Défaillance d’une fusée Soyouz

saint-Jacques ira-t-il dans l’espace ?

Ce devait être un vol de routine pour acheminer deux astronautes vers la Station spatiale internationale. Mais un accident survenu en plein ciel est venu rappeler une chose, hier : quand on parle de conquête spatiale, la routine n’existe pas. Alors qu’on célébrait le sauvetage des deux astronautes, les questions fusaient déjà. Dont celle de savoir si la mission de l’astronaute québécois David Saint-Jacques, prévue pour décembre prochain, est compromise.

Un dossier de Philippe Mercure

Science

Un échec qui soulève des questions

L’astronaute québécois David Saint-Jacques a assisté à l’accident d’hier en direct. Il se trouvait à Baïkonour en tant que membre de l’équipage substitut, et aurait pu être amené à prendre place à bord de la Soyouz en cas de malaise du copilote. Il n’a pas livré de commentaires après l’accident, qui soulève un grand nombre de questions. Les dirigeants des agences spatiales internationales ont tenté tant bien que mal d’y répondre. Compte rendu.

Qu’est-ce qui a causé la défaillance du propulseur de la fusée Soyouz ?

On l’ignore encore. Roscosmos, l’agence spatiale russe, a immédiatement annoncé la tenue d’une commission d’enquête. La NASA lui a assuré sa pleine collaboration et annoncé qu’elle tiendrait sa propre enquête. « Nous allons former notre propre équipe d’investigation, avec nos propres opinions et nos propres questions », a dit Kenny Todd, gestionnaire des opérations pour la Station spatiale internationale à la NASA, lors d’une conférence de presse tenue hier à Houston.

Hier, tant les responsables de la NASA que ceux de Roscosmos ont voulu insister sur une chose : les astronautes se sont tirés sains et saufs de cette situation critique, évitant un drame humain et montrant que les systèmes conçus pour les urgences fonctionnaient bien.

La mission de l’astronaute canadien David Saint-Jacques, qui doit partir pour la Station spatiale internationale à bord d’une capsule Soyouz le 19 décembre prochain, est-elle compromise ?

« Il faudra attendre de voir les conclusions de la commission d’enquête. Le nouveau calendrier de vol sera discuté avec tous les partenaires de la Station spatiale internationale », répond Gilles Leclerc, directeur général, exploration spatiale, à l’Agence spatiale canadienne. Selon lui, il est donc trop tôt pour dire si la mission sera retardée.

M. Leclerc a dit s’attendre à en savoir plus sur la date de lancement du vol de David Saint-Jacques « d’ici quelques semaines ». « L’expérience nous montre que Roscosmos travaille assez vite. Ils connaissent bien leurs véhicules. Mais il faut aussi que l’enquête se fasse de manière sérieuse. On parle de quelques semaines parce qu’on se base sur les antécédents, mais on est encore dans l’ombre par rapport à ça », a précisé M. Leclerc.

Qu’advient-il des astronautes déjà à bord de la Station spatiale internationale ?

C’est l’une des questions qui étaient sur toutes les lèvres, hier. L’accident fait en sorte que ceux qui devaient les relever de leurs fonctions ne sont pas au rendez-vous. Le fait que les fusées Soyouz sont clouées au sol le temps que l’enquête suive son cours complique aussi les choses. La NASA a admis hier qu’il est possible que les trois astronautes actuellement à bord (l’Américaine Serena M. Auñón-Chancellor, l’Allemand Alexander Gerst et le Russe Sergueï Prokopiev) restent plus longtemps que prévu dans l’espace. « Nous avons parlé à l’équipage. Ses membres vont bien et nous ont assurés qu’ils étaient prêts à servir aussi longtemps que nécessaire », a dit Reid Wiseman, astronaute en chef de la NASA.

La NASA assure que l’équipage a plus qu’assez de nourriture, d’eau et d’air pour prolonger son séjour. Il y a toutefois un échéancier. La capsule Soyouz qui doit les ramener sur Terre et qui est actuellement amarrée à la Station spatiale a une « durée de vie utile » et ne doit théoriquement pas passer plus de 200 jours en orbite. Le début du mois de janvier apparaît donc comme l’ultime limite pour eux.

La Station spatiale internationale pourrait-elle rester vide ?

En un mot, oui. Advenant une interdiction de vol prolongée des Soyouz, la NASA a assuré qu’elle pourrait continuer à faire voler une Station spatiale internationale vide autour de la Terre en contrôlant ses systèmes depuis le sol une fois l’équipage actuel ramené au sol.

En septembre, un trou a été découvert dans la capsule Soyouz amarrée à la Station spatiale internationale. Cela fait donc deux incidents qui touchent les Soyouz en quelques mois, alors que ces véhicules volent sans problème majeur depuis des décennies. Y a-t-il un lien entre les deux événements ?

« Non, absolument pas », répond Gilles Leclerc, de l’Agence spatiale canadienne. M. Leclerc rappelle que contrairement au premier incident, l’échec d’hier n’a pas touché la capsule habitable de la fusée Soyouz.

Quel degré de confiance règne-t-il actuellement entre les agences spatiales russe (Roscosmos) et américaine (NASA) ?

La question a été soulevée hier par des journalistes. En septembre, après la découverte d’un trou dans la capsule Soyouz amarrée à la Station spatiale internationale, Roscosmos avait avancé la thèse d’un « acte délibéré ». Les autorités russes avaient suggéré qu’un astronaute américain à bord de la Station avait pu saboter la Soyouz pour forcer un retour sur Terre. Hier, la Russie a aussi parlé d’une enquête « criminelle » pour faire la lumière sur la récente défaillance – un adjectif qui n’a pas été expliqué et qui a suscité bien des questions. Kenny Todd, gestionnaire des opérations pour la Station spatiale internationale à la NASA, a toutefois assuré qu’il avait pleinement confiance dans l’enquête russe et que celle-ci se ferait en étroite collaboration avec la NASA.

L’accident survenu hier est-il unique ?

Non, mais il faut remonter à 1983 pour voir un accident touchant une capsule Soyouz habitée. Un incendie lors du lancement avait alors obligé à utiliser la tour de sauvetage, placée au sommet de la fusée, pour tirer la capsule habitée loin des étages inférieurs et sauver l’équipage in extremis. En 1975, un problème en plein vol avec le détachement du troisième étage de la Soyouz avait aussi obligé à interrompre la mission. Les deux cosmonautes avaient atterri dans le massif de l’Altaï, à la frontière de la Chine, après une réentrée dans l’atmosphère particulièrement violente qui avait blessé l’un des membres d’équipage.

Défaillance d’une fusée Soyouz

La séquence des événements

Le dernier accident impliquant une fusée Soyouz habitée remontait à 1983. Que s’est-il passé hier ? Il faudra sans doute des semaines, voire des mois, pour comprendre les causes exactes du pépin ayant causé l’interruption de la mission. Voici, en attendant, ce qu’on sait des événements.

14 h 40 (heure de Baïkonour)

Le temps est splendide et le thermomètre affiche 20 °C dans les steppes du Kazakhstan. À bord de la fusée Soyouz se trouvent l’astronaute américain Nick Hague et le cosmonaute russe Alexeï Ovtchinine. Le décompte est fait et la fusée décolle à l’heure prévue.

14 h 41 min 55 s (environ)

Les quatre lanceurs, qui forment le premier étage de la fusée, se détachent comme prévu du reste de la Soyouz.

14 h 41 min 59 s

Après un peu moins de deux minutes de vol et juste après la séparation du premier étage de la fusée, une lumière d’urgence s’allume dans la portion habitée de la fusée Soyouz. Selon l’AFP, le commandant de bord, Alexeï Ovtchinine, prononce les mots « Problème de lanceur, 2 min 45 s » d’une voix parfaitement calme. De toute évidence, le propulseur du deuxième étage de la fusée connaît un problème. « C’était un vol rapide », ajoute le commandant.

14 h 42

Un système de sécurité éjecte la capsule habitée du reste de la fusée afin de protéger les astronautes d’une éventuelle explosion. Selon la NASA, la fusée se trouve alors à environ 50 km d’altitude et vole à 7500 km/h. Reid Wiseman, astronaute en chef de la NASA, a affirmé hier lors d’une conférence de presse que le système de sécurité s’était déclenché automatiquement.

Minutes qui suivent

Les astronautes orientent manuellement la capsule Soyouz pour une réentrée dans l’atmosphère, puis le pilotage automatique prend le relais.

La capsule fonce vers la Terre dans un mode « balistique », c’est-à-dire qu’elle tombe comme une roche à un angle plus prononcé qu’à l’habitude. À l’intérieur, les astronautes subissent des forces qui ont pu atteindre jusqu’à 8 g (donc huit fois l’attraction terrestre), contre 5 g pour une réentrée normale.

Au Kazakhstan, les équipes de recherche et de sauvetage s’activent. Des hélicoptères Mi-8 foncent vers le lieu probable de l’atterrissage afin de porter secours aux astronautes. Un avion Antonov-26 y largue même des parachutistes.

Les parachutes de la capsule Soyouz se déploient comme prévu. La capsule atterrit dans le désert du Kazakhstan près de la ville de Jezkazgan, à 400 km de Baïkonour.

15 h 16 

Exactement 34 minutes après l’éjection de la capsule Soyouz dans l’espace, les équipes de sauvetage se portent au secours des astronautes. Leur arrivée se fait « immédiatement » après l’atterrissage, selon la NASA.

Nick Hague et Alexeï Ovtchinine, décrits comme « en bonne condition », sont ramenés à Baïkonour, où ils retrouvent leur famille.

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