Chronique

Créatrices, oui ; égales, non

Les chiffres sont éloquents. Douloureusement éloquents. On a beau être en 2016, avec un premier ministre à Ottawa qui se dit féministe, au sein d’un Québec qui affirme que l’égalité entre les hommes et les femmes est la valeur cardinale qui définit le peuple québécois, dès qu’on gratte le vernis des beaux discours, dès qu’on examine les chiffres dans un domaine précis – la création, dans ce cas-ci – on découvre avec stupéfaction que les femmes ne sont pas sorties du bois ni de l’auberge. Non, monsieur.

Et contrairement à la célèbre pub de cigarettes Virginia Slims, qui disait « You’ve come a long way, baby » (« tu reviens de loin, bébé »)… disons que les créatrices reviennent de nulle part et qu’elles ne sont pas tellement plus avancées qu’en 1968, année où fut créée cette pub.

C’est du moins ce que conclut un rapport des Réalisatrices équitables, sur la place des créatrices dans les postes clés de création de la culture au Québec. Ma collègue Nathalie Collard en a exposé les grandes lignes hier. 

Les femmes réalisent moins de longs métrages que les hommes, font moins de mises en scène au théâtre que leurs camarades masculins, créent moins de jeux vidéo. 

Leurs revenus en tant qu’actrices sont inférieurs à ceux des acteurs. Leurs textes au théâtre sont moins joués et même si elles publient des livres autant que les hommes, ils sont moins recensés, encensés et couverts de prix.

Celles qui tirent le mieux leur épingle du jeu sont celles qui écrivent pour la télé. Les femmes scénaristes sont en effet aussi présentes que les hommes scénaristes aux heures de grande écoute de la télévision ; une belle parité qui fout le camp dès qu’elles s’aventurent au cinéma où seulement 16 % des scénarios signés par des femmes sont portés à l’écran contre 77 % des scénarios écrits par des hommes.

Le plus frustrant, c’est que sur les bancs des écoles d’enseignement supérieur, les filles représentent entre 43 % et 60 % des étudiants. Leur intérêt pour les métiers du cinéma – aussi bien la réalisation que la direction photo – est sérieux. Pourtant, une fois arrivées sur le marché du travail, elles sont reléguées à la coiffure, au maquillage et aux costumes, seuls champs du cinéma où elles sont majoritaires. Ailleurs, elles sont la minorité comme en témoignent, par exemple, les dernières statistiques de l’Association des réalisateurs et réalisatrices. Pour l’année 2016, les réalisatrices ne constituent que 31 % des membres de l’association. C’est tout dire.

Autre source de frustration, plus les budgets des films sont élevés, moins les réalisatrices y ont accès. Entre 2009 et 2014, les réalisatrices ont reçu seulement 10 % des fonds accordés aux longs métrages de fiction par Téléfilm et 19 % des fonds accordés par la SODEC. Et ce n’était pas parce que les filles avaient envie de faire des confitures ou de vivre sur une ferme à la campagne plutôt que de réaliser des films. Elles étaient sur les rangs, elles avaient des projets, elles ne demandaient qu’à se retrouver sur un plateau de cinéma, mais de toute évidence, le cinéma ne voulait pas d’elles, leur préférant des cinéastes, pas nécessairement meilleurs, mais certainement mieux cotés par les institutions.

Il y a deux ans, la SODEC a voulu corriger la situation par une mesure incitative. Selon le règlement, un producteur ne peut présenter que deux projets par date de dépôt, sauf, selon la nouvelle mesure, si le projet est réalisé par une femme.

On n’a pas encore mesuré l’impact de cette initiative, mais on lui connaît au moins un effet pervers : avant, certains producteurs avaient pris l’habitude de présenter un projet masculin et un autre au féminin. Maintenant, c’est systématiquement deux projets masculins contre un projet féminin.

FEMMES AU POUVOIR

Si seulement cette inégalité était l’apanage du cinéma, mais ce n’est pas le cas. L’inégalité en création est généralisée et là où le bât blesse, c’est qu’il n’y a pas exactement pénurie de femmes dans les instances décisionnelles de la culture. Tout le contraire.

À l’inverse des minorités culturelles qui n’ont pas souvent accès aux postes décisionnels, en culture, ce sont les femmes qui mènent. 

Téléfilm Canada, la SODEC, Radio-Canada, l’UDA, le TNM, l’Espace Go, le Rideau Vert et l’Usine C, dans toutes les hautes sphères de ces compagnies ou institutions, le pouvoir est entre les mains des femmes. Alors pourquoi ne font-elles pas une meilleure place aux créatrices ?

Selon Isabelle Hayeur, l’instigatrice du rapport, les femmes au pouvoir subiraient des pressions plus fortes pour être rentables et performantes. Elles seraient donc moins portées vers les créations des femmes, jugées plus risquées.

Sachant cela, on peut en conclure que la parité en culture est peut-être en fin de compte entre les mains des hommes. Claude Joli-Cœur, le président de l’ONF, en est pour l’instant le meilleur exemple.

Le président a en effet statué en mars dernier que désormais à l’ONF, la parité sera obligatoire tant dans le choix des projets de films – 50 % des projets devront être proposés par des femmes – que dans l’attribution des budgets – 50 % des fonds leur seront accordés.

On ne parle pas d’une mesure promise pour dans cinq ans, mais implantée immédiatement. Bravo !

Voilà un beau grand geste concret.

Espérons qu’il sera bientôt imité par toutes ces femmes qui, chacune dans leur domaine, décident chaque jour à quoi ressemblera la culture de demain et qui jusqu’à maintenant nous ont laissé croire que la création, c’était surtout l’affaire des hommes.

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