RÉFLEXION

Vous avez dit « aide médicale à mourir » ?

Je ne sais exactement comment l’appeler pour éviter toute ambiguïté

À l’agonie, Thérèse d’Avila, la femme de tous les combats de l’époque, a lancé un cri étonnant : « Je n’en peux plus, je n’en peux plus. Seigneur, pouvez pour moi ! »

Aujourd’hui, une personne rendue au bout du supportable dit : « Docteur, pouvez pour moi ! » C’est une demande d’aide à mourir. Cette personne demande à un professionnel ce que Thérèse a demandé au ciel, quitte à revoir à la baisse l’objet de sa demande. Car en finir avec une vie infernale, c’est infiniment plus facile que de la laisser se dérouler jusqu’à la fin.

Cela dit, l’aide médicale à mourir m’interpelle. Cette intervention du médecin est-elle correctement appelée ? Dit-elle rigoureusement ce qu’ il s’agit ?

Non, à mon avis, car si le médecin avance l’heure de la mort, il reste en deçà de celle-ci. Demeurant en amont, il n’y entre pas. Car mourir est un acte qui appartient totalement et exclusivement au malade lui-même.

Le mourant est comme le boxeur dans le ring ou le coureur sur la piste. On peut l’encourager par nos cris, mais on reste à l’extérieur de son combat. De la même façon, en quelque sorte, le médecin aide le mourant, mais c’est afin que celui-ci, par contre, cesse son combat : celui contre la maladie.

On s’étonnera peut-être d’apprendre que mourir est un acte, qu’il n’a rien de passif, qu’on ne subit pas la mort. De fait, on meurt comme on est né. Or, on est passés du milieu aquatique au milieu aérien par notre propre force. « Il ne faut pas oublier une chose, nous dit une mère de famille, Marie de Hennezel : c’est l’enfant qui fait naître. Les femmes qui ont accouché le savent […]. Lorsqu’on a vécu un accouchement, on sait ce qu’est cette force qui nous traverse, contre laquelle on ne peut rien. »

Contrairement à ce que nous avons toujours pensé, l’effort irrésistible lors de l’accouchement n’est pas celui de la mère, mais de l’enfant, et les résistances sont celles de la maman et non pas de sa progéniture. L’apport du médecin, quant à lui, n’a pas été d’aider l’enfant à naître, mais la mère à vaincre ses résistances. Pour en savoir plus sur cette conception révolutionnaire du naître, je recommande Une vie pour se mettre au monde de Marie de Hennezel et Bertrand Vergely (Le livre de poche, 2010).

Tout comme l’enfant ne subit pas l’accouchement, le mourant ne subit pas la mort. Il en est l’acteur. Un acteur parfois surprenant. Par deux fois, l’un de mes amis a été déclaré mort par des médecins. Or, il vit toujours, et il est en pleine forme !

Je ne sais exactement comment appeler l’aide médicale à mourir pour éviter toute ambiguïté. Tout ce que je peux faire, c’est d’y aller avec un signe de ponctuation et d’écrire : l’aide médicale à mourir ?

Pour être plus concret, je m’adresse aux grands malades confrontés à cette aide médicale. Si votre décision est prise, si vous avez définitivement fait le choix d’y recourir, permettez-moi de vous dire ceci.

J’ignore à peu près tout de votre démarche, mais je veux être en communion avec chacun de vous pour vous dire, au moment où le médecin vous mettra en marche vers la mort : « Va vers toi, un peu comme si tu étais à une session zen. » Et si tu as la foi : « Va naître ». Car mourir, c’est naître, ce qu’a dit de façon imagée Charles Péguy, redevenu croyant : « Le tombeau où tout homme se couche […] est le dernier berceau de tout homme. » Fort de sa foi, Félix Leclerc va dans le même sens avec ce mot fameux : « C’est beau la mort, c’est plein de vie dedans. » Pour sa part, Christiane Singer a écrit un livre, aussi intelligent que poignant, qui raconte la maladie dégénérative qui l’a amenée aux portes de la mort : Derniers fragments d’un long voyage. « Demain […] est désormais, a-t-elle écrit, le jour de ma naissance. » Aux grands malades qui hésitent à demander l’aide médicale à mourir, je rappelle le conseil de Rilke à un jeune poète dans l’éventualité d’une grande détresse : « Laissez votre vie se dérouler. Croyez-moi, la vie a sa raison dans tous les cas. »

C’est ainsi que la maladie, une œuvre de la vie, si déroutante soit-elle, provoque l’érosion de l’ego.

Par vagues successives et sans pitié, la maladie enlève progressivement ce que tout être humain a mis, couche après couche, sur l’enfant tout nu qu’il était à sa naissance. La maladie nous rapproche de notre être original. À la supporter avec patience, elle nous apprend ce que nous sommes en vérité.

J’ajoute ceci. Dites-moi comment vous réagissez en vous souvenant des pires épreuves que vous avez surmontées durant votre vie. Comme il est écrit dans la tragédie de Sénèque Hercule furieux, c’est : « Ce qui fut dur à supporter, il est doux de s’en souvenir. » Puissiez-vous supporter encore quelque temps votre condition des plus pénibles, car il vous sera éternellement doux de vous en souvenir !

Je vous redis ce mot que l’abbé Pierre, très âgé, nous a dit en quittant le Québec pour la dernière fois : « Bon courage ! »

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