Électrochocs

Dix questions
pour comprendre

Dès son apparition, en 1938, la thérapie par électrochocs a été abondamment utilisée en psychiatrie. Quoique peu encadrée et encore dénoncée aujourd’hui, la technique, autrefois utilisée à froid, a beaucoup évolué et donne des résultats parfois spectaculaires. En marge du colloque Électrochocs : on se tient au courant !, présenté en mai au congrès de l’ACFAS, nous avons voulu en savoir plus.

QU’EST-CE QUE LA THÉRAPIE
PAR ÉLECTROCHOCS ?

Appelée électroconvulsivothérapie (ECT), la thérapie par électrochocs consiste à envoyer une série d’ondes très brèves (de 0,3 à 2 millisecondes) d’un faible courant électrique dans le cerveau pendant tout au plus 8 secondes. L’objectif ? Déclencher une convulsion cérébrale. Sur place, un psychiatre, une infirmière et un anesthésiste s’assurent du bon déroulement de la séance. Le patient est placé sous anesthésie générale et reçoit un relaxant musculaire afin d’éviter toute secousse physique. La procédure est sans douleur. On oxygène le patient et on surveille ses signes vitaux jusqu’à son réveil. Le patient quitte l’établissement une heure après s’y être présenté.

QUELLES EN SONT LES PRINCIPALES INDICATIONS ?

On utilise ce traitement principalement chez les patients qui souffrent de dépression majeure récurrente et pour lesquels la pharmacologie et la psychothérapie n’ont pas eu de succès. « De 30 à 35 % des patients souffrent d’une dépression réfractaire au traitement. L’ECT n’est jamais proposée d’emblée, il s’agit d’un traitement de dernier recours qui n’est pas banal », indique le Dr Simon Patry, psychiatre à l’Institut universitaire en santé mentale de Québec et directeur du Centre d’excellence en électroconvulsivothérapie du Québec (CEECTQ).

On propose aussi la thérapie par électrochocs dans des cas de maladie bipolaire, de manie aiguë, de catatonie et plus rarement dans la maladie de Parkinson, pour en traiter les symptômes. On intervient d’urgence lorsque la vie d’un patient est menacée, par exemple lors d’un refus alimentaire ou d’un risque élevé de suicide.

Un traitement comrend une douzaine de séances, à raison de deux ou trois séances par semaine. L’effet est rapide, parfois visible après une seule séance. Des séances d’entretien sont offertes à quelques semaines d’intervalle, et ce, de façon de plus en plus espacée, selon le rétablissement du patient.

QUELLE EST SON EFFICACITÉ ?

« Lors de dépression majeure réfractaire, elle fonctionne chez 60 % des patients », indique le Dr Patry. Dans les cas de catatonie, on parle d’une efficacité allant jusqu’à 90 %. « On sait maintenant que l’ECT est peu efficace dans les cas de troubles anxieux, d’abus de substances et de troubles alimentaires », ajoute le psychiatre. On ne parle pas nécessairement de guérison, mais d’une amélioration de l’état du patient.

COMMENT CELA FONCTIONNE-T-IL ?

Le mode d’action des électrochocs demeure mystérieux. Trois théories existent : l’ECT aurait un effet analogue aux antidépresseurs en influençant l’action des neurotransmetteurs ; elle modifierait les hormones de l’hypophyse ; ou son efficacité viendrait de la réponse anticonvulsive du cerveau. Des études (avec imagerie) suggèrent un effet positif sur la plasticité cérébrale.

L’ECT PEUT-ELLE OCCASIONNER DES EFFETS SECONDAIRES ?

Oui. Des nausées, une confusion, de la fatigue, des maux de tête et des douleurs musculaires peuvent survenir après une séance. Ces effets disparaissent rapidement. Toutefois, certains patients présentent des troubles cognitifs, comme une amnésie de type rétrograde, plusieurs semaines après le traitement. « Les gens récupèrent habituellement à l’intérieur de six mois, mais les séquelles peuvent être permanentes, souligne le Dr Patry. L’ECT, de même que l’anesthésie qui y est associée, n’est pas sans risques. Les effets secondaires ne sont pas à prendre à la légère. » À noter que l’hypertension crânienne, une lésion cérébrale, un récent infarctus ou une malformation cérébrale comptent parmi les contre-indications à ce type de traitement.

LES RISQUES PEUVENT-ILS ÊTRE RÉDUITS ?

Oui. « La forme et la longueur de l’onde, le nombre de traitements, l’âge du patient, sa condition physique ainsi que le positionnement des électrodes sur le crâne peuvent influencer sur la prévalence et la sévérité des effets secondaires », explique le Dr Patry. Ainsi, on sait depuis les années 90 que les ondes longues (2 ms) sont plus dommageables que les ondes plus courtes (0,3 ms). La méthode bitemporale s’avère également plus risquée que les méthodes bifrontale et unilatérale.

À noter que l’utilisation des ondes sinusoïdales (sans interruption), hautement délétères, est interdite au Canada depuis une vingtaine d’années. On utilise aujourd’hui des ondes carrées.

La méthode de titrage du seuil convulsif, de plus en plus utilisée, permet un traitement personnalisé et moins risqué, selon le Dr Patry. On établit la charge électrique la plus faible possible pour provoquer une convulsion cérébrale en tenant compte de plusieurs paramètres : l’âge du patient, sa condition physique, son sexe, sa consommation de médicaments, sa réaction cérébrale, etc. « Au vu des recherches effectuées, l’innocuité de l’ECT devrait augmenter davantage dans les années à venir », a écrit dans la revue Découvrir (avril 2014) Morgane Lemasson, coordonnatrice du CEECTQ et
co-organisatrice du colloque Électrochocs : on se tient au courant !.

LA PRATIQUE DE L’ECT EST-ELLE STANDARDISÉE ET ENCADRÉE AU QUÉBEC ?

Non. C’est d’ailleurs ce que dénonce le comité Pare-Chocs du groupe Action Autonomie, qui milite pour la défense des droits en santé mentale à Montréal. « Des gens ont subi des électrochocs et ç’a détruit leur vie. C’est aberrant qu’il n’y ait aucune surveillance de la pratique au Québec », dénonce Ghislain Goulet, porte-parole du comité. Il remet en question la qualité de l’information fournie aux patients et le processus de consentement.

En 2003, l’Agence d’évaluation des technologies et des modes d’intervention en santé (AETMIS) a émis plusieurs recommandations pour encadrer la pratique, mais le gouvernement n’y a pas donné suite. Mis sur pied en 2012 par les instituts universitaires en santé mentale du Québec, le Centre d’excellence en électroconvulsivothérapie du Québec (CEECTQ) s’est donné pour mission de « dépoussiérer ce rapport » et de « contribuer à une meilleure connaissance et à l’implantation des meilleures pratiques d’ECT au Québec ».

« La question du consentement est complexe. Le patient est souvent fragilisé face au médecin après des années de dépression. De l’autre côté, on lui dit qu’il va se faire torturer. La décision peut être difficile à prendre. »

— Morgane Lemasson, du CEECTQ, lors du colloque

CONCRÈTEMENT, QU’ENTEND FAIRE
LE CEECTQ ?

Rédiger un rapport sur l’état de la pratique (et colliger les statistiques de 1998 à 2012), mettre en place une surveillance de la pratique (avec l’Institut national de santé publique du Québec), créer un comité d’étude sur le consentement, mettre sur pied une formation scolaire et un programme de perfectionnement professionnel continu, mener une plateforme de recherche clinique.

« En Angleterre et en Australie, pays avant-gardistes dans les processus de régulation institutionnelle, on a vu un déclin de l’utilisation de l’ECT depuis qu’elle est balisée. »

— Dr Patry, qui souhaite la création rapide d’un registre

QU’EST-CE QUE SOUHAITENT LES OPPOSANTS À L’ECT ?

Son abolition complète. À Montréal comme ailleurs, des manifestants sortent dans les rues chaque année pour dénoncer les électrochocs en psychiatrie. « On minimise les effets secondaires des électrochocs, on parle d’un remède miracle alors que les preuves sont minces et les effets, temporaires. Des patients en gardent des séquelles permanentes », indique Ghislain Goulet, porte-parole du comité Pare-Chocs, et organisateur de la manifestation du 10 mai dernier. Il ne croit pas en la mission du CEECTQ, gouverné par des « centres promoteurs de l’ECT », dit-il. « Ils ne questionnent pas la pratique des électrochocs, ils veulent l’encadrer pour lui donner une meilleure crédibilité. »

POURQUOI CETTE THÉRAPIE FRAPPE-T-ELLE AUTANT L’IMAGINAIRE ?

À ses débuts, la technique a été appliquée à toutes les sauces, même à des fins punitives, et ce, parfois plusieurs fois par jour. Le type et la longueur des ondes utilisées alors causaient régulièrement des déficits cognitifs permanents. Sans compter les séquelles physiques. Jusqu’au milieu des années 50, on appliquait la technique « à froid », sans anesthésie et sans relaxant musculaire. Les crises convulsives étaient extrêmement violentes, rappelle Morgane Lemasson dans Découvrir. Les électrochocs laissaient « des traumatismes physiques irréversibles : fractures, luxations, tassements de vertèbres et arrachements ligamentaires ou tendineux », note-t-elle. Le cinéma en a fait des scènes spectaculaires et marquantes.

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