BLOC-NOTES

Un club de lecture à La Presse

Envie d’échanger vos impressions, de partager votre passion pour les livres ? Dès la semaine prochaine, le tout nouveau club de lecture de La Presse vous en donnera l’occasion. Régulièrement, l’équipe des Arts vous soumettra un titre en vous demandant de le critiquer, en 200 mots maximum.

Nous commencerons le dimanche 21 septembre avec La ballade d’Ali Baba, de Catherine Mavrikakis, un des romans québécois les plus attendus de la rentrée littéraire, qui est en librairie depuis une dizaine de jours. Rendez-vous la semaine prochaine à lapresse.ca dans le nouveau blogue Club de lecture. Nous avons très hâte de vous lire !

— Josée Lapointe, La Presse

ROMAN QUÉBÉCOIS GHAYAS HACHEM

Jouer à la guerre

Play Boys

Ghayas Hachem

Boréal, 216 pages

Le premier roman de Ghayas Hachem, Play Boys, vient de sortir chez Boréal. Dans cette histoire se déroulant au Liban, des garçons jouent à la guerre et se font mal… pour vrai.

Les enfants jouent, inventent, fantasment. Quand la guerre fait rage hors des murs, comme à Beyrouth dans les années 80, le jeu peut devenir réel ; il peut même être cruel. Bref, ce n’est plus tout à fait un jeu.

« Dans les années 80 au Liban, il n’y avait pas de bleu dans le ciel. L’univers dans Play Boys en est imprégné. On sent la menace constante, c’est froid, c’est sombre. La chaleur et la lumière, il faut les chercher dans le fantasme », explique Ghayas Hachem au sujet de son premier roman, paru chez Boréal.

Dans cette histoire qui sent le renfermé et la tristesse, trois cousins s’évadent comme ils peuvent. Incapables de sortir dans la rue, contrôlée par les milices, les presque adolescents s’inventent des pays, des frontières, des batailles et des amours.

« Ils essaient de s’approprier, de façon imaginaire, un pouvoir. S’ils en rêvent, c’est parce qu’ils savent qu’ils n’en ont pas », note l’enseignant en littérature de 40 ans.

Ils sont séduits aussi par un personnage, le « cow-boy », une espèce de mercenaire guerrier qui ressemble à un rockeur et qui tombe les filles.

« À cette époque, la démocratie était inexistante, poursuit le romancier. C’était la loi de la jungle. C’est peut-être un mécanisme de défense des enfants de vouloir s’approprier le pouvoir qu’ils voient aux miliciens. C’est le modèle qu’ils ont sous les yeux. »

Dans un tel monde viril, pour ne pas dire guerrier, les femmes – les mères des garçons, notamment – semblent assumer un rôle secondaire. « Les femmes, dans ce contexte, même si elles n’ont pas un rôle social toujours dominant, elles ont autrement le pouvoir, en filigrane, un pouvoir psychologique », indique-t-il.

LECTURE REFUGE

Arrivé à Montréal en 1988 à l’âge de 14 ans, Ghayas Hachem a toujours voulu écrire. L’adolescent s’est d’abord réfugié dans la lecture pour déjouer la solitude du nouvel arrivant. Il lisait, prenait des notes, se fabriquant peu à peu comme écrivain.

Tous les éléments de Play Boys sont fictifs, même si l’univers est bel et bien celui de Beyrouth où il a vécu dans les années 80. Les douleurs de l’enfance ne sont-elles pas universelles ?

« La situation du roman peut être très analogue à ce qui se passe à Gaza ou en Syrie en ce moment ou même dans une famille défavorisée de Montréal », fait-il remarquer.

« Il s’agit d’enfants qui s’ennuient, entourés d’adultes qui ont peur. »

Et les fantasmes ou l’évasion par le jeu ne sont pas que l’apanage des enfants. « Les miliciens tuent, volent et violent, dit-il. La plupart d’entre eux le vivaient comme un jeu. Ils se donnent des surnoms et imitent des vedettes de rock. Ils ne savent pas trop quoi faire avec le pouvoir qu’ils ont entre les mains. »

JULIEN GREEN

Ghayas Hachem a saisi, lui, très vite le pouvoir de l’écriture. Son premier coup de foudre littéraire se nomme Julien Green.

« J’ai tout lu et fait ma thèse de doctorat sur lui. Je voyais dans ses romans l’expression de choses que j’avais ressenties et que je n’avais pas pu exprimer. En écrivant, je me suis rendu compte qu’il était pour moi LE romancier. »

Play Boys en est imprégné. On y retrouve des thématiques chères à Green : l’ironie tragique, le climat d’emprisonnement, l’enfer des relations humaines. Écrivain homosexuel et croyant, Julien Green, décédé en 1998, n’est plus très lu aujourd’hui, et c’est dommage. L’Académicien était le maître des non-dits, ce qui, à la fois, intrigue et inspire Ghayas Hachem.

« Je trouve ça très difficile de parler de mon roman. Si on pouvait en parler, on ne l’écrirait pas. On écrit, notamment en romans, ce qu’on ne peut pas exprimer oralement », conclut-il.

EXTRAIT

Play Boys, de Ghayas Hachem

« J’attendis encore lâchement que Wissame et Ramzi décident par eux-mêmes que tout ce jeu était insignifiant et qu’il fallait y mettre fin. À ce moment seulement – en m’abandonnant à cette paresse morale, en espérant que le jeu se terminerait de lui-même, et en parvenant à réprimer mon désir de me lever pour prendre Wissame dans mes bras –, je compris vraiment que je venais de le trahir. Wissame s’en alla. C’était fini. Fini dans le sens d’achevé, accompli pour Ramzi. Dans celui de passé, détruit, pour moi. Je ne songeais plus désormais qu’à l’épouvantable défaite que j’avais observée sur le visage de Wissame. Ce visage qui était vite redevenu celui d’un enfant… »

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