Laurence Fournier-Beaudry et Nikolaj Sørensen

Le parcours étonnant d’un couple attachant

Le patinage artistique est terriblement exigeant et peut être cruel pour les athlètes qui travaillent de longues années et voient parfois leurs rêves s’écrouler pour quelques points, quand ce n’est pas par la faute de quelques « fonctionnaires » ou « diplomates »…

Laurence Fournier-Beaudry et Nikolaj Sørensen patinent ensemble depuis 2012 et s’entraînent au Centre Gadbois à Saint-Henri, à l’École de patinage Montréal International de Marie-France Dubreuil, Patrice Lauzon et Romain Haguenauer. Ma collègue Sophie Allard a déjà raconté comment ils espéraient représenter le Danemark (dont Nikolaj est originaire) aux Jeux olympiques de PyeongChang l’hiver dernier, comment aussi ils ont été empêchés de le faire en raison des règles du CIO et des lois danoises.

Douze mois plus tard, ils représentent le Canada aux Championnats du monde de Saitama, au Japon ! Une récompense méritée, qui les console un peu de leur amère déception et leur permet d’envisager la suite de leur carrière avec optimisme.

Aussi ensemble dans la vie, ils forment un couple attachant qui a su rester serein à travers toutes les épreuves. Laissons-les revenir sur leur parcours étonnant.

NIKOLAJ : J’avais patiné avec une autre fille auparavant, mais elle s’est blessée et j’ai continué seul pendant presque un an, en attendant de trouver une nouvelle partenaire. Je me rappelle être venu ici [au Centre Gadbois] le 21 décembre 2011 pour régler quelques détails, puis je suis retourné au Danemark quatre jours, pour Noël, et je suis revenu le 26 pour commencer à travailler. J’avais vu [Marie-France Dubreuil] enceinte le 21 et elle a accouché de sa fille Billie le 24. Le 26, elle était à l’aréna comme si de rien n’était ! J’allais patiner avec Vanessa Crone, qui avait pris part aux Jeux de Vancouver avec Paul Poirier et projetait de continuer sa carrière avec un nouveau partenaire. Au bout de deux mois, elle a réalisé qu’elle n’était pas prête à repartir à zéro après avoir patiné toute sa vie avec Paul. 

« C’est difficile de s’adapter à quelqu’un, ça prend des années. »

— Nikolaj Sørensen

LAURENCE : Moi, j’étais dans un autre club, sur la Rive-Sud, avec un autre patineur qui a décidé d’arrêter après les Championnats canadiens de [janvier] 2012. Il n’y avait aucun autre partenaire de mon calibre et j’ai dit à mes entraîneurs que j’avais envie de venir travailler ici avec Marie-France et Patrice. J’ai commencé deux jours par semaine et j’espérais déjà patiner un jour avec Nik, avec qui j’avais d’ailleurs fait un try-out en février…

NIKOLAJ : Moi, j’étais un peu sur la retenue, car j’étais déjà engagé avec Vanessa Crone, qui était quand même reconnue au Canada en danse sur glace, alors que Laurence n’était encore qu’une junior… Quand Vanessa a arrêté, mon entraîneur m’a pris à part : « Nik, je sais que Laurence est encore jeune et qu’elle n’a pas beaucoup d’expérience, mais c’est vraiment une très, très bonne patineuse. On est sûrs qu’elle a un grand potentiel. Tu devrais l’appeler et lui dire de venir dès demain, car ce serait grave si vous ne patiniez pas ensemble. »

LAURENCE : Il m’a textée : « Veux-tu venir à l’aréna demain pour patiner avec moi ? » J’ai poussé un gros cri de joie et je suis arrivée le lendemain ! Il m’a alors annoncé qu’on allait apprendre la chorégraphie !

NIKOLAJ : Marie-France a pensé qu’on pourrait reprendre toute la chorégraphie qu’on avait prévue pour Vanessa et moi, et elle a tout de suite demandé à Laurence d’apprendre tous les pas tout de suite ! On n’a même pas eu le temps de se rencontrer. 

LAURENCE : Nous n’avons eu un vrai meeting que deux jours après, pour discuter de ces chorégraphies, de nos plans. Au début, on voulait représenter le Canada.

NIKOLAJ : J’avais signé des papiers avec Vanessa, un document de 25 pages. Quand j’ai commencé à patiner avec Laurence, je lui ai dit que j’étais engagé avec Skate Canada et qu’on patinerait donc pour le Canada. Le 7 octobre, Patrice [Lauzon] a reçu un appel de Patinage Québec au sujet des tests qu’on devait passer pour être autorisés à représenter le Canada. La date limite était le 1er octobre ! On a trouvé quelqu’un pour faire ces tests le lendemain, après avoir vite passé en revue toutes les danses. On a réussi, mais Skate Canada a refusé d’accepter l’examen parce que la date limite était passée… Notre saison s’est donc arrêtée là.

