Chronique

Le Québec, champion des subventions

On répète souvent que le Québec est le champion des subventions. Que presque toutes les entreprises touchent leur part d’aide de l’État. Qu’en est-il vraiment ?

L’enjeu est important. La plupart des subventions des gouvernements entraînent des distorsions dans l’économie. Elles gonflent artificiellement l’offre ou la demande pour un produit au détriment d’autres biens, entre autres, nuisant ainsi à l’allocation optimale des ressources. J’y reviens plus loin avec un exemple percutant.

Pour en avoir le cœur net, j’ai fait la comparaison des subventions versées par tous les gouvernements (fédéral, provincial et local) au Canada. L’information ventilée par province est publiée par Statistique Canada dans son relevé des comptes économiques provinciaux. Les plus récentes données, qui datent de 2015, ont été publiées par l’organisme au début du mois d’avril. Pour les rendre comparables, j’ai divisé les subventions versées dans chaque province par le nombre d’habitants.

Avant d’aller plus loin, précisons que Statistique Canada définit une subvention comme une somme versée à un organisme à but lucratif. Les versements aux organismes à but non lucratif sont considérés comme des transferts et non des subventions.

Voyons voir. D’abord, si l’on prend les chiffres bruts, le constat est incontournable : le Québec est de loin la province où il se verse le plus de subventions par habitant.

En 2015, l’ensemble des subventions a totalisé 6,6 milliards de dollars au Québec, soit l’équivalent de 794 $ par habitant. Cette somme est 57 % plus élevée que la moyