Hockey

La technologie au service du sport

Quand Shea Weber a remporté le concours du tir frappé le plus puissant au récent concours d’habiletés de la Ligue nationale, Hank Adams trépignait.

« Il a fait ça avec l’une de nos rondelles ! », s’est exclamé le président et chef de direction de la société Sportsvision, avec qui la LNH développe un partenariat visant à intégrer des puces électroniques sur l’équipement des joueurs et sur les rondelles.

Calculer la puissance du tir de Weber était un jeu d’enfant. La télévision pouvait également dessiner la trajectoire du tir, mesurer la distance exacte que la rondelle a parcourue, etc.

Imaginez un match où une contre-attaque s’organise : une équipe échange la rondelle avec cinq ou six passes rapides et la télé est ensuite en mesure de cartographier cette démonstration de possession de rondelle.

Ce n’est qu’une des multiples déclinaisons qu’offrira la technologie par infrarouge de Sportsvision.

« Nous sommes au stade embryonnaire d’un work-in-progress », a toutefois prévenu le commissaire Gary Bettman avant le concours d’habiletés des Étoiles.

Qu’est-ce qui sépare donc la LNH de l’implantation de la puce ?

Ce n’est pas la puce elle-même.

« La technologie a fonctionné à la perfection, a indiqué M. Adams en faisant le bilan de ce premier essai.

« Peut-être qu’après la fin de semaine, M. Bettman aurait utilisé des termes différents. Il faut dire que les attentes étaient réalistes avant cet essai. On ne sait jamais ce qui peut arriver lorsqu’on utilise de nouveaux procédés.

« Mais la technologie en soi n’est pas embryonnaire. »

PRUDENCE

Dans la cour des diffuseurs, on se montre prudent.

« Nous en sommes encore à un an sinon deux avant que ça ne devienne d’usage courant, estime Gord Cutler, vice-président à la production hockey au réseau Sportsnet. Nous arrivons au mois de février et nous l’avons testé pour la première fois à Columbus. De dire que ce sera testé, approuvé et opérationnel l’automne prochain, il faudra travailler fort pour en arriver là. »

Mais là où le bât blesse véritablement, c’est au point de vue politique. Le recours à cette technologie n’aura pas lieu tant et aussi longtemps que la LNH ne se sera pas entendue avec l’Association des joueurs.

« À mon avis, toutes les données disponibles devront être mises à la disposition de l’Association des joueurs, des agents et des joueurs dans leur forme brute, soutient l’agent. Si la ligue croit qu’elle pourra récolter de l’information sans la communiquer ensuite, c’est voué à l’échec. »

« Si l’information n’est pas communiquée, je vais encourager tous mes clients à arracher la puce de leur uniforme et à la lancer par-dessus la baie vitrée. »

— Allan Walsh, agent de joueurs

Quelles informations la ligue décidera-t-elle de suivre et de compiler ? Autant les dirigeants d’équipe que les joueurs l’ignorent pour l’instant.

DES CHIFFRES MIS EN CONTEXTE

L’idée générale, telle qu’exprimée à Columbus par le commissaire Bettman, est de générer des données quantitatives comme la vitesse des joueurs, les trajectoires qu’emprunte la rondelle et la mesure de plusieurs prouesses.

C’est très séduisant, et on devine la LNH enthousiaste à l’idée de donner un coup de main aux diffuseurs pour améliorer la présentation de leur produit et la mise en marché des joueurs.

Mais au sein des opérations hockey, on doute que cela change de façon radicale la façon de travailler.

« Ça va prendre du temps avant de savoir où se trouve la valeur de ces données, indique Julien BriseBois, DG adjoint du Lightning de Tampa Bay. Peut-être que ce sera utile, mais peut-être que ça ne va rien apporter non plus. »

C’est surtout qu’on risque de faire fausse route en lisant ces statistiques en vase clos. Elles devront être mises en contexte.

« Si l’on décide de calculer la distance parcourue dans un match pour témoigner du travail d’un joueur, un gars comme Jamie Benn par exemple  – qui est toujours au bon endroit et qui est tellement intelligent – risque de parcourir une distance moindre, une distance équivalente à celle d’un joueur paresseux. »

Au fil des ans, les équipes seront à même de voir si la vitesse moyenne d’un joueur a décliné d’une saison à l’autre. Un vétéran comme Sergei Gonchar, par exemple, n’a plus sa glisse d’autrefois. Et pourtant, on ne le voit plus se faire déborder constamment comme c’était le cas à sa dernière année à Pittsburgh ou encore à Ottawa. C’est qu’il a corrigé ses angles de patinage pour éviter de se faire prendre aussi souvent.

« Si la vitesse moyenne d’un vétéran baisse, il faudra voir si c’est parce qu’il est plus efficace ou si c’est parce qu’il est juste plus vieux, poursuit Julien BriseBois.

« Il faut regarder des matchs pour voir ça, car la puce ne te le dira pas. »

DES UNITÉS DE MESURE PLUS JUSTES

On mesure encore mal l’étendue des possibilités qu’offrira la puce électronique une fois implantée dans les matchs de hockey. Mais à tout le moins, elle permettra de biffer les irrégularités de nombreuses statistiques « en temps réel ».

« Les statistiques en temps réel sont récoltées à la main présentement. Ce serait bien d’avoir des unités de mesure plus justes car elles varient d’un aréna à l’autre et les critères ne semblent pas être les mêmes. »

— Manny Malhotra

Les officiels mineurs de la LNH n’ont pas encore été prévenus que leur avenir était susceptible d’être affecté par cette technologie.

Mais rien ne sert de mettre la charrue avant les bœufs : avant que tout ce système soit mis en place, un long jeu de coulisses entre la LNH et l’Association des joueurs devra d’abord avoir lieu.

« Il faut considérer toutes les ramifications avant d’aller de l’avant, prévient l’agent Allan Walsh. Il ne suffit pas de dire que la technologie est développée et que les données sont précises pour planter tout de suite des puces sur le chandail de tout le monde. »

NON AUX FRÉQUENCES CARDIAQUES

Y a-t-il une crainte d’une « Big Brotherisation » du hockey à force que tout soit enregistré de la sorte ?

« Je suis sûr qu’on va porter un jour des moniteurs cardiaques », soupçonne Mike Weaver, représentant des joueurs du Canadien.

Or, ce qui semble clair, c’est que la ligue entend pour le moment se limiter à une puce qui récoltera de l’information relative aux performances, et non s’aventurer du côté d’informations médicales. De toute façon, il s’agit de deux technologies différentes. La puce de Sportvision, rattachée à l’équipement, serait incapable de mesurer les fréquences cardiaques.

Si la ligue a envie d’aller jouer de ce côté – et avoir une bonne bataille avec l’Association des joueurs sur les questions de vie privée –, d’autres entreprises comme l’australienne Catapult pourraient bien l’alimenter.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.