone ne dérougit pas.

« Mes patients réagissent très fortement depuis jeudi. Ils ressentent plus de détresse, de colère ; ils ont plus de flash-backs. La tristesse remonte », indique Mme Brillon, directrice de l’Institut Alpha, à Montréal.

Dans sa clientèle, elle compte des survivants du 11 septembre 2001, des policiers qui ont survécu à des fusillades, des militaires qui ont été témoins de bombardements, des parents d’enfants assassinés. « On peut comprendre que la tragédie de Nice puisse faire remonter des souvenirs douloureux. »

« Quand survient un attentat, ça paraît clairement dans ma pratique. Il y a une augmentation de la clientèle, affirme de son côté Ghaïst Touma, psychologue et consultant en situation de crise. Chez les personnes fragiles, qui ont déjà vécu des traumatismes, ces événements réactivent les structures de peur. » M. Touma a été appelé à intervenir à Ottawa, après la fusillade au parlement.

« Lors d’attentats, de catastrophes ou d’épidémies, les psychologues qui travaillent dans les cliniques de troubles anxieux notent une exacerbation de l’anxiété chez les gens qui ont une prédisposition », dit Christine Grou, présidente de l’Ordre des psychologues du Québec.

« La proximité est un facteur d’anxiété. Plus c’est proche de nous, plus on est capable de s’identifier aux victimes –  on se dit que ça aurait pu être nous –, plus l’impact est marqué. »

— Christine Grou, présidente de l’Ordre des psychologues du Québec

« Certaines personnes, plus intolérantes à l’incertitude, qui ont tendance à se faire des scénarios catastrophes, peuvent se sentir menacées, explique Mme Brillon. Quand on parlait des risques de la grippe H1N1, il y a eu beaucoup plus de cas à l’institut. Les gens avaient peur d’être contaminés, traînaient du savon désinfectant avec eux. Il y avait plus de troubles obsessionnels, plus de troubles hypocondriaques. »

MENACE RÉELLE, MALAISE NORMAL

Parce que, depuis plus d’un an, on assiste à une répétition d’attentats terroristes en Occident, « la menace apparaît plus présente », selon M. Touma. « La conception de la notion de sécurité est en train de changer. Avant, l’ennemi venait de l’extérieur. On sait maintenant qu’il peut surgir n’importe où. Il peut être à Ottawa, à Orlando, à Nice. »

La diffusion de ces événements alimente l’anxiété, souligne Mme Brillon. « Il y a 50 ou 100 ans, il y avait beaucoup plus de crimes. Il y avait autant d’horreur sur les champs de bataille. Maintenant, à cause de cette facilité médiatique, on voit l’horreur en boucle. On a l’impression que c’est beaucoup plus présent, alors que c’est totalement faux. »

Devant cette horreur, certains individus peuvent se sentir mal, avoir des troubles de sommeil. « Ça vient créer une sensation d’insécurité plus générale, ça touche à notre façon d’entrer en relation avec les autres, dit M. Touma. On devient hypervigilant. »

« Il s’agit de symptômes normaux à un événement anormal, on doit se permettre de les vivre, précise Mme Brillon. Toutefois, s’ils persistent plus d’un mois, si vous organisez votre quotidien en fonction de vos peurs, il serait indiqué de consulter.  »

Expatriés et impuissance

Les expatriés peuvent vivre très difficilement les attentats dans leur pays natal. « Si on a de la famille sur place, on peut être sans nouvelles pendant quelques heures. On peut vivre la peur de sa vie », dit M. Touma. Et même développer un stress post-traumatique par procuration, souligne-t-il. La distance crée un sentiment d’impuissance et de culpabilité, ajoute Mme Brillon. « On aimerait être sur place pour aider et témoigner des événements. On a l’impression d’être au mauvais endroit au mauvais moment, d’abandonner les gens là-bas. »

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