SOUS LES COULEURS DU DANEMARK

LAURENCE : C’est Patrick qui nous a dit qu’on pourrait peut-être envisager de patiner pour le Danemark. Cette année-là, on est allés faire une démonstration aux championnats nationaux, là-bas, à l’invitation de leur fédération de patinage artistique.

NIKOLAJ : Il n’y avait pas de juge, car il n’y avait aucun autre couple en danse à ce niveau aux championnats. Ça n’aurait pas valu la peine de faire venir trois juges internationaux, alors on a simplement donné un spectacle. Mais nous avons commencé à participer à des compétitions internationales la saison suivante, sous les couleurs du Danemark, et cela nous a vraiment permis de nous faire connaître. Au Canada, le niveau des patineurs en danse est incroyable et il nous aurait fallu des années avant d’obtenir une telle visibilité. Par contre, c’est sûr que la fédération danoise n’a pas les mêmes ressources que Skate Canada. Ils nous ont toutefois toujours soutenus au maximum de leurs possibilités, parfois même au-delà.

LAURENCE : Après plusieurs participations aux championnats européens et mondiaux, le moment est venu de penser aux Jeux de PyeongChang. On n’y croyait pas vraiment, car je n’avais pas la nationalité danoise, mais après les Mondiaux de 2017, on a vu que nous avions obtenu une place aux Jeux pour le Danemark. Avec cette qualification, c’est sûr qu’on s’est mis à rêver. On se disait qu’il y avait peut-être moyen de trouver une solution, d’accélérer le processus. La fédération danoise a engagé des avocats, mais il était trop tard. Il nous aurait fallu dix ans ! Peut-être sept, si on avait été mariés. Et il aurait fallu résider là-bas, ce qui n’était pas possible puisqu’il n’était pas question pour nous de quitter notre centre d’entraînement, le meilleur qu’on puisse avoir.

NIKOLAJ : On a quand même continué de nous entraîner tout l’été et ce n’est qu’en décembre que j’ai reçu une lettre de la ministre de la Culture du Danemark nous avisant de la décision finale. J’étais déjà au courant, parce que mon père connaît un membre du gouvernement danois qui m’avait avisé que ça n’arriverait jamais, quoi qu’on fasse. C’est sûr que ç’a été dur, qu’il a fallu faire un travail sur nous-mêmes pour passer à travers…

LAURENCE : Nous avons continué la saison jusqu’aux championnats européens, puis on a eu une grosse remise en question. On s’est dit : « Qu’est-ce qu’on fait ? Est-ce qu’on aime assez ça pour continuer quatre ans ? Et dans quel but ? »

« On a parlé à nos entraîneurs, aux fédérations, et on a réalisé que notre rêve était vraiment d’aller aux Jeux olympiques un jour. »

— Laurence Fournier-Beaudry

NIKOLAJ : Marie-France et Patrice avaient peut-être au fond de la tête qu’on pourrait toujours revenir représenter le Canada un jour. Laurence a toujours été Canadienne ; moi, je me sens vraiment Canadien depuis le temps que je vis ici. Nous avons avisé les Danois de notre décision.

LAURENCE : Ils ont été super gentils avec nous, nous assurant qu’ils ne souhaitaient que notre bien. Ils ont convenu qu’ils n’avaient pas pu me permettre d’obtenir mon passeport et d’aller aux Jeux. Leur seule inquiétude, c’était qu’ils craignaient que nous ne puissions avoir une place au Canada avec tous les excellents couples qui patinent ici…

QUALIFIÉS POUR LES MONDIAUX

NIKOLAJ : En fait, le changement n’aurait pas pu être plus facile. Nous avons été accueillis à bras ouverts et le processus pour que je devienne Canadien progresse normalement. Je suis déjà résident permanent et j’aurai bientôt un passeport. Tout devrait être réglé dans les délais normaux. 

LAURENCE : C’est évidemment très rassurant. Et après presque une année à l’écart de la compétition, on a pris part avec toute l’équipe nationale à un camp haute performance de Skate Canada, une expérience vraiment cool qui a confirmé qu’on avait fait les bons choix. Puis il y a eu les nationaux, la Coupe des Quatre Continents, et on sera bientôt aux Mondiaux, nos premiers pour le Canada.

