Obligation alimentaire

Mes enfants sont ma retraite !

Les enfants à la rescousse financière de leurs parents âgés, qu’ils le veuillent ou non ?

Un père pourrait-il obliger son fils – et sa belle-fille ! – à le soutenir financièrement ? C’est l’inquiétude de la conjointe d’un homme de 30 ans dont le père « est de longue date financièrement irresponsable », décrit-elle.

L’homme dans la soixantaine « a d’importantes dettes et n’a encore mis aucun argent de côté pour ses vieux jours ».

À ses frères et sœurs qui se préoccupaient de sa situation financière, l’homme aurait répondu que « ses enfants sont sa retraite », relate-t-elle.

« Dernièrement, il aurait avoué songer à trouver des moyens de pression concrets pour demander du soutien financier à ses enfants adultes. »

Elle s’inquiète : un père, même « financièrement irresponsable », dispose-t-il des leviers légaux pour obliger ses enfants à lui verser une forme de pension alimentaire ?

La responsabilité de leurs conjoints serait-elle engagée ?

« Je peux imaginer qu’avec le vieillissement de la population québécoise, il pourrait éventuellement s’agir d’un problème important », pose-t-elle.

Les aliments du Code civil

« Elle a des raisons de se faire du souci », observe l’avocate Hélène Guay, spécialiste du droit de la santé, de la personne et des aînés.

En effet, « notre Code civil énonce le principe de la solidarité familiale », expose-t-elle.

Les « parents en ligne directe au premier degré » sont le père, la mère et leurs enfants.

« Aliments » a ici le sens de « ce qui est nécessaire à l’entretien d’une personne dans le besoin » : nourriture, logement, vêtements, soins médicaux, etc.

Et la formule « se doivent » indique une responsabilité commune.

« Théoriquement, l’obligation alimentaire est en effet réciproque », commente Alain Roy, docteur en droit et professeur à la faculté de droit de l’Université de Montréal.

« Une personne pourrait donc devoir payer une pension alimentaire à un parent âgé qui est dans le besoin », confirment Mireille Castelli et Dominique Goubau, dans leur ouvrage Le droit de la famille au Québec.

Mais est-ce fréquent ?

Peu de cas 

En matière d’aliments envers ses parents, la jurisprudence donne très peu à mâcher. Me Hélène Guay n’a repéré que sept causes entendues depuis 30 ans, dont cinq requêtes rejetées.

« Pour différents motifs, indique-t-elle. Chacune est un cas d’espèce. Il faut regarder chaque cas selon sa valeur, suivant la situation, et de l’aîné, et de l’enfant. »

Lors d’une requête en justice, le parent devra faire la démonstration « qu’il est dans le besoin, et qu’il ne peut pas répondre à ses propres besoins », souligne l’avocate.

Le tribunal évaluera donc ses revenus, ses actifs, ainsi que ceux de son conjoint.

« Il faudra aussi, et c’est important, que les enfants aient la capacité financière de payer », ajoute-t-elle.

La majorité des requêtes ont été rejetées sur l’un de ces deux points.

La solidarité avant le tribunal

Pourquoi ces requêtes en justice sont-elles si rares ?

En partie en raison de « la méconnaissance de l’existence d’une telle solidarité familiale », évoque Me Guay.

La question n’a jamais été soulevée ni dans son cabinet ni lors des nombreuses conférences qu’elle prononce devant les aînés. « Il y a quand même beaucoup de besoins, constate-t-elle. C’est ce que je vois dans mon quotidien, depuis 30 ans. »

Mais les démarches sont lourdes et coûteuses. 

« Il faut d’abord saisir un tribunal. Il faut donc consulter, retenir un avocat et faire une procédure à la cour. »

— L’avocate Hélène Guay

En outre, « ce n’est pas toutes les causes qui se rendent à procès, pour lesquelles il y aura un jugement rendu ».

Mais surtout, les enfants aident leurs parents en difficulté sans qu’il soit nécessaire de recourir aux tribunaux.

Dans un jugement de 1997, le juge André Denis a accordé une pension alimentaire aux parents. Il notait que « dans le meilleur des mondes, la solidarité familiale est une obligation morale et éthique et s’impose d’elle-même. À défaut, comme dans le cas présent, elle demeure une obligation légale ».

Pendant ce temps, en France…

Ces mesures sont les reliquats du Code civil français, instauré par Napoléon, qui a largement inspiré le Code civil québécois. En France, non seulement les enfants doivent une aide en nature ou matérielle à leurs parents dans le besoin, mais les alliés en ligne directe – gendres et belles-filles – ont eux aussi des responsabilités à cet égard. Pour évaluer la capacité de l’enfant à venir en aide à ses parents, tous les revenus sont pris en compte, y compris ceux de son époux. Même les petits-enfants, à défaut de parents plus proches, peuvent être appelés à contribution.

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