Chronique

Un Noël sans voix

Gaston Loubier était dans la quarantaine lorsqu’il s’est rendu compte que quelque chose n’allait pas avec ses yeux. Peut-être juste un problème de lunettes, se disait ce professeur de cégep.

Un jour, le diagnostic est tombé comme tombent les bombes. Glaucome. Petit à petit, il allait perdre la vue. Il ne pourrait plus voir ce qu’il aimait tant voir. Il ne pourrait plus lire ce qu’il aimait tant lire. C’était irréversible.

Le jour où il a su qu’il ne pourrait plus conduire, il a réalisé ce qui lui arrivait. C’est toute sa vie qu’il allait désormais devoir conduire autrement. « J’ai pleuré », raconte-t-il.

Lui qui avait un moral d’acier a senti qu’il perdait pied. Il a appelé l’Institut Nazareth et Louis-Braille pour avoir de l’aide. L’attente était d’au moins quatre mois pour voir un psychologue. Trop long. Finalement, au lieu d’être soigné par un psy, il a été soigné par des livres. Il a découvert Vues et Voix (autrefois appelé La Magnétothèque), un organisme qui produit des livres audio adaptés pour des gens qui autrement ne pourraient pas lire. La littérature fut à la fois son ancre et son mât. Elle l’est toujours, 30 ans plus tard. Un bonheur immense. Se faire lire une histoire, c’est comme retomber en enfance, dit-il. « C’est comme si le lecteur nous prenait dans ses bras. »

« Maintenant, je ne peux plus me séparer de mon stream », me dit-il, en sortant l’appareil de sa poche. Ce qu’il appelle son « stream » est un lecteur adapté qui permet de télécharger des livres sonores. M. Loubier y puise sa dose quotidienne de livres qui aident à vivre. 

Un monde imaginaire qu’il peut voir avec les oreilles, comme il dit, grâce aux 375 bénévoles qui, chaque semaine, prêtent leur voix à Vues et Voix.

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Petit, il n’avait pas de livres à la maison. Son père, qui travaillait dans les mines d’amiante à Asbestos, ne savait ni lire ni écrire. Sa mère avait une septième année.

Dessinateur industriel de métier, M. Loubier a découvert la littérature au début de la vingtaine, alors qu’il faisait un retour aux études de soir pour terminer son cours classique. « C’est là que j’ai découvert Camus », raconte-t-il.

En 1967, au moment de la création des cégeps, il a postulé un emploi d’enseignant en techniques de génie civil. Le directeur a sourcillé en voyant qu’il n’avait pas de diplôme de technicien. « Oui, mais j’ai de l’expérience. Et je suis en train de faire mon bac ès arts…

— Connaissez-vous Camus ? » a demandé un professeur de français qui faisait partie du comité de sélection.

Le prof et lui ont cessé de parler de techniques et se sont mis à discuter de L’étranger. « J’ai toujours pensé que c’était grâce à ce gars-là que j’ai été embauché ! » Grâce à Camus, aussi…

Au cégep, chaque fois qu’un de ses élèves, plus intéressé par les boulons que par les livres, disait : « Gaston, à quoi ça sert la littérature ? », il répondait : « On sait jamais, mais ça sert toujours ! » Et il leur racontait comment Camus, qu’il relit maintenant grâce à Vues et Voix, avait changé sa vie.

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Cette semaine, M. Loubier a appris avec tristesse que Vues et Voix, créé il y a 40 ans, est en difficulté financière. Six employés, soit le quart des effectifs de l’OSBL, ont été mis à pied. Quinze autres ont vu leur horaire de travail réduit. La programmation de Canal M, la radio de Vues et Voix que M. Loubier adore, a été amputée. Et le traditionnel party de Noël des bénévoles a été annulé.

En apprenant la nouvelle, il a eu l’impression de recevoir une balle en plein cœur. « Ça ne nous tue pas, dit-il, la gorge nouée. Mais ça nous blesse. »

Les difficultés de Vues et Voix sont liées au retrait, en 2012, d’une subvention de plus de 400 000 $ du ministère de la Culture, désormais remise à Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ). Depuis, Vues et Voix a un contrat avec BAnQ qui limite sa capacité de production à 750 titres par année, alors que l’organisme en enregistrait auparavant plus de 900 et aurait les capacités d’en produire 1200. Les campagnes de financement qui auraient pu permettre à l’OSBL de sortir de la précarité n’ont pas donné les résultats escomptés. Il y a tant de causes à appuyer… Difficile pour un organisme ayant une cause jugée moins « sexy » de tirer son épingle du jeu.

Résultat : à défaut de trouver un généreux père Noël qui lui donnerait 400 000 $ pour se sortir la tête de l’eau, Vues et Voix semble condamné à la précarité. Et des lectrices bénévoles comme Françoise Cadieux, qui prête sa voix tous les lundis matin à l’organisme, sont désormais en congé forcé.

Au-delà des difficultés financières de l’organisme, c’est l’enjeu même de l’accessibilité aux livres qui inquiète la directrice de Vues et Voix, Marjorie Théodore. Au Québec, les non-voyants francophones ont accès à seulement 850 nouveaux livres par année. « Nous, comme voyants, on a 38 000 nouveautés par année que l’on peut lire et feuilleter. »

Au cabinet de la ministre de la Culture Hélène David, on dit que l’offre de livres audio adaptés se maintient d’année en année et qu’on ne prévoit pas la réviser à la hausse. La ministre a toutefois été sensibilisée aux problèmes de Vues et Voix lors de son récent passage au Salon du livre. « Il y aura un suivi qui sera fait auprès de l’organisme », dit Philip Proulx, son attaché de presse.

Pour l’heure, M. Loubier est inquiet. « Si les services sont coupés, on aura moins de diversité dans les titres. On peut bien te dire : "On va te couper une oreille, mais c’est pas grave. Tu vas entendre avec l’autre…" Ça ne marche pas comme ça. »

Fonction publique

Québec veut s'entendre rapidement avec les enseignants

Le gouvernement Couillard a donné le mandat à ses négociateurs, hier, d’en arriver rapidement à une entente avec les 62 000 enseignants de la CSQ sur leurs conditions de travail. Le délai serait de deux à trois jours. Après une pause de quelques jours, les négociations ont d’ailleurs repris hier à la table sectorielle avec la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE-CSQ). Si Québec en venait à un accord avec ce groupe, il se serait entendu aux tables sectorielles avec plus de 400 000 des 550 000 employés de l’État.

— Tommy Chouinard, La Presse

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