neuropsychologie

« Vous êtes Asperger, sans aucun doute »

Brillante et passionnée de littérature, Marie-Josée Cordeau a toutefois toujours eu du mal à se faire des amis. Rejetée à l’école, harcelée au travail, elle a tout lu et tout tenté pour s’adapter au monde qui l’entoure. Jusqu’à ce qu’elle comprenne, à 45 ans, qui elle est.

Le questionnement

Enfant, Marie-Josée ne parle que lorsque c’est nécessaire. De nature solitaire, elle joue à faire tourner des boutons sur le plancher ou elle lit le dictionnaire. « Ma mère trouvait ça bizarre, mais ce n’était pas problématique, et surtout, j’étais dans les premières de la classe à l’école », raconte la femme qui a aujourd’hui 50 ans.

C’est à l’adolescence que Marie-Josée ressent le rejet pour la première fois. Elle a une seule amie et elle parvient difficilement à discuter avec les autres élèves. Même si elle se distingue au point de vue scolaire, elle met un terme à ses études en scénarisation à l’université, incapable de supporter la désorganisation, le bruit et le travail d’équipe sur des plateaux de tournage.

S’ensuivent une série de petits boulots, puis une réorientation en bureautique. « On me disait toujours dans mes évaluations que j’étais l’employée la plus efficace, la plus impeccable et la plus perfectionniste qu’ils n’avaient jamais vue… mais quand il y avait des coupes, j’étais la première à partir. Je ne comprenais pas pourquoi. On m’a dit un jour : "Ça va bien au travail, le problème, c’est ton attitude." Je demandais quoi, exactement, et on répondait : "Ben là, c’est évident !". J’aurais dû le savoir, mais je ne le voyais pas. »

Victime de harcèlement professionnel, Marie-Josée fouille le sujet. C’est là qu’un déclic se produit. Elle constate que beaucoup de personnes harcelées, même si elles ne sont pas autistes, ont du mal avec les codes sociaux non écrits, constate-t-elle. Quand elle tape ces mots sur l’internet, les résultats de recherche pointent surtout vers… le syndrome d’Asperger.

Le diagnostic

Marie-Josée a beau se reconnaître dans les comportements associés au syndrome d’Asperger, elle n’est pas prête. Elle met l’idée de côté un an, puis elle se rend à l’évidence : elle n’est pas heureuse. Elle ne comprend pas le monde qui l’entoure. Pour en avoir le cœur net, elle demande une évaluation au secteur public. Après deux ans d’attente, elle se bute à une équipe qui se limite à son anxiété. « Si vous étiez autiste, ç’aurait été diagnostiqué pendant votre enfance, m’a dit une infirmière. Mais quand on a déterminé les critères du syndrome d’Asperger, j’avais 25 ans ! » Après une rencontre avec le psychiatre, elle est découragée. Le spécialiste refuse d’explorer la piste de l’autisme, parce qu’il juge sa patiente fonctionnelle.

Épaulée par un organisme, Marie-Josée consulte alors une docteure en psychologie, spécialisée en autisme. Après des heures de tests, de questionnaires et d’entrevues, la femme de 45 ans est prête à accepter le diagnostic, tel qu’il est.

Puis, elle entend ces mots : « Vous êtes Asperger, sans aucun doute. »

Les réactions

Immédiatement, Marie-Josée ressent un immense soulagement. « Ça m’a permis de me connaître et de me comprendre ! Avant le diagnostic, je voyais juste le négatif, mais j’ai des points forts, aussi ! Je ne me trouvais pas intelligente : les gens me renvoyaient l’image contraire ! », explique-t-elle. Son amoureux et ses proches comprennent alors pourquoi elle fuit les rencontres bruyantes. Pourquoi ces événements la rendent si anxieuse.

Puis, Marie-Josée vit ce qu’elle appelle « une dégringolade ». « Je me suis mise à penser à toutes ces relations qui n’ont pas fonctionné parce que j’ai su trop tard que j’étais autiste ! Tout ce qui a été raté… Si j’avais poursuivi en droit, comme je le voulais au départ, au lieu de suivre un intérêt spécifique – ce qui est très commun chez les autistes –, ç’aurait pu être différent. Il n’y avait pas de débouchés pour moi en cinéma. »

Et après ?

« J’ai appris à me pardonner des choses, souffle ensuite Marie-Josée, au terme de la conversation. Je n’ai pas fait exprès si ça s’est mal passé. » Le diagnostic lui permet aussi d’apporter des adaptations à son quotidien. « Mon conjoint m’a vue m’ouvrir un peu plus. Il m’a vue à mon pire, quand j’étais très renfermée et quand je ne parlais qu’à lui, ou presque, et il a vu l’évolution », raconte-t-elle.

Aujourd’hui, elle écrit et elle donne des conférences sur le sujet. Elle accompagne plusieurs adultes qui passent par les mêmes questionnements, les mêmes étapes qu’elle.

Bien qu’elle fasse encore face à l’incompréhension, elle peut compter sur un réseau qui la soutient. « Les gens vont souvent dire : "On est tous un peu autistes de temps en temps…", mais une personne de ma famille a un jour répliqué à ça : "Marie-Josée, elle, c’est tout le temps !" C’est vrai : la différence, c’est dans l’intensité. Je me suis tellement sentie comprise ! »

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