PORTRAIT DES CANDIDATS À LA DIRECTION DU PQ

L’objecteur de conscience

Pierre Céré le dit sans détour : « Mes chances de gagner sont minces, et je les fais chier, c’est sûr, parce que la direction du PQ ne pensait jamais qu’un gars comme moi se présenterait. »

Ces deux perspectives (embêter les bonzes du PQ et perdre la course) ne minent en rien son engagement et sa bonne humeur. « On est un petit groupe, 15-20 personnes, qui travaillent ou qui étudient, et on s’est dit au départ : il faut avoir du fun. Parce que la pression est énorme. On les fait chier, c’est sûr, donc la pression est énorme. Ma façon de soulever certains enjeux, ça déplaît. »

Le rôle de l’empêcheur de tourner en rond sied bien à Pierre Céré. Il a décidé de se lancer dans l’arène pour freiner le « repli identitaire » dans lequel s’est réfugié le PQ depuis quelques années, dit-il.

« Le débat identitaire au Parti québécois a provoqué des fissures. Je ne sais même pas si c’est réparable. »

Dès 2007, Pierre Céré sonnait l’alarme au PQ, publiant dans La Presse une lettre ouverte intitulée « Les eaux troubles de l’intolérance ».

Lorsque Pauline Marois l’a appelé pour lui offrir de se présenter dans Laurier-Dorion aux élections d’avril 2014, il a d’abord dit non, puis s’est ravisé. Il ne faudrait toutefois pas y voir un appui à la Charte des valeurs québécoises.

« Valeurs québécoises, c’est complètement abruti de dire ça, lance-t-il. Il s’agit de valeurs universelles. »

« On a instrumentalisé la Charte. Au début de la dernière campagne, des stratèges du PQ nous ont montré des sondages qui indiquaient que la Charte était payante, surtout chez les plus âgés. Après la campagne, je leur ai dit qu’on avait mal agi. »

— Pierre Céré

Dans Laurier-Dorion, le vote du PQ s’est effondré à 16 %, et Pierre Céré a terminé troisième, à 12 % de Québec solidaire et à 30 % des libéraux. À cause de la peur du référendum, mais surtout à cause de la Charte, affirme M. Céré.

Dans les débats, il fait régulièrement grincer des dents en dénonçant, notamment, l’« ethnocentrisme » du PQ.

Sa stratégie référendaire, qui rappelle le beau risque de René Lévesque, risque aussi de déplaire aux souverainistes pressés. Il résume cela en quatre mots : « Une table, deux chaises. »

« On demande aux Québécois le pouvoir de négocier avec Ottawa, explique-t-il. Pas tout le monde autour de la table, pas tous les sujets, juste Québec et Ottawa, et on demande de voter toutes nos lois, d’assurer notre représentation à l’étranger et de percevoir nos impôts et nos taxes. Si Ottawa accepte, pas besoin de référendum, ce serait suffisant. Dans le fond, c’est le grand rêve de Lévesque. »

« LE PQ, C’EST FINI ! »

Avant de plonger dans la course, Pierre Céré a consulté quelques personnes, dont Louise Beaudoin. Elle lui a scié les jambes. « Elle m’a reçu dans un café en me disant : Qu’est-ce que tu fais là, Pierre ? Le PQ, c’est fini ! Et elle a passé tout le temps du café à me jaser que le PQ, c’est fini. Louise Beaudoin qui dit que le PQ, c’est fini… », répète-t-il en hochant la tête.

À sa première activité officielle de campagne, au Conseil national de février, à Laval, il attaque de front le meneur de la course. Selon lui, le fait pour Pierre Karl Péladeau de placer ses actions de Québecor dans une fiducie ne l’immunise pas d’un possible conflit d’intérêts. « Est-ce que Citizen Péladeau est en train de se payer un parti politique ? », lance-t-il alors.

Par hasard, M. Céré s’est retrouvé quelques heures plus tard seul avec M. Péladeau dans la grande salle vide du Conseil national.

« Le feu lui sortait de la tête. Il m’a interpellé très fort, commence-t-il avant de s’interrompre… Je ne devrais peut-être pas raconter ça. J’ai goûté à la colère de Pierre Karl Péladeau, mais j’ai trouvé ça plutôt drôle. »

Le premier contact entre les deux hommes fut moins houleux, mais plutôt cocasse.

« La première fois que Pierre Karl Péladeau m’a rencontré, il est venu me voir et il m’a dit : Toi t’es chanceux, t’es pas député, pis je t’envie de pas être député parce que la politique là-bas, c’est plate en tabarnak ! »

— Pierre Céré

Quelques jours plus tard, à la fin d’un caucus extraordinaire du PQ à Saint-Jean-sur-Richelieu, M. Péladeau a remis ça devant Pierre Céré et des membres de la famille de ce dernier. « Les députés devaient repartir vers Québec pour un vote à l’Assemblée nationale et il m’a dit la même chose : "C’t’affaire-là, c’est plate en tabarnak." Ma belle-mère s’est plantée devant et lui a dit que c’est pour ça qu’il a été élu ! Il lui a répondu : Pas grave, c’est plate en tabarnak. »

COURSE GAGNÉE D’AVANCE ?

