Opinion : États-Unis

Trump et les limites de la stratégie sudiste

Le président n'est guère préoccupé de l’avenir du Parti républicain au-delà de 2020

En refusant de condamner sans équivoque les agissements violents de groupuscules d’extrême droite à Charlottesville, en Virginie, Donald Trump s’est attiré de virulentes critiques, notamment de la part de nombreux élus républicains. Il s’agit de la plus récente et de la plus spectaculaire manifestation de la complaisance qu’entretient depuis plusieurs années le président à l’égard d’organisations aux idées ouvertement racistes et xénophobes.

Or, si cette situation nous paraît inédite, l’instrumentalisation des clivages raciaux et idéologiques (dénonciation d’une soi-disant alt-left qui serait aussi violente que l’alt-right) semble être un écho à la « stratégie sudiste » développée naguère par le président Richard Nixon (1969-1974) et perfectionnée par le Parti républicain par la suite.

Nixon et la conquête du Sud

Au lendemain de la guerre de Sécession et de la Reconstruction (1861-1876), le Parti démocrate est devenu une force politique hégémonique dans le sud des États-Unis. Cette situation était due au fait que le Parti républicain demeurait associé au Nord et à la figure d’Abraham Lincoln. Ce monopole s’est maintenu jusqu’à ce que les démocrates commencent à s’ouvrir à la cause des droits civiques, à partir de la présidence d’Harry Truman (1945-1953). À partir de ce moment, le Sud est devenu une région convoitée pour le Grand Old Party (GOP).

En 1964, son candidat présidentiel Barry Goldwater, malgré une défaite cinglante au niveau national, est parvenu à faire une percée historique dans le Deep South, remportant cinq États dans cette région.

C’est toutefois en 1968, avec la victoire de Richard Nixon, que la stratégie sudiste se déploya pleinement.

Nixon et ses conseillers firent alors campagne en ciblant l’électorat blanc conservateur du Sud, choqué par la déségrégation raciale et par les désordres de la fin des années 60 (manifestations contre la guerre du Vietnam, émeutes dans les ghettos noirs). Nixon mit de l’avant les thèmes des droits des États et de la loi et l’ordre.

Se déclarant représentant de la majorité silencieuse, il sera notamment le président qui lancera la guerre contre les drogues, une mesure qui cible officiellement les adeptes de la contre-culture, mais qui fera surtout des ravages au sein de la communauté afro-américaine. À partir de Nixon, la stratégie sudiste sera un instrument majeur de la montée en puissance au niveau national du Parti républicain à partir des années 70 et un catalyseur de la droitisation accélérée de ce parti au cours des dernières décennies.

Le Parti républicain et le « nouveau Sud »

Aujourd’hui, à l’exception de quelques États (Caroline du Nord, Floride, Virginie), le Parti républicain est une force politique dominante dans l’ancienne Confédération. Le Sud de 2017 n’est toutefois pas celui de 1968. Depuis quelques décennies, la région connaît un essor important. Ses métropoles se développent et attirent des Américains de partout ailleurs au pays et des immigrants du monde entier. Comme dans les autres régions américaines, la population se diversifie et la génération des milléniaux, aux valeurs plus cosmopolites que celles de leurs aînés, prend une place de plus en plus importante.

Ainsi, la persistance bien réelle des problématiques raciales ne doit pas masquer entièrement le développement simultané d’un « nouveau Sud », plus dynamique et ouvert que l’ancien Dixie.

S’ils veulent maintenir leur domination dans cette région, les républicains comprennent bien qu’ils devront adapter, voire abandonner la stratégie sudiste telle que conçue par Nixon et ses successeurs. Dans un contexte où le poids démographique des Blancs de la classe ouvrière diminue sans cesse, dénoncer les agissements de groupes racistes et xénophobes n’est ni plus ni moins qu’une nécessité pour le Parti républicain s’il veut survivre à moyen et long terme. 

On comprend mieux dès lors l’empressement de plusieurs républicains de haut rang (incluant les sénateurs sudistes Lindsay Graham et Marco Rubio) à fustiger la réponse de Donald Trump à la suite des événements de la fin de semaine dernière. De son côté, le président des États-Unis semble bien peu intéressé à assurer l’avenir du GOP au-delà de 2020, année où il fera vraisemblablement face à l’électorat pour la seconde et dernière fois.

Une stratégie payante pour 2020 ?

Le refus de Donald Trump de condamner les agissements de l’alt-right choque, mais ne surprend guère, dans la mesure où le président n’a jamais véritablement senti le besoin de clairement se dissocier des groupuscules d’extrême droite qui l’appuient.

Cela étant dit, il y a lieu de se demander en quoi cette attitude aidera Trump à remporter un second mandat en 2020. En refusant de reconnaître la persistance de certaines problématiques raciales et en dénonçant la violence d’une soi-disant alt-left, Trump semble reprendre des éléments du livre de jeu sudiste de Nixon.

Or, s’il l’a remporté en novembre dernier, ce n’est pas grâce à l’appui du Sud (déjà acquis au GOP), mais bien grâce à ses victoires dans la région des Grands-Lacs (Michigan, Ohio, Pennsylvanie, Wisconsin), où les enjeux raciaux, sans être inexistants, sont cependant moins prégnants. Dans ce contexte, on voit mal comment Trump peut bénéficier de l’accentuation des tensions raciales.

Certes, l’exploitation des clivages sociaux et identitaires dans un cadre électoral peut être une bonne façon de remobiliser l’électorat blanc de la classe ouvrière en 2020, mais cette « stratégie sudiste pour le Midwest », en plus d’être dangereuse pour le tissu social américain, n’offre aucune garantie de succès. Richard Nixon avait la réputation d’être un politicien cynique et rationnel ; la rationalité de Donald Trump laisse, quant à elle, souvent perplexe.

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