Un dernier test intrigant

Après un flop au sprint de samedi, Alex Harvey s’est rassuré hier en terminant 10e sur 15 km à la Coupe du monde de Cogne, en Italie, dernière course préparatoire avant les Mondiaux de Seefeld, qui s’ouvrent jeudi.

Alex Harvey a fouillé dans ses archives avant d’aller au lit samedi soir. Il cherchait à se rassurer après sa 48e place aux qualifications du sprint en style libre de la Coupe du monde de Cogne, en Italie. Pas exactement le genre de course pour le mettre en confiance en vue des Championnats du monde de Seefeld, qui commencent jeudi en Autriche avec, justement, un sprint en style libre.

Dans son ordinateur, le fondeur a ouvert de vieux journaux d’entraînement, dans lesquels il consigne toutes ses séances accompagnées de notes et d’observations. Comme il le pensait, il avait connu le même genre de défaillance avant les Jeux olympiques de Vancouver, où il s’était révélé en 2010, et les Mondiaux de Val di Fiemme, où il avait gagné le bronze au sprint en 2013.

Comme à cette époque, Harvey sort d’un stage en altitude à Livigno, où il a fait le plein de globules rouges. Après quelques jour de repos à Davos, en début de semaine, il faisait repartir la machine à Cogne, dans le Val d’Aoste. Chaque fois, son corps réagit mal au redémarrage.

« Sept ou dix jours avant un championnat, ce n’est pas inhabituel pour moi d’avoir des journées vraiment difficiles, observait-il. Ça m’est arrivé à plusieurs reprises, surtout quand j’étais plus jeune. C’est ce que j’avais en mémoire, mais des fois, ta mémoire te joue des tours. Je voulais juste le confirmer. Dans ce temps-là, tu te bats un peu contre des pensées négatives. »

Harvey a mis une bonne partie de ces préoccupations derrière lui en prenant le 10e rang du 15 km classique de Cogne, hier.

Cette fois, les archives du site internet de la Fédération internationale de ski (FIS) sont venues confirmer ce dont il se doutait : ce n’était que la troisième fois de sa carrière qu’il parvenait à se glisser parmi les 10 premiers dans cette discipline, la première en plus de quatre ans.

Pour ajouter à sa satisfaction, Cogne pointe à près de 1600 mètres au-dessus du niveau de la mer, une altitude où il n’a jamais réussi à tirer son épingle du jeu. Les deux styles confondus, Harvey n’avait atteint le top 10 qu’une seule autre fois dans une épreuve de distance en départ individuel.

« Je suis vraiment content, la course d’aujourd’hui est vraiment bon signe pour moi », s’est félicité l’athlète de Saint-Ferréol-les-Neiges une heure après la fin de l’épreuve dominée d’une tête et des épaules par le Russe Alexander Bolshunov.

Un pari

Trois kilomètres après le départ, Harvey ne semblait pas parti pour la gloire, grimaçant et peinant sur des planches qui n’adhéraient pas à la neige. Normal, il était sur des skis de pas de patin, donc sans fart d’accroche, a-t-il expliqué. Comme le Suisse Dario Cologna, il avait fait ce choix stratégique en fonction des conditions météo chaudes et du type de parcours, peu accidenté.

Son pari : tout miser sur la glisse et franchir la distance en double poussée, sauf dans deux zones délimitées sur le circuit où le pas alternatif du classique est obligatoire. La FIS a instauré cette règle en 2017 dans une volonté de protéger le classique, menacé par les puissants « pousseurs ».

À la marque des trois kilomètres, Harvey devait donc se conformer au classique sur quelques dizaines de mètres sur un faux plat montant. « Ce n’était pas du ski de fond que je faisais », a-t-il résumé.

Pour le reste, tout s’est bien déroulé. Il ne regrettait donc pas son choix d’équipement. « Je ne pense pas que j’aurais pu faire beaucoup mieux en classique, même si tous les gars devant moi étaient en classique. Mes jambes ne sont pas encore super. Des fois, tu es mieux d’y aller seulement avec les bras. C’était une opportunité, tu ne sais jamais comment ça va aller avant le départ. »

Il a fini à 1 minute 40 secondes de Bolshunov, mais à moins d’une minute du deuxième, le Finlandais Iivo Niskanen, deux de ses « tortionnaires » du 50 km des Jeux olympiques de PyeongChang. Cologna, triple médaillé d’or olympique sur la distance, a terminé 25e, à 2 min 20 s sur ses skis de pas de patin.

Direction : Seefeld

Aujourd’hui, les fondeurs traversent le nord de l’Italie pour se rendre à Seefeld, dans le Tyrol autrichien. Harvey y disputera déjà ses sixièmes Mondiaux, ses premiers à titre d’aîné de l’équipe canadienne. Il est monté au moins une fois sur le podium à chacune des quatre présentations précédentes.

Malgré une saison beaucoup plus difficile, marquée par un seul podium en Norvège en décembre, son objectif n’a pas changé. Il vise encore une médaille, avec pour cibles principales le skiathlon de 30 km, samedi, et le 50 km style libre du 3 mars, où il s’élancera comme tenant du titre.

