Alimentation

Il est pas vrai, mon poisson ?

Une large proportion du poisson et des fruits de mer vendus à la grandeur du pays fait l’objet de fraude alimentaire, révèle une étude publiée hier. Survol.

Étiquetage trompeur

Les amateurs de poisson sont restés bouche bée, hier, en lisant la principale conclusion d’une étude menée par l’organisation sans but lucratif Oceana Canada : pas moins de 44 % des 382 échantillons de produits de la mer recueillis au cours de la dernière année dans cinq grandes villes canadiennes sont entrés en contravention avec les normes d’étiquetage de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA). On parle ici d’espèces qui ont été mal identifiées, sinon carrément remplacées par une autre au moment de la vente – deux infractions qu’Oceana classe au rayon de la fraude alimentaire. Les restaurateurs présentent les résultats les plus alarmants, avec 52 % d’échantillons mal identifiés et 70 % d’établissements fautifs. Les détaillants ne sont toutefois pas en reste, avec 22 % d’échantillons frauduleux et 46 % d’établissements délinquants.

Du thon, ou pas

Vous avez commandé de la morue ? On vous a possiblement servi de l’aiglefin ou de la goberge. Les filets que vous avez cuisinés portaient peut-être l’étiquette (et le prix) du vivaneau ? Peut-être avez-vous plutôt servi du sébaste ou du tilapia à vos invités. L’exemple le plus choquant est toutefois celui du thon : l’étude a dénombré 10 échantillons présentés comme du thon blanc qui étaient en réalité de l’escolar, une espèce poétiquement surnommée par le rapport le « laxatif de l’océan » en raison des symptômes gastro-intestinaux qu’elle peut provoquer chez ceux qui la consomment. À noter : tous les échantillons ont été recueillis en dehors du Québec – Oceana est censée étendre son enquête à Montréal l’an prochain.

Pour les sous

Les motifs derrière la fraude alimentaire sont essentiellement d’ordre économique. « Le hic, c’est que les acheteurs [des restaurants ou des détaillants] sont récompensés par la somme d’argent qu’ils épargnent pour leur organisation », explique Sylvain Charlebois, professeur en distribution et politique agroalimentaire à l’Université Dalhousie. « Alors si on voit que le poisson tombe à moitié prix, il faut se poser de sérieuses questions sur la provenance et l’identification du produit », poursuit-il. De fait, selon l’étude publiée hier, dans les trois quarts des cas d’étiquetage trompeur, l’espèce identifiée sur l’étiquette a une valeur plus élevée que celle du poisson réel.

Sans surprise

Cela étant dit, M. Charlebois n’a pas été surpris des résultats de l’étude, qui sont en phase avec d’autres travaux du genre menés par le passé. Par exemple, en 2013, une enquête dans une centaine d’établissements québécois, publiée par Le Journal de Montréal, avait révélé des chiffres similaires. « Il y a un sérieux manque de transparence au niveau de la traçabilité alimentaire, du bateau à la table, résume le chercheur. La chaîne est longue et complexe. Sur le bateau, il y a toutes sortes de choses qui se passent. » Conséquemment, des restaurateurs ou détaillants « ne sont même pas au courant qu’ils vendent un produit frauduleux ». N’empêche, selon M. Charlebois, plusieurs grandes entreprises sont de plus en plus soucieuses de l’authenticité des produits qu’elles vendent. C’est notamment le cas de la chaîne de supermarchés Metro, qui a instauré en 2013 un programme de tests d’ADN sur des produits pouvant représenter des risques d’identification, nous a écrit une porte-parole hier. « Cette initiative permet de nous assurer que les informations transmises par le fournisseur sont véridiques », poursuit-elle.

Rien de nouveau

Foi de Jean-Roch Thiffault, ce n’est pas d’hier que la fraude a lieu dans la vente de poisson et de fruits de mer. Le directeur général des Pêcheries Norref, important distributeur montréalais, raconte qu’à ses débuts dans l’industrie, il y a 23 ans, « dire la vérité n’était pas bien vu ». Il estime que les choses ont changé, mais que pour certains, « la tentation reste forte ». Il s’enorgueillit aujourd’hui d’avoir vu son entreprise faire de son système de traçabilité « sa marque de commerce », notamment grâce à un respect quasi maladif du système de nomenclature parfois complexe dicté par l’ACIA. Le distributeur, fournisseur exclusif des supermarchés IGA au Québec, est en outre la cible d’inspections surprises, puisqu’il compte dans son stock des produits portant le sceau de certaines certifications strictes – notamment bio. Mais malgré toutes les précautions possibles, personne n’est complètement à l’abri. « Je ne dis pas qu’on ne peut pas nous en passer une, concède M. Thiffault. Mais ce serait assez difficile. »

Confiance

Selon Julia Levin, principale auteure de l’étude, on a tenté de varier autant que possible les lieux de cueillette des échantillons. On a ainsi visité autant des restaurants chics que de modestes comptoirs à sushis. Malgré les résultats obtenus, Mme Levin insiste : « Les gens doivent continuer à manger du poisson », nous a-t-elle dit en entrevue hier. Toutefois, ajoute-t-elle, il importe d’être curieux, de poser des questions aux restaurateurs, aux poissonniers. « Quelles espèces nous sert-on ? D’où proviennent-elles ? Y a-t-il un logo de certification ? » Le rapport qu’elle signe est particulièrement incendiaire envers l’ACIA, dont les critères d’inspection sont décrits comme trop permissifs. Par exemple, pour les produits de poisson importés, le pays d’origine qui doit apparaître sur l’étiquette est le pays dans lequel la dernière transformation importante a eu lieu. « Sans une traçabilité fiable, on ne peut pas savoir partout où est passé le poisson qu’on mange », martèle Mme Levin.

Mieux en 2019

Dans un courriel envoyé à La Presse en fin de journée, l’ACIA a affirmé avoir pris acte de l’étude et a dit apprécier le travail d’Oceana Canada, qui a « attiré l’attention sur le problème de la fraude alimentaire [qui] se produit partout dans le monde ». L’agence apporte toutefois une nuance en soulignant que « la fraude alimentaire se produit parce que c’est un crime d’intention et non parce que les contrôles préventifs ne fonctionnent pas ». « Les lois alimentaires canadiennes interdisent de dénaturer un aliment », ajoute-t-on. L’ACIA rappelle par ailleurs qu’elle dévoilera en 2019 les résultats de son Initiative de modernisation de l’étiquetage des aliments, qui prévoit notamment « des informations améliorées sur la société, une meilleure lisibilité et le marquage des dates ».

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