Minorités sexuelles

10 minutes pour faire tomber les préjugés

Dix minutes : c’est tout le temps qu’il faut pour faire tomber les préjugés les plus tenaces sur les minorités sexuelles. Et cette fois, c’est vrai. Dans un revirement digne d’Hollywood, des chercheurs qui avaient démasqué une fraude scientifique viennent de publier des résultats encore plus concluants que ceux qu’ils avaient démolis. Résumé d’une histoire rocambolesque qui redonne espoir dans le genre humain.

UN TRANSGENRE À VOTRE PORTE

Toc, toc, toc. « Bonjour. Nous sommes ici pour vous parler des transgenres. »

C’est en gros ce qu’ont dit les bénévoles d’une organisation LGBT (lesbiennes, gais, bisexuels et transgenres) aux citoyens de Miami chez qui ils ont frappé. Certains bénévoles étaient eux-mêmes transgenres. D’autres non. Ils ont discuté de la réalité des transgenres, ont demandé aux citoyens leur opinion sur le sujet, leur ont fait visionner une brève vidéo qui présentait des arguments pour et contre un projet visant à abolir une loi protégeant les transgenres. Puis ils sont partis. Durée de l’interaction : 10 minutes.

QUAND LA PHOBIE TOMBE

Ces visites faisaient partie d’une étude menée par David Broockman, de l’Université Stanford, et Joshua Kalla, de Berkeley. Par des sondages, les chercheurs ont évalué le sentiment des citoyens face aux transgenres avant et après l’interaction. Surprise : ces rencontres sur le pas de la porte ont suffi à changer les idées des gens de façon spectaculaire. Les résultats ont été publiés vendredi dans la prestigieuse revue Science.

« Toutes les théories présentent les préjugés comme des idées très durables et résistantes au changement, souvent ancrées dès l’enfance. Il est donc surprenant qu’une brève interaction avec des étrangers puisse réduire ces préjugés de façon aussi marquée », commente David Broockman en entrevue avec La Presse.

UN CHANGEMENT DURABLE

Les chercheurs ont démontré que cette petite conversation a changé la vision des gens de façon durable. Trois mois après la rencontre, les préjugés tombés n’étaient pas revenus. Même le visionnement d’une vidéo tirée d’une campagne visant à retirer des droits aux transgenres n’a pas ébranlé les acquis de façon significative et durable. Fait intéressant, les bénévoles qui n’étaient pas transgenres ont obtenu le même succès que les transgenres. Et les électeurs républicains se sont montrés aussi susceptibles de changer d’opinion que les démocrates après avoir discuté avec un bénévole s’étant invité chez eux.

FRAUDE SCIENTIFIQUE

La découverte de MM. Broockman et Kalla ne manque pas d’ironie. C’est que les deux chercheurs sont connus pour avoir démasqué une fraude scientifique concernant des résultats très similaires à ceux qu’ils viennent de publier.

En 2014, deux chercheurs américains, Michael LaCour et Donald Green, démontrent qu’une simple conversation de 20 minutes avec un gai peut renverser l’opinion de quelqu’un sur le mariage homosexuel. La découverte, aussi publiée dans Science, fait alors grand bruit.

Intéressés par ces résultats, David Broockman et Joshua Kalla lancent leurs propres recherches. Mais en examinant la méthodologie de la première étude, ils découvrent un grand nombre de problèmes méthodologiques et éthiques. Il semble aujourd’hui que Michael LaCour et Donald Green aient fabriqué leurs données sans même mener d’expérience. La revue Science a désavoué leur étude.

« L’ironie est que nos résultats semblent montrer que cette technique fonctionne encore mieux que ne le laissait penser l’étude originale », commente David Broockman.

UN NOUVEL « OPTIMISME »

Les auteurs n’hésitent pas à dire que leurs résultats soulèvent un « optimisme pour la sphère publique ».

« On peut maintenant se poser la question suivante : est-ce que les préjugés semblent si tenaces parce que la personne y croit profondément, ou seulement parce que personne n’a pris la peine d’amener l’individu à les revisiter par une simple conversation ? », demande David Broockman.

Les chercheurs aimeraient maintenant vérifier si la technique fonctionne aussi contre le racisme et l’homophobie. Et ils soulignent que leur découverte remet en question la pertinence des campagnes de sensibilisation de masse, qui ne sont peut-être pas le meilleur outil pour provoquer des changements d’attitude et de comportement.

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