Opinion Jocelyn Maclure

Des bébés génétiquement modifiés ?

J’ai le bonheur de présider la Commission de l’éthique en science et en technologie (CEST) depuis janvier 2017. La CEST est un organisme qui relève du ministre québécois de l’Économie et de l’Innovation, mais qui est indépendant sur le plan de ses analyses et recommandations. Son mandat est de conseiller le gouvernement du Québec et de nourrir la réflexion des citoyens eu égard aux enjeux éthiques suscités par les découvertes scientifiques et les avancées technologiques.

Lorsque je suis entré en fonction, les deux percées technoscientifiques que je suivais avec le plus d’intérêt étaient celles concernant l’ « édition génomique », rendue possible principalement par la découverte des capacités du système moléculaire CRISPR-Cas9, et l’intelligence artificielle. J’ai été heureux de constater que le personnel de la CEST en était aux toutes premières étapes de projets d’avis sur ces deux enjeux.

Depuis ce temps, le battage médiatique et la frénésie entourant l’intelligence artificielle ont largement éclipsé l’intérêt pour l’ingénierie génomique, mais il ne faut surtout pas sous-estimer les impacts éthiques et sociaux qu’engendreraient les applications cliniques des biotechnologies permettant d’altérer le génome humain, en particulier lorsqu’il s’agit de modifier des cellules reproductives et des embryons humains.

L’édition du génome consiste à modifier intentionnellement l’ADN dans le but de changer des caractéristiques structurelles ou fonctionnelles précises dans un organisme.

Une biotechnologie comme CRISPR-Cas9 permet par exemple de viser une cible spécifique dans le génome et d’inactiver, de modifier, de supprimer ou de remplacer des gènes.

En clair, la modification intentionnelle du bagage génétique transmis par hérédité signifie que l’on donne la possibilité aux géniteurs de choisir certaines des caractéristiques génétiques de leurs enfants à naître, ce qui implique par le fait même que les êtres humains se donnent des moyens supplémentaires de modifier le patrimoine génétique de l’humanité. Les technologies associées à la médecine reproductive et à la procréation assistée comme le diagnostic prénatal et le diagnostic préimplantatoire permettent déjà d’intervenir sur le patrimoine génétique transmissible, mais l’ingénierie ciblée du génome offre la possibilité de le faire de façon plus directe et volontaire. 

Que l’on associe ou non les technologies de procréation assistée à une forme d’eugénisme « libéral » ou « volontaire », comme le fait le philosophe allemand Jürgen Habermas, une légalisation éventuelle des applications cliniques d’une biotechnologie comme CRISPR-Cas9 soulève des questionnements philosophiques, éthiques et politiques fondamentaux eu égard à l’évolution de l’espèce humaine et aux rapports entre les individus.

Des effets incertains

Les modifications génétiques des cellules reproductives et des embryons sont actuellement interdites au Canada et dans d’autres pays. De nombreux chercheurs et éthiciens considèrent que les technologies d’édition génomique ne sont pas encore suffisamment précises et efficaces, et que leurs effets sont trop incertains, pour que des applications cliniques en procréation assistée soient permises.

Malgré cela, on a appris en novembre dernier qu’un chercheur chinois, He Jiankui, avait conçu des bébés génétiquement modifiés.

Il prétend avoir modifié le gène CCR5 afin de rendre deux jumelles résistantes au VIH. Ses actes ont été rapidement et massivement condamnés à l’échelle internationale. Le 13 mars dernier, la revue Nature a publié un article dans lequel des chercheurs demandaient l’adoption d’un moratoire international sur la modification des gènes de la lignée dite « germinale », c’est-à-dire transmissibles à la descendance.

La CEST a publié le 21 mars un avis sur les bébés génétiquement modifiés. Elle arrive aussi à la conclusion qu’il serait nettement prématuré de permettre des applications cliniques des technologies de modification génétique en médecine reproductive. Les risques pour la santé des enfants et pour le patrimoine génétique de l’humanité sont trop grands. Les projets en recherche fondamentale et préclinique devront se multiplier et arriver à des résultats probants avant qu’une légalisation balisée puisse être envisagée de façon sérieuse.

Considérant que la science avance rapidement et que des voix se font entendre pour que l’édition génomique soit permise en procréation assistée, la CEST a choisi d’adopter une approche prospective et de faire des recommandations concernant les conditions qui devraient être satisfaites avant que la légalisation soit envisagée. Sans pouvoir reprendre l’ensemble des recommandations ici, il importe de souligner que la CEST a opté pour une approche résolument humaniste, égalitariste et solidariste.

Si le législateur en vient à la conclusion que l’édition du génome doit être permise, la CEST recommande qu’elle vise uniquement à prévenir l’apparition de maladies héréditaires graves et incurables causées par une mutation génétique délétère ; la maladie de Huntington, la fibrose kystique et l’anémie falciforme sont souvent mentionnées par les chercheurs dans le domaine. Ce faisant, la CEST se prononce contre le programme transhumaniste visant l’« amélioration » ou l’« augmentation » de l’être humain grâce aux modifications génétiques.

S’il fallait permettre la modification du bagage génétique transmissible, la visée devrait être clairement curative et thérapeutique. Elle devrait être à l’avantage de ceux qui ont été les plus malchanceux à la loterie génétique et accessible à tous, y compris aux moins fortunés. Si la prudence exige que davantage de recherche soit faite avant de permettre des applications cliniques, les valeurs de bienfaisance et de solidarité devront guider les législateurs s’ils envisagent un jour de permettre aux parents de modifier les caractéristiques génétiques de leur progéniture.

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