Entretien avec Denise Bombardier

Le grand amour à 60 ans

Dans son nouveau roman Plus folles que ça, tu meurs, Denise Bombardier parle de la vie sentimentale et sexuelle sans tabou des sexagénaires à qui tout réussit professionnellement, mais qui cherchent le prince charmant. Un roman plein d’autodérision où l’héroïne principale, Agnès, avocate reconnue, souhaite rencontrer le grand amour. Nous avons joint l'auteure à Paris, où elle fait la promotion

de son roman.

Les femmes cherchent-elles encore le prince charmant à 60 ans ?

Oui. Je l’ai constaté il y a longtemps. Je n’en reviens pas, les femmes de 60 ans sont ramenées à l’adolescence quand il est question de rencontrer un homme. Quand j’écoute des femmes de 70 ans parler, on dirait des ados ! Elles ont le cœur au début du XXe siècle et le reste du corps dans la modernité ! Elles sont très sentimentales. On ne le sait que quand on arrive là, finalement.

Quand on vous lit, on se dit, finalement, que la plus grande liberté des femmes est à 60 ans.

La liberté à 60 ans est grisante ! Ce sont, à mon avis, les années les plus intenses d’une vie. Si on est en santé, qu’on a un peu d’argent, que les enfants sont grands, c’est formidable ! Mes héroïnes voyagent, font des croisières, sont très libres… Je suis entourée de femmes comme ça. C’est une jubilation avant la tragédie. Je pense que les femmes dans la quarantaine, qui élèvent leurs enfants, qui travaillent, qui sont prises dans le quotidien, ne sont pas libres du tout. C’est le pire âge par rapport à sa liberté, elles n’ont pas le temps, pas de temps pour elles.

Tout comme votre héroïne Agnès, vous avez trouvé le grand amour à plus de 50 ans ?

Oui, je suis bien placée pour l’écrire, car j’ai rencontré Jim, celui qui est mon mari aujourd’hui, lorsque j’avais 56 ans. J’en ai eu d’autres avant et j’ai aimé les hommes de ma vie. Lors d’une séance de signatures à Montpellier, une femme m’a remerciée et m’a dit : « J’ai lu L’Anglais [un hommage à l’amour et à son mari] et vous m’avez donné de l’espoir. » Il arrive aussi de rencontrer l’amour à 80 ans dans les résidences de personnes âgées. On est prêt à concéder que sentimentalement, ils peuvent s’aimer, mais on ne veut pas que les couples de cet âge s’aiment sexuellement.

On ne parle jamais de la vie sexuelle des couples après 60 ans. Pourquoi ?

C’est tabou. C’est pire en France où, à partir de 60 ans, une femme ne devrait plus avoir de vie sexuelle ! Pour ce qui est du Québec, je pense que ça vient des interdits de la religion. C’est la vieille conception que la chair, c’est le péché. Ça vient d’Adam et Ève. Quand on est vieux, ça suffit, on ne fait plus ça ! Comme si, pour les femmes, il y avait une date de péremption. On ne peut pas être féministe si on n’est pas capable de parler de notre sexualité et de raconter les femmes telles qu’elles sont. Des femmes qui aiment faire l’amour et c’est ça qui participe au bonheur de vivre. Le plaisir de vivre, c’est le désir ! La frustration, c’est l’anti-désir. J’écris aussi qu’à 60 ans, on ne fait plus l’amour comme les contorsionnistes du Cirque du Soleil ! Il y a moins de gymnastique. La position du missionnaire est plus confortable !

Selon vous, les femmes ne veulent pas vieillir seules ?

Elles ont peur de la solitude. Les hommes regardent les plus jeunes, mais quand on voit les femmes avec qui ils sont accompagnés, franchement, on se dit qu’on n’a rien perdu. Ils veulent des femmes plus jeunes dans leur fantasme, mais parfois, la réalité est tout autre.

Qu’est-ce qu’on peut dire aux femmes de 60 ans qui cherchent l’amour ?

Qu’elles soient à l’écoute de leurs désirs, mais qu’elles ne jettent pas la serviette. Il y a beaucoup de femmes qui débordent d’énergie, qui sont vivantes, libres, séductrices et qui ont envie de faire l’amour. Je crois que ces femmes-là attirent les hommes, il faut avoir de l’espoir, mais c’est vrai que c’est plus compliqué, que les hommes vieillissent plus mal. Les hommes sont plus menacés dans leur puissance, nous, ça ne paraît pas. On n’a pas de problèmes mécaniques à savoir si on bande ou pas. Il y a des petites pilules qui peuvent aider, mais parfois, c’est compliqué, ce n’est pas bon pour le cœur… je ne suis pas de la génération des sites de rencontres, mais il faut être attentive sans être demandeuse.

Il faut regarder ça aussi avec humour ?

Il faut avoir beaucoup d’autodérision et c’est la chose la plus difficile. Mais les Québécoises sont très drôles, elles peuvent être très crues et disent les vraies choses. Ça m’a fait du bien d’écrire ce livre, je l’ai écrit pour rire moi-même ! J’espère aussi que les hommes le liront, car ils vont apprendre des choses sur les femmes !

L’amitié entre femmes est très importante pour vous ?

C’est essentiel, surtout pour les femmes qui sont seules. Les femmes se consolent entre elles. Elles se confient, se détestent parfois aussi… elles sont drôles et tragiques parfois.

Tout comme votre héroïne, vous allez être grand-mère ?

Quand j’ai écrit mon livre, je ne le savais pas. Je l’ai écrit cet été, et on m’a annoncé à la fin octobre que ma petite-fille naîtra en mai prochain. C’est incroyable ! C’est dans la pérennité des choses, on nous survit, et les femmes qui n’ont pas d’enfants, je pense que c’est encore plus dur de vieillir.

Plus folles que ça, tu meurs

Denise Bombardier

Éditions Flammarion, en librairie le 8 février

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