Pierre Céré se bat pour les droits des chômeurs depuis des années. Les batailles difficiles, il connaît. Très jeune, il a milité en Abitibi dans le groupe En lutte – « des vrais staliniens ! », dit-il aujourd’hui en riant – puis, à Montréal, dans le Regroupement autonome des jeunes, ce qui lui a valu une surveillance policière. Ensuite, jeune adulte, il est parti, sac à dos et 10 $ par jour, faire le tour de l’Amérique du Sud, où il a tissé des liens durables avec des organisations syndicales.

Toujours résolument à gauche, il défend aujourd’hui le modèle social-démocrate québécois contre « les chevaliers de l’apocalypse qui nous prédisent les pires calamités ».

Il souhaite aussi que le PQ tire les leçons de ses dernières défaites et s’amende. Il constate toutefois que le PQ « a peur des débats ».

« La direction du PQ a décidé que ce devait être Péladeau. Le PQ veut la continuité, et cette continuité passe par Péladeau », dit-il.

Finira-t-il la course ? Se ralliera-t-il ?

« Je ne sais pas. J’y pense à chaque jour. Il va falloir qu’on réévalue notre campagne dans la première quinzaine d’avril. Je ne sais pas qui je pourrais rallier, mais c’est sûr que je ne pourrais pas me rallier à Pierre Karl Péladeau. Pas parce qu’il représente le grand capital, mais parce qu’il passe son temps à se contredire ou à ne pas vouloir répondre. »

Série Portrait des candidats à la direction du PQ

Alexandre Cloutier

37 ans

Né à Alma (il vit à Saint-Gédéon, avec sa femme et leurs deux enfants de 4 et 2 ans)

Député de Lac-Saint-Jean depuis 2007 (ministre dans le gouvernement Marois de 2012 à 2014)

Constitutionaliste (membre du Barreau depuis 2002)

Modèle politique :

Lucien Bouchard, à qui il parle régulièrement : « C’est lui qui nous a amenés aux limites du pays et c’est un homme de conviction et d’intégrité. Peut-être que le fait que ce soit un gars du Lac, ça aide un peu… »

Série Portrait des candidats à la direction du PQ

Le premier de classe

Il a été page au Sénat pendant ses études à Ottawa, puis clerc à la Cour suprême avant de partir étudier à Cambridge grâce à une bourse remise par le prince Charles en personne. À première vue, rien ne préparait Alexandre Cloutier à devenir un des jeunes leaders souverainistes les plus en vue.

Il admet d’ailleurs d’emblée que la « souveraineté, c’est venu, c’est reparti et c’est revenu ».

Son constat, aujourd’hui, est toutefois sans appel : « Pour moi, l’échec du fédéralisme canadien est une évidence. J’étais d’abord un souverainiste de cœur et je suis devenu souverainiste de raison. J’aime beaucoup les Canadiens, mais je ne me sens pas Canadien, comme j’aime les Français, mais je ne me sens pas Français. »

La première fois que j’ai rencontré (plus longuement) Alexandre Cloutier, c’était en entrevue éditoriale à La Presse, il y a plus de deux ans. Il était alors le très jeune ministre des Affaires inter-gouvernementales canadiennes du gouvernement Marois et, pour tout dire, je l’avais trouvé un brin suffisant.

J’ai retrouvé le député de Lac-Saint-Jean à quelques reprises dans le cadre de la course à la direction du PQ. Visiblement, la cuisante défaite d’avril 2014 et le plongeon dans la course au leadership avec un appui, au départ, de… 0 % ont amené chez lui une dose d’humilité.

En fait, j’avais peut-être confondu suffisance et assurance du premier de classe ambitieux et déterminé.

« Tout ce que j’ai eu, c’est par le travail acharné, je n’ai rien eu de gratuit. La seule façon pour moi de me démarquer dans cette course, c’est par le contenu, c’est en travaillant fort sur les enjeux parce que mon taux de notoriété est plutôt faible. »

— Alexandre Cloutier

Jeune avocat, il est entré dans un grand bureau d’avocats de Montréal, mais il a vite déchanté. « J’ai réalisé que ma vie, ce serait d’avoir une Porsche à 40 ans et j’ai compris que ça ne m’intéressait pas », dit-il.

Issu d’un milieu modeste (« école publique au Lac-Saint-Jean, parents divorcés, classe moyenne, un gars normal, quoi », résume-t-il), il s’est exilé de sa région natale pour étudier à Québec, Ottawa et Montréal. Il a aussi gagné de prestigieuses bourses d’études en France et en Angleterre.

