OPINION

PROTECTION DE LA JEUNESSE
Aucun enfant ne sera laissé de côté

Dans la foulée de l’évènement tragique du mois dernier qui a secoué le Québec – la mort de la petite fille à Granby –, le gouvernement de François Legault a officialisé la mise sur pied de la commission spéciale sur les services de la protection de la jeunesse.

Cette initiative aura pour mandat d’entamer une réflexion sur le cadre législatif et le rôle des acteurs de différents réseaux qui contribuent à la protection de la jeunesse.

Bien que Boscoville et ses partenaires accueillent positivement l’ensemble des mandats de la commission, nous constatons que l’attention médiatique s’est principalement tournée vers une remise en cause de l’organisation des services dans les CISSS et CIUSSS (pénurie de ressources humaines, charge de travail très élevée pour les intervenants, augmentation des signalements et grande complexité des problématiques à traiter).

Malgré le bien-fondé de ces problématiques, peu de débats ont ciblé l’importance de mettre en œuvre des pratiques cliniques efficaces et probantes en protection de la jeunesse afin de répondre aux besoins spécifiques et particuliers de ces enfants.

Cette perspective entourant les services cliniques offerts aux enfants et aux familles les plus vulnérables est pourtant source de réflexions et de questionnements depuis longtemps. Déjà en 1999, le rapport Gendreau-Tardif, qui avaient été mandatés pour poser un diagnostic sur les services en protection de la jeunesse, soulevait le profond «[…] malaise entourant la pratique, la place et le sens de la réadaptation au Québec […]. »

Ce rapport identifiait trois axes prioritaires pour renforcer les compétences cliniques des intervenants, en l’occurrence les connaissances, le soutien clinique et professionnel, et l’évaluation des approches et des résultats.

Le travail quotidien auprès de ces enfants victimes de maltraitance et porteurs de multiples séquelles peut parfois entraîner de la fatigue, de l’impuissance et de l’incompréhension chez les intervenants qui ont le mandat de répondre aux besoins très complexes de ces enfants.

Ce constat est d’autant plus inquiétant considérant le peu de temps et de ressources consacrées aux intervenants afin qu’ils restent à l’affût des avancées scientifiques pouvant éclairer le développement et la consolidation de leurs savoirs et de leur savoir-faire.

Des modèles qui ont fait leurs preuves

Le soutien au réseau devrait donc s’actualiser par des formations sur les pratiques, les modèles et les approches qui ont fait leurs preuves auprès des enfants et des familles vulnérables (approche axée sur le trauma, intervention sur l’attachement, soutien au comportement positif, approche systémique, modèle psychoéducatif, etc.).

Depuis plusieurs années, Boscoville côtoie différents milieux, dont les CISSS et CIUSSS, dans le cadre de la mise en œuvre de pratiques professionnelles. Cela nous a permis d’observer que la simple formation sans un suivi et un accompagnement des intervenants ne suffisait pas à maintenir des changements thérapeutiques à long terme.

Les études à ce sujet montrent que pour bien appliquer les connaissances scientifiques en contexte d’intervention, il faut mettre en place certaines conditions essentielles telles que le soutien administratif, le soutien clinique et la rétroaction positive et continue. Ces formes de soutien favorisent la pérennité et l’amélioration continue des pratiques.

Finalement, le partenariat avec les universités et les chercheurs nous permet d’évaluer l’efficacité des interventions en place. En évaluant les effets et la mise en œuvre des pratiques ciblées, nous sommes en mesure de déterminer non seulement si les interventions mises en place répondent aux besoins des enfants, mais également quelles approches et quels modèles rendent le travail des intervenants plus efficace et sensible à la réalité des enfants.

Boscoville est un témoin privilégié de l’engagement et de la bienveillance des intervenants œuvrant auprès de ces enfants.

Le travail difficile qu’ils doivent faire au quotidien nécessite un accompagnement par des intervenants bien formés, disponibles et soutenus par une organisation qui favorise la mise en place des pratiques professionnelles basées sur des approches qui ont fait leurs preuves.

Les directions des programmes jeunesse et de la DPJ dans les CISSS et CIUSSS, conformément au mandat de protection qui leur est confié, sont les instances les mieux positionnées pour se doter de pratiques et de stratégies d’intervention qui leur permettraient de répondre à ce défi en offrant notamment un environnement sécurisant, positif et apaisant tout en créant une alliance thérapeutique teintée de bienveillance, de chaleur et de sensibilité.

Le débat sur les pratiques professionnelles ne date pas d’hier, mais encore aujourd’hui, tel que le stipule le plus récent cadre de référence sur l’application des mesures en protection de la jeunesse de l’INESSS (2019) : « Les interventions doivent s’appuyer sur des pratiques probantes et reconnues et réalisées par des intervenants hautement qualifiés […]. »

Comme l’évènement tragique de Granby n’a laissé personne indifférent, nous espérons que les débats qui seront entamés par la commission seront une occasion pour bonifier notre modèle de protection de l’enfance dans son soutien aux besoins de chaque enfant qui se trouve en situation de vulnérabilité.

* Boscoville est un centre qui favorise le développement des jeunes de 0 à 30 ans en mettant de l’avant, par l’innovation sociale, des actions de prévention et d’intervention adaptées aux défis que rencontrent ces jeunes dans différents milieux de vie.

** Signataires, chercheurs-partenaires à Boscoville : 

Denise Brend, chercheuse à l’Université McGill, Centre for Research on Children and Families ; Delphine Collin-Vézina, titulaire de la chaire de recherche du Canada junior en aide sociale à l’enfance et de la chaire Nicolas Steinmetz et Gilles Julien en pédiatrie sociale en communauté, Université McGill ; Julien Desautels, candidat au doctorat en psychoéducation, chargé de cours au département de psychoéducation, Université de Sherbrooke ; Denis Lafortune, professeur titulaire à l’École de criminologie de l’Université de Montréal, directeur scientifique de l’institut universitaire jeunes en difficulté du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal ; Nadine Lanctôt, professeure agrégée et responsable du doctorat en psychoéducation à l’Université de Sherbrooke, titulaire de la chaire de recherche du Canada sur la délinquance chez les adolescents et les adolescentes ; Frédéric N.-Brière, professeur adjoint à l’École de psychoéducation, Université de Montréal

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