NIKOLAJ : Ces championnats nationaux, en janvier à Saint John [au Nouveau-Brunswick], ont été l’une des plus belles compétitions de ma carrière. J’ai rarement été aussi nerveux, car il fallait vraiment terminer parmi les trois premiers, faute de quoi on ne serait allés nulle part ! Laurence avait connu ça chez les juniors, mais moi, je n’avais jamais eu à patiner avec une telle pression. Et au Danemark, il y avait 50 personnes dans les gradins pour les nationaux ; à Saint John, les gradins n’étaient pas toujours pleins, mais l’ambiance était incroyable et on sentait vraiment que les gens souhaitaient qu’on réalise une belle performance.

LAURENCE : Les Mondiaux, maintenant, ce sera vraiment la récompense pour tout ce qu’on a accompli au cours de la dernière année, et on a juste envie de patiner et d’offrir notre meilleure performance.

NIKOLAJ : Nous avions disputé nos premiers Championnats du monde pour le Danemark en 2014, à Saitama au Japon, et c’est aussi là que nous allons disputer nos premiers Mondiaux pour le Canada. Il y aura 18 000 spectateurs dans les gradins, tous des fanatiques du patinage artistique qui sont toujours très respectueux des patineurs. Et comme l’a dit Laurence, on veut juste patiner un peu mieux qu’on ne l’a fait lors de notre dernière compétition.

TOUJOURS LA MÊME PASSION

LAURENCE : La danse sur glace, c’est très complet comme sport. C’est à la fois très artistique, très physique et très technique. Tous les aspects du patinage artistique sont rassemblés et c’est ce qui fait la beauté de ce sport.

NIKOLAJ : C’est aussi très « organique » et chaque petit détail est très important, même ceux qui peuvent paraître insignifiants aux yeux du public. Les gens disent parfois : « Pourquoi ce couple a-t-il obtenu davantage de points que cet autre qui m’a pourtant paru meilleur ? » En fait, les meilleurs effectuent des choses plus complexes sur la glace, pas nécessairement évidentes et pas nécessairement spectaculaires. Tout ça est codifié dans les règlements, avec des niveaux de difficulté très précis.

LAURENCE : Ça exige des heures et des heures de répétition pour arriver à une exécution parfaite. Et en plus, ça doit avoir l’air facile.

NIKOLAJ : Depuis qu’on a commencé ensemble, on a toujours été forts techniquement, mais nous n’étions pas toujours constants au niveau de la présentation. Je pense que c’est ce que nous avons le plus amélioré depuis deux ans. C’est gratifiant, chaque fois qu’un officiel ou un entraîneur vient nous voir, de l’entendre dire à quel point on a progressé, à quel point on est devenus encore plus expressifs. Même si nos corps ne sont plus aussi jeunes, notre expérience nous aide beaucoup sur la glace et je suis convaincu qu’on peut devenir bien meilleurs encore.

LAURENCE : C’est vrai, on réalise que peu importent les embûches et même les résultats, le plus important est qu’on s’est toujours améliorés et que l’on continue de le faire. Le gros but est là, au bout, mais on veut y aller une année à la fois, une compétition à la fois. Ce qu’il faut, c’est penser à s’améliorer chaque jour qu’on est sur la glace. Ça ne donne rien de penser à ce qu’on voudrait faire au bout.

NIKOLAJ : Il m’arrive encore de me réveiller en colère après une mauvaise performance en compétition. On n’est pas parfaits. C’est ça qui est dur en compétition : il y a tellement de pression et on est vite identifié à sa performance, à son résultat, alors que ce n’est pas ça qui définit une personne.

LAURENCE : On a eu des hauts et des bas, mais avec nos entraîneurs, on a appris que si les choses ne se produisaient pas quand on les attendait, c’est que ça ne devait pas arriver à ce moment-là, que nous n’étions peut-être pas prêts encore et qu’elles vont finir par arriver, au bon moment !

DES MONDIAUX DE TRANSITION

La plupart des patineurs de l’équipe canadienne olympique de PyeongChang ont tiré leur révérence après les Jeux et c’est une formation renouvelée qui prend part cette semaine aux Mondiaux de patinage artistique de Saitama, au Japon. Laurence Fournier-Beaudry et Nikolaj Sørensen sont les seuls patineurs québécois du groupe et ils seront en action la nuit prochaine, heure de Montréal, dans la danse rythmique.

LE PROGRAMME 

Vendredi :

Danse rythmique, ce soir à 23 h Femmes, programme libre, 4 h 30

Samedi :

Danse libre, demain soir à 23 h 30 Hommes, programme libre, à 4 h 30

On peut suivre la compétition sur le site de SRC/CBC

(Les heures affichées correspondent à l’heure de Montréal)

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.