Opinion  Internet

Le paupérisme techno des régions

En réaction à l’éditorial « Le droit à l’internet », d’Ariane Krol, publié le 22 novembre.

Je suis né à Montréal, où j’ai vécu pendant une cinquantaine d’années. En 2012, j’ai déménagé à Saint-Justin, en Mauricie. J’ai donc quitté un excellent emploi dans une grande organisation en me disant que je gagnerais désormais ma vie à titre de travailleur autonome.

J’avais déjà été copropriétaire d’entreprises dans les domaines de l’informatique et des communications. J’étais donc sûr de relever ce défi sans trop de difficultés. Plusieurs sociétés ne fonctionnent-elles pas aujourd’hui avec un réseau de collaborateurs virtuellement reliés ? Mais voilà, je n’aurais jamais pensé qu’à une heure de voiture de Montréal, l’accès à l’internet relève de l’exploit et que les liaisons cellulaires fonctionnent au gré de la météo.

J’ai obtenu quelques contrats, notamment pour développer des trames musicales destinées à des applications neurotechnologiques. Or, le transfert d’un fichier pouvait prendre 24 ou 48 heures. Sauf qu’à 0,25 Mb/s, la connexion se rompt fréquemment. Il faut alors recommencer le téléchargement, et prier son client de se montrer patient !

Développer des sites web ? Essayez, avec une liaison dont la vitesse se compare à celle des modems des années 70 !

Comme la collectivité se partage une mince bande passante, le service ne fonctionne à peu près pas les soirs, les week-ends, les jours fériés, etc. Et pour ce qui est de Netflix et Tou.tv… Ah oui, j’en ai déjà entendu parler : à 0,25 Mb/s, on ne peut même pas visionner les vidéos de La Presse+.

Vous me direz qu’en choisissant de résider en zone rurale, on choisit un emploi adapté. Or, nous avons des amis qui exploitent une ferme biologique à Yamachiche. Ils y élèvent des poulets, des dindes, des veaux. Une occupation on ne peut plus adaptée au contexte socio-économique, non ? Sauf que leur établissement distribue ses produits essentiellement via… un site web. Les ventes suivent alors le comportement du service internet et tombent au fil des interruptions, parfois de longue durée.

Après maintes récriminations et de multiples déboires, un fournisseur nous a très récemment offert une liaison à 5 Mb/s. L’extase !

Tant que les zones rurales n’auront pas un accès internet « normal », les jeunes continueront de fuir à la première occasion. Qui peut leur reprocher de vouloir rejoindre la civilisation ? Quant aux entrepreneurs qui lorgnent la grande disponibilité de la main-d’œuvre locale, ils renonceront à s’installer là où la communication avec le reste de la planète passe par… la poste.

La revitalisation des régions demeure strictement impossible sans un accès décent à l’internet. Mais qui se préoccupe du sort des « habitants » de la campagne ? Je veux dire, à part vous, Mme Krol ?

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