Road trip électrique

Rouler sans émission

Avant d’entreprendre ce voyage, nous croyions que seuls les granos urbains s’intéressaient aux voitures électriques. La réalité s’est avérée tout autre.

Nous étions sur le point de nous arrêter pour une recharge près de l’autoroute 40 à Lavaltrie quand une Nissan Leaf rouge nous a doublés. Son propriétaire, un costaud gaillard dans la fin de la quarantaine, s’est branché à l’imposante borne de recharge rapide de 400 volts.

Affichant une barbe de trois jours, vêtu d’un long manteau de cuir noir, l’homme parlait vite tout en consultant son iPhone. Il incarnait le contraire de l’image que nous nous faisions du propriétaire de voiture électrique au Québec : élitiste et grano sur les bords.

« Je roule 30 000 km par année. Mon auto se paie toute seule avec ce que j’économise en essence. Pour moi, c’est fini. Je n’achèterai plus jamais de char à gaz », nous a-t-il lancé avant de prendre un appel.

Sa recharge terminée après 15 minutes, l’homme est reparti aussi vite qu’il était arrivé. Nous n’avons même pas eu le temps de lui demander son nom.

C’était la première de plusieurs constatations durant notre road trip Montréal-Gaspé : loin des projecteurs, la voiture électrique est en train de s’immiscer dans la vie de plus en plus de gens partout au Québec.

À Kamouraska, le pêcheur Bernard Lauzier a installé une borne de recharge à sa poissonnerie. À La Pocatière, vous pouvez recharger votre voiture à l’une des bornes les plus rapides du monde dans le stationnement de l’épicerie Metro et de la SAQ. À Shawinigan-Sud, des fidèles rechargent leur voiture pendant la messe à une borne installée devant l’église à la demande du curé.

UNE GOUTTE DANS L’OCÉAN

On trouve actuellement 8322 véhicules électriques au Québec, selon la Société de l’assurance automobile. C’est une goutte dans l’océan : plus de 5 millions de véhicules sont immatriculés dans la province.

Or le parc automobile électrique a crû de plus de 60 % par rapport à la même date l’an dernier. Avec la multiplication des modèles plus abordables et ayant une batterie permettant de franchir une plus grande distance sur une recharge, tout indique que cette tendance se poursuivra en 2016, explique Simon-Pierre Rioux, président de l’Association des véhicules électriques du Québec (AVEQ).

« Le gouvernement du Québec accorde un rabais de 8000 $ à l’achat ou à la location d’un véhicule électrique, dit-il. Ces incitatifs ne seront pas toujours là. C’est pour ça qu’on conseille aux gens d’en profiter pendant que ça passe. »

À moins de posséder une luxueuse Tesla, avec une autonomie de plus de 400 km, il faut être prêt à arrêter souvent pour faire un road trip sans émissions polluantes. Avec notre Nissan Leaf 2012, voiture 100 % électrique, il nous a fallu effectuer 18 recharges – certaines durant quelques minutes, d’autres une nuit complète – pour nous rendre de Montréal à Gaspé, en passant par Shawinigan, un périple de plus de 1100 km.

Il faisait entre 10 °C et - 10 °C durant notre voyage, donc nous avons dû utiliser le chauffage de façon intermittente. Comme celui-ci est énergivore, il diminue l’autonomie de la voiture, qui est d’environ 130 km en été, ce qui explique en partie le nombre élevé de recharges.

Nous avons aussi réalisé que, même si elle croît rapidement, l’infrastructure de recharge des voitures électriques peut encore être un frein à l’utilisation des voitures électriques, surtout à l’extérieur de l’axe Montréal-Québec. Sur près de 1000 bornes de recharge publiques au Québec, environ une trentaine sont des bornes rapides.

Ces bornes de 400 volts permettent de recharger une batterie à plat de 0 % à 80 % en environ 25 minutes. Elles sont essentielles à la réalisation d’un road trip digne de ce nom en voiture 100 % électrique. Dès que nous sommes arrivés en Gaspésie, l’absence de ces bornes s’est fait sentir. Nous devions désormais arrêter plusieurs heures pour une recharge au lieu de la demi-heure habituelle.

Dany Bergeron, pharmacien à Mont-Louis, tente de convaincre les élus de faire installer des bornes en Gaspésie. « Nous travaillons fort pour pousser dans ce sens », dit-il, ajoutant qu’il voit de plus en plus de voitures électriques dans la région, surtout au plus fort de la saison touristique. En attendant, les automobilistes peuvent recharger leur véhicule à la borne qu’il a fait installer devant sa pharmacie, face au fleuve Saint-Laurent.

À Gaspé même, on ne trouve aucune borne de recharge publique – rapide ou pas. Nous avons dû recharger notre voiture à une borne que l’Hôtel des Commandants a dans son stationnement.

Jérôme Tardif, porte-parole de la Ville de Gaspé, assure que la situation est sur le point de changer.

« Une première borne sera installée à l’été 2016 au centre-ville de Gaspé grâce à un partenariat avec Hydro-Québec », explique-t-il. Cette année, Hydro-Québec souhaite faire passer de 30 à 60 le nombre de bornes rapides (voir notre entrevue avec France Lampron, directrice de l’électrification des transports chez Hydro-Québec).

Pour Simon-Pierre Rioux, le réseau de bornes se déploie à une bonne vitesse dans les régions du Québec. « Les gens des régions sont souvent très fiers de rouler en voiture électrique, d’utiliser l’énergie propre produite ici plutôt que d’encourager des pétrolières. »

Ce qui manque pour que la voiture électrique décolle dans la province, ce sont les stocks, dit-il.

« C’est dommage, mais il faut encore souvent attendre trois mois avant de pouvoir obtenir un véhicule électrique chez un concessionnaire. C’est pour cela que nous demandons au gouvernement du Québec d’adopter une loi “émission zéro”. Cela obligerait les concessionnaires à avoir des autos électriques en stock. »

Pour pallier ce manque, l’AVEQ a mis sur pied un programme de jumelage, où les gens intéressés sont mis en lien avec des propriétaires de véhicules électriques dans toutes les régions du Québec. « Les gens peuvent poser des questions et faire l’essai des véhicules sans avoir la pression d’un vendeur. C’est un programme bénévole très apprécié. »

DÉJÀ DÉPASSÉ

Filer en silence à 100 km/h dans certains des plus beaux paysages du Québec est une expérience enlevante et futuriste. Or il était difficile de chasser de nos esprits l’idée qu’avec notre voiture datant de 2012, notre road trip, avec ses 18 recharges sur 3 jours, était dépassé avant même d’être terminé.

Cette année, la Leaf est offerte avec une autonomie de 170 km, soit 25 % plus que celle que nous avons utilisée. Chevrolet vient tout juste de dévoiler la Bolt, une voiture à cinq places dont l’autonomie annoncée est de plus de 320 km – la première voiture 100 % électrique de grande autonomie offerte à prix « grand public », soit environ 30 000 $US après les rabais gouvernementaux, et qui sera mise en vente avant la fin de l’année aux États-Unis. En mars, le constructeur californien Tesla doit dévoiler la Model 3 et prendre les réservations pour celle-ci ; cette voiture coûtant environ 35 000 $US, avec une autonomie visée de 320 km, doit être livrée quelque part en 2017. Elon Musk, patron de Tesla, dit vouloir produire 500 000 véhicules électriques par année en 2020 – 10 fois le volume produit par l’entreprise en 2015.

Des avancées qui laissent présager de beaux jours pour la mobilité électrique. Même entre Montréal et Gaspé.

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