Son entrée en politique s’est faite un peu par hasard, lorsque son ami Stephan Tremblay a décidé de quitter la politique. Il lui faudra toutefois travailler pour gagner son siège à l’Assemblée nationale en 2007. D’abord, remporter une investiture contestée, puis, battre le candidat-vedette du Parti libéral, un certain Yves Bolduc. « Bolduc était coroner et directeur de l’hôpital, c’était une vedette locale. Ce que les gens ne savaient pas, c’est que j’avais 4000 membres dans ma circonscription, 1 électeur sur 10, et c’est comme ça que j’ai gagné, en vendant des cartes de membre. »

Cette détermination lui est utile, essentielle même, pour mener sa campagne ces jours-ci. Il avoue toutefois d’entrée de jeu qu’il n’y arriverait jamais sans l’appui et les sacrifices de sa femme. Les déplacements incessants entre Alma, Québec, Montréal et le reste de la province lui laissent à peine le temps de passer à la maison embrasser les enfants avant le dodo. « Ma femme, c’est la première qui m’a dit d’y aller, mais c’est sûr qu’avec des enfants de 2 et 4 ans, c’est elle qui ramasse les pots », dit-il.

La course est enivrante, mais il dit avoir hâte, peu importe le résultat, de retourner dans ses terres et de retrouver les siens pour faire le point. En traversant le parc des Laurentides dans une énième tempête de neige, il pense aussi à sa prochaine partie de pêche au saumon ainsi qu’aux morilles qui l’attendent dans les bois.

Alexandre Cloutier est un bon vivant « nature ». Sportif depuis l’enfance (hockey), il n’a jamais pris de drogue et il est « plutôt contre la légalisation ». « J’essaie de ne pas porter de jugement, mais pour moi, le principe de se geler, en partant, je ne suis pas trop pour ça. Ce sujet-là, ça ne m’intéresse pas trop, je vais laisser ça à Justin… »

DU GOUVERNEMENT AU LEADERSHIP

Parti de rien, Alexandre Cloutier dit avoir été surpris et flatté par les appuis dans la communauté artistique, notamment Vincent Graton, Michel Rivard, David Marin, Yves Lambert, Vincent Bilodeau et Claude Prégent. Il est bien fier de ce « buzz », qu’il n’a pas vu venir. « Louis-Jean Cormier, par exemple, je ne le connaissais pas, c’est lui qui m’a appelé », raconte-t-il.

Au sein du caucus, il a moins d’appuis que ses rivaux Pierre Karl Péladeau et Bernard Drainville, mais il s’enorgueillit du soutien de Véronique Hivon, une députée respectée de tous à l’Assemblée nationale, et de celui du doyen François Gendron. L’appui du président des jeunes péquistes, Léo Bureau-Blouin, lui procure aussi un certain soutien chez la relève.

Alexandre Cloutier se présente comme le candidat du renouveau et de l’ouverture, par opposition à ce qu’il appelle la « surenchère identitaire ».

Il dit craindre de voir le PQ devenir un « parti conservateur défenseur de la ligne identitaire » et se réfugier dans un « nationalisme de ressentiment ».

Ses adversaires dans la course lui reprochent à mots couverts d’avoir manqué de solidarité envers les décisions du gouvernement Marois, en particulier dans les dossiers de la charte de la laïcité et du pétrole d’Anticosti.

Il se défend de larguer ses collègues.

Sur la charte : « Je vivais assez bien avec la proposition d’origine, sachant qu’il y aurait des consultations et que nous changerions des choses. Quand Lucien Bouchard, Jacques Parizeau, Gilles Duceppe et Bernard Landry parlent, il faut peut-être les écouter. J’étais convaincu qu’il y aurait des consultations et des arbitrages, mais nous sommes partis en élections. Maintenant, j’arrive avec une proposition proche de Bouchard-Taylor, qui m’apparaît plus près du consensus. »

Sur Anticosti, pourquoi ne pas avoir manifesté son opposition lorsqu’il siégeait dans le gouvernement Marois ?

« Au Conseil des ministres, ça va vite, on a quelques minutes pour se prononcer sur des dossiers complexes et on n’a pas toujours tous les éléments en main. Des fois, c’est un peu du rubber stamp », explique-t-il.

Dans les débats avec ses rivaux, sa position référendaire est loin de faire l’unanimité. M. Cloutier propose, avant de tenir un référendum, d’obtenir la signature d’un million de Québécois.

Ce n’est qu’une des très nombreuses idées avancées par le jeune candidat dans cette course. Il propose aussi, notamment, de rétablir la taxe sur les banques (500 millions par année, dit-il) et de nommer un ministre de l’Informatique. « En Europe, dit-il, ils ont des ministres du Numérique parce qu’ils estiment que c’est aussi important que le manufacturier ou que les transports et, effectivement, c’est aussi important. »

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