Opinion : Aide alimentaire

La faim justifie les moyens

La semaine dernière, Centraide du Grand Montréal et l’INRS ont rendu publiques dans La Presse les données d’une importante étude illustrant que la pauvreté continuait à progresser à Montréal chez les travailleurs.

Au moment même où ce préoccupant constat est fait, Moisson Montréal est en voie d’enregistrer l’une des années les plus difficiles de son histoire pour ce qui est du volume de demandes d’aide alimentaire d’urgence. Le mois dernier seulement, 146 000 Montréalais ont sollicité pour se nourrir l’un de nos 254 organismes accrédités.

L’un des éléments les plus importants de l’analyse de l’INRS est qu’il y a de plus en plus de travailleurs pauvres à Montréal qui risquent éventuellement de recourir aux services de dépannage alimentaire d’urgence, ce qui corrobore ce que nous observons sur le terrain à Moisson Montréal. En effet, le visage de la faim change et le profil des bénéficiaires de l’aide alimentaire se transforme à un rythme préoccupant.

Historiquement, les personnes bénéficiant d’aide sociale et les sans-abri étaient les clients les plus assidus des banques alimentaires. Depuis quelques années, le portrait a changé radicalement.

Les tout-petits sont aussi parmi les groupes les plus durement touchés par la pauvreté à Montréal : ils représentent à l’heure actuelle près du tiers des bénéficiaires.

La problématique des nourrissons est particulièrement aiguë dans la mesure où ils ont des besoins alimentaires très particuliers. L’ampleur de ce changement est telle que nous avons été contraints ces dernières années de mettre sur pied deux nouvelles campagnes annuelles pour nourrir les bébés et les enfants du Grand Montréal.

Au-delà des bambins, des jeunes et des travailleurs, le profil des bénéficiaires de nos organismes compte de plus en plus d’aînés qui ne sont pas parvenus à épargner suffisamment pour la retraite, d’étudiants, de nouveaux arrivants, de familles monoparentales, et j’en passe.

le Double en six ans

Seulement au cours de la dernière année, notre distribution de denrées et autres produits essentiels à nos organismes partenaires a atteint un niveau record, surpassant les 14 millions de kilogrammes et représentant une valeur de 81,5 millions de dollars. C’est presque le double d’il y a à peine six ans.

L’augmentation du recours aux banques alimentaires provoque inévitablement de nouveaux défis, notamment ceux liés à la logistique, au transport, à l’entreposage et au remballage de la nourriture. Avec le développement de nouvelles initiatives permettant la récupération et la distribution de viande et des fruits et légumes dans les supermarchés, les défis liés à la traçabilité et à la chaîne de froid viennent s’ajouter au lot. Ces nouvelles considérations ont un coût et ne sont pas automatiquement assorties d’un plus grand budget d’exploitation, d’autant plus que nous dépendons de dons privés à plus de 90 %.

Au-delà de notre capacité à répondre à la demande exprimée par une nourriture disponible en quantité suffisante, nous avons également l’objectif d’offrir l’accès à des produits alimentaires variés, sains et nutritifs. Ce n’est ni simple ni facile, mais c’est essentiel quand on réalise l’impact direct d’une telle offre sur la santé publique et la dignité humaine.

La multiethnicité de la population de Montréal constitue par ailleurs un enjeu additionnel quant à la variété de nourriture que nous souhaitons rendre disponible aux gens dans le besoin. Le grand réseau de soutien alimentaire d’urgence doit s’adapter aux changements démographiques puisque sortir les gens de la faim, c’est aussi bien les nourrir et leur procurer des aliments sains qui leur correspondent.

L'obligation d'innover

En investissant ces dernières années dans la transformation et la revalorisation de denrées périssables, nous avons réduit presque entièrement nos achats de nourriture et parvenons ainsi à transformer chaque don de 1 $ en une quinzaine de dollars de nourriture. Face à la demande soutenue d’aide alimentaire d’urgence et à ses multiples visages, l’innovation n’est plus une option, c’est une obligation.

En attendant de parvenir à faire reculer le seuil des demandes d’aide alimentaire à Montréal, nous avons le devoir et la responsabilité de mettre les bouchées doubles et de ne pas baisser les bras, et ce, même si nos défis financiers et ceux de nos organismes demeurent réels.

Nous devons rivaliser d’imagination pour faire encore plus avec moins et nous n’avons certainement pas l’ambition de demeurer la plus grande banque alimentaire du Canada trop longtemps.

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