Opinion Pascale Navarro

Les jeunes femmes peuvent-elles faire autorité ?

Dans quelques jours, nous entendrons beaucoup parler de Nelly Arcan, dont on soulignera les 10 ans de la disparition (le 24 septembre 2009).

Publications et événements marqueront son passage en littérature et évoqueront son œuvre qui retentit tant de nos jours, comme l’illustrait La Presse dimanche dans un texte intitulé « La descendance de Nelly ».

À l’occasion de ce triste anniversaire, la journaliste et animatrice Claudia Larochelle a eu l’idée de mettre en scène un collage de textes de l’écrivaine américaine Sylvia Plath et de Nelly Arcan, spectacle qui sera présenté au Festival international de la littérature les 20 et 21 septembre prochains. Ces créatrices ont exposé dans leur œuvre une absolue vulnérabilité doublée d’une analyse fine et radicale de la condition des femmes.

Dénoncer dans le désert

Retour dans le temps. Les émissions Tout le monde en parle qui ont suivi la parution en 2001 du premier livre de Nelly Arcan, Putain, révèlent, tant dans la version française que québécoise, la difficulté pour les hommes qui l’entouraient sur le plateau de comprendre le propos qu’elle essayait de tenir.

En réécoutant les entrevues, on constate amèrement que, sur le sujet qu’elle abordait (l’assignation à la féminité, à la séduction, un certain masochisme féminin), la plupart de ces hommes ne la prenaient pas au sérieux alors qu’elle, éloquente et lucide, dévoilait complètement, naïvement, honnêtement ses contradictions. L’entrevue donnée à l’animateur français Thierry Ardisson, notamment, est un supplice. Une véritable torture que de constater l’arrogance démagogique et machiste de ces hommes sans conscience de leur position, de leur privilège, de leur domination.

Après les années que l’on vient de traverser, à l’heure de #moiaussi, d’un féminisme affiché et décomplexé, il en irait tout autrement aujourd’hui. 

Toutefois, les femmes peinent toujours à faire respecter leur autorité quand elles essaient de prendre place au milieu du boys’ club et de dénoncer son règne.

Attaquer l’autorité féminine

Une jeune femme du nom de Greta Thunberg est en train de vivre la même chose qu’Arcan, c’est-à-dire une tentative musclée de déstabilisation, une mise en pièces du personnage influent qu’elle est devenue et de son discours. Vous me direz qu’il n’y a aucun rapport entre les causes d’Arcan et de Thunberg, c’est vrai. Il y a pourtant un point commun aux prises de parole féminines qui bousculent : leurs adversaires essaient de leur faire perdre toute crédibilité en se moquant de la jeunesse et de la naïveté de l’une ou de l’intelligence de l’autre. Ils leur sapent toute autorité dans les matières qu’elles défendent. Dans son texte « The Misogyny of Climate Deniers » (The New Republic, 28 août 2019), le journaliste Martin Gelin recense les attaques dont Thunberg a été la cible, car ils sont nombreux à exprimer une opposition enragée envers cette jeune fille de 16 ans. L’analyse de deux chercheurs suédois* citée par Gelin résume les choses ainsi : à travers les remises en question de femmes comme Thunberg, c’est le mode de vie industriel traditionnel qui est menacé et avec lui son socle, soit le modèle masculin dominateur (et ce modèle est aussi entretenu par des femmes). Menacer l’un, c’est donc affaiblir l’autre.

Une influence qui s’affirme

Quand les jeunes femmes bataillent contre le modèle du patriarcat dominateur et traditionaliste, elles sont discréditées. Arcan dénonçait ouvertement (c’est tout le propos de son œuvre) l’injonction à la féminité qui fait disparaître la parole derrière l’image, et c’est justement ce qui a étouffé son propre discours.

Thunberg presse l’industrie et la politique de se dompter pour freiner les changements climatiques, et sa jeunesse fait écran à son propos.

Mais ces deux femmes tirent une grande force de leur vulnérabilité, et c’est principalement ce qui donne aujourd’hui tant de puissance et de retentissement à leur message. C’est cette influence qu’essaient de casser des hommes au pouvoir et particulièrement des hommes de droite, qui préconisent toujours plus de contrôle, plus de domination.

D’autres jeunes femmes ont aussi dû encaisser : Emma González, cette étudiante américaine qui se bat contre le lobby des armes à feu, ou encore la militante pakistanaise Malala Yousafzai, qui a risqué sa vie pour que les filles aient droit à l’éducation. Toutes ces jeunes femmes attaquent quelques-uns des fondements du patriarcat : la violence de la domination (par les armes, par la force), la mise au silence des femmes et leur chosification, la destruction du vivant.

Notre société accepte mal que de jeunes femmes la remettent en question, mais leur autorité s’affirmera de plus en plus, quoi qu’il leur en coûte.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.