« Dans les contes de fées, les princesses sont toujours belles. J’ai déjà été une princesse », confie Vanessa (Debbie Lynch-White) au groupe avant d’ajouter qu’elle est maintenant une citoyenne de second rang. « Pourquoi ? Parce qu’on me juge », ajoute l’intervenante qui chapeaute cette thérapie à laquelle participent ceux que les fées semblent avoir oubliés.
Happy Face, qui vient de remporter le Prix Communications et Société au Festival de cinéma international en Abitibi-Témiscamingue, ne fait pas dans les froufrous et la dentelle, justement. Pas plus qu’il ne trouve de finale à l’eau de rose. Il retourne cependant le miroir vers le spectateur et provoque la réflexion : comment faire tomber cette barrière qui se dresse entre deux âmes ?
Apprivoiser la différence
Inspirée du vécu du réalisateur Alexandre Franchi, cette fiction raconte comment Stanislas (Robin L’Houmeau), pour devenir une meilleure personne et apprivoiser les changements corporels engendrés par le cancer qui emporte la beauté de sa mère, s’infiltre dans un groupe de soutien pour personnes défigurées.
On y rencontre Otis, Maggie, Buck, Jocko, Paulette, Stan… Tous atteints d’une forme de défiguration. Tous là pour faire face à leur réalité et se guérir de leur peur des autres, à défaut de pouvoir changer d’enveloppe.
Le réalisateur a choisi de faire appel à des personnes réellement défigurées qui jouent, pour la plupart, leur propre rôle. Ce choix est une manière de choquer les gens, de leur montrer ce qu’ils ne veulent pas voir, révèle Franchi. La réalité humaine est souvent, selon lui, plus intéressante, plus crue, plus violente que ce qu’on nous montre.
Fuir ou affronter
Alexandre Franchi a grandi avec une mère seule qui avait le cancer et qui travaillait dans l’industrie des cosmétiques. Elle se définissait beaucoup par son apparence.
« Quand elle a perdu ses cheveux, ses seins, ça l’a beaucoup affectée, autant dans sa recherche d’amour que dans sa définition d’elle-même, raconte le réalisateur. Ado, j’étais tiraillé entre mon désir de l’aider et celui de fuir. Et aussi, par mon dégoût. C’est la base émotionnelle du film. »
La présence de Stanislas, son alter ego à l’écran, viendra rapidement donner un autre sens à la thérapie et mettre en lumière la façon dont les protagonistes, pour se protéger, participent à leur propre exclusion.
Dire qu’on existe
Cindy Nicholsen, qui joue Buck, est atteinte de neurofibromatose, une maladie qui a graduellement couvert son corps de tumeurs à partir de l’âge de 16 ans. Comme son personnage, la femme de 58 ans tente de faire la paix avec sa douleur, celle d’être rejetée par la société et par sa mère. « J’avais les mêmes réactions de la part de ma mère que de la part des autres : tu n’es bonne à rien, va te cacher, tu n’auras jamais une job, t’es laide… »
À l’exception de sa participation à ce film, Cindy a passé sa vie sur l’aide sociale parce qu’il lui est impossible, dit-elle, de trouver un emploi avec cette apparence. Cette expérience de tournage a été à la fois un rêve de petite fille qui s’est concrétisé et une thérapie. « Avant, je me sentais comme un monstre. J’avais honte de sortir. Le groupe, l’ambiance, l’absence de rejet… Je ne sais pas. Je ne me sens plus pareille. Maintenant, j’arrive à sortir en me foutant du regard des autres. »
Ce regard, c’est celui de la peur, croit-elle. Rares sont ceux qui osent l’aborder. Au magasin, on lui rend la monnaie sur le comptoir, jamais dans la main. Dans le métro, certains changent de place pour éviter de la voir.
« J’aimerais que les gens n’aient pas peur de me parler. Je préfère qu’on me demande ce que j’ai plutôt qu’on me dévisage, qu’on m’ignore ou qu’on me passe des commentaires. Je vais leur expliquer : non, ce n’est pas contagieux. Mais je n’y peux rien. »
Quand on ne rentre pas dans le moule
Contrairement à ceux de la majorité des autres protagonistes, le personnage de Vanessa, la thérapeute incarnée par Debbie Lynch-White, est fictif. « Vanessa leur dit “Émancipez-vous, ayez confiance”, mais elle a elle-même beaucoup de misère à se mettre en costume de bain à la piscine. Elle a un double discours, comme beaucoup de gens », explique la comédienne.
Tout au long de la thérapie qu’elle dirige, Vanessa devra faire face à ses propres démons en raison de son embonpoint. Comme les autres, elle souffre de ne pas s’inscrire dans la norme. « Les commentaires déplaisants, ça arrive vraiment, selon Debbie Lynch-White. Ce n’est pas toujours des insultes verbales, mais dans les regards, dans les rires. C’est très sournois et très violent, parfois. »
Franchir la barrière
Dans Happy Face, le malaise de se confronter à des corps hors norme dure cinq minutes, déclare Alexandre Franchi. « Au bout d’un moment, tu te rends compte que ce n’est pas à propos du visage, cette histoire, mais plutôt se libérer du regard des autres et des bobos que les parents nous ont transmis. »
On ne va pas changer les mœurs en forçant un discours édulcoré, politically correct, en humiliant les gens qui ont des réticences face aux autres, estime le réalisateur.
« La première chose que je leur ai demandée, c’est : “Est-ce qu’on peut faire des blagues sur vos visages ? Comment on en parle ?” Je pense qu’il y a une voie intéressante à aborder ça en confrontant et avec humour. »
— Alexandre Franchi
Pour accepter cette réalité, ajoute-t-il, on a parfois tendance à prêter aux gens une forme de noblesse d’esprit ou de grandeur d’âme. Tout d’un coup, ils sont absolument parfaits. « Non, dans mon film, les gens sont défigurés. Ça ne veut pas dire qu’ils sont des anges. Ils sont aussi drôles, aussi cons aussi mesquins que tout le monde. Aussi géniaux également. »
Happy Face – La tyrannie de la beauté, réalisé par Alexandre Franchi. Présenté aux Cineplex Quartier Latin (en version sous-titrée française) et Cineplex Forum (en version originale anglaise).