« Ce sont les deux grosses courses que j’ai encerclées sur l’horaire des Championnats du monde. C’est sûr que le but ultime, c’est de me battre pour le podium l’une de ces journées-là. De réussir une course qui me rend fier. Avec ça, j’ai confiance d’avoir un bon résultat. »

Un bon résultat, ça peut aussi signifier la quatrième place, comme au 50 km classique de PyeongChang, douloureux souvenir qu’il dit avoir mis derrière lui depuis longtemps.

« Ça pourrait encore arriver, sauf que cette année, [la formule d’alternance] fait en sorte que ça revient au 50 km en pas de patin. Le skiathlon finit aussi en pas de patin [comme toujours]. Je sais que je suis un peu plus fort en pas de patin. Si je réussis ma meilleure course de la saison, ça devrait être bon. Je me concentre là-dessus. »

Début janvier, frustré et inquiet, Harvey était débarqué au Québec en catastrophe après avoir coupé court au Tour de ski. Tout le monde s’était gratté la tête : est-ce le début de la fin ?

Au contraire, ce bol d’air frais lui a fait le plus grand bien, assure-t-il. Son remède ? « Juste skier. »

Skier sans penser à ses jambes, son niveau de fatigue, la prochaine course. Skier pour le plaisir dans son arrière-cour du Mont-Sainte-Anne, dans le froid et la neige de janvier, ce qu’il n’avait pas connu depuis 10 ans. Skier le plus souvent seul, parfois avec son ami Frédéric Touchette, un ex-coéquipier.

« Je me sens beaucoup plus léger, autant dans les jambes que dans la tête. Ça a valu le coup. J’ai eu le guts de revenir à la maison et de faire un reset. Ce n’était pas facile pour moi. On s’entraîne toute l’année pour faire des courses. Mettre un dossard, c’est ce que j’aime. Avec un peu de recul, je suis fier d’avoir pris cette décision. C’est là que je vais chercher de la confiance. »

Quel avenir ?

À première vue, ces Mondiaux détermineront l’avenir sportif du futur diplômé en droit. Depuis deux ans, le skieur de 30 ans souffle le chaud et le froid sur la suite de sa carrière au terme de la présente saison. « Il a l’air trop jeune pour se retirer », faisait remarquer le commentateur britannique d’Eurosport avant son départ hier.

D’abord fermé à l’idée de s’engager pour 2019-2020, Harvey a graduellement ouvert la porte au fil des derniers mois, alimentant les spéculations à son sujet.

« Ça se comprend : c’est moi aussi qui en ai parlé aux Jeux à PyeongChang… », concède-t-il. Après sa déception du 50 km, il avait acquiescé quand un journaliste lui avait demandé s’il s’agissait de son chant du cygne olympique.

« Aujourd’hui, je ne peux pas dire que c’était ma dernière course olympique. »

— Alex Harvey

De la même façon, Harvey refuse de dire qu’une bonne prestation dans le Tyrol autrichien est une condition sine qua non à la poursuite de sa carrière.

« Ça aura un impact, mais j’ai quand même déjà eu un podium cette année. Juste ça fait en sorte que ça vaut la peine [de continuer]. Parce que c’est tellement une journée tripante. Ce n’est pas tant le résultat en tant que tel, c’est d’y croire et d’y avoir cru pendant tout le temps que tu t’entraînes et que tu te prépares pour ça. »

Chose certaine, le quintuple médaillé mondial sait d’ores et déjà qu’il ne partira plus pendant une saison complète sans revenir à la maison. La « réinitialisation » de cet hiver, bien que forcée par les circonstances, lui a fait comprendre qu’un tel intermède était dorénavant nécessaire à son bonheur.

Les grandes décisions attendront après les finales de la Coupe du monde à Québec, du 22 au 24 mars. D’ici là, il a des comptes à régler sur les pistes de Seefeld avec des Norvégiens, des Russes, des Finlandais…

Quatre ou cinq courses

Harvey disputera quatre ou cinq courses sur une possibilité de six aux Mondiaux. Il ouvrira le bal dès jeudi avec le sprint individuel style libre, sur le même parcours où il avait terminé huitième l’an dernier. Samedi, il prendra le départ du skiathlon de 30 km (15 km classique + 15 km style libre), son premier grand rendez-vous. Son état de forme – et celui de ses coéquipiers – déterminera ensuite sa participation au sprint par équipes de dimanche. À ce sujet, la brillante 12e place de l’Albertain Russell Kennedy à Cogne vient considérablement changer la donne. Malade, Len Valjas, qui a pris part à cette épreuve à PyeongChang, était absent en Italie. En dépit de son 10e rang hier, Harvey fera assurément l’impasse sur le 15 km classique du 27 février, la course où il estime avoir le moins de chances de médaille. Pour le relais 4 x 10 km du 1er mars, il prévoit se charger de la première portion en classique. Cette course lui servira de préparation finale pour le 50 km libre du 3 mars, en clôture de l’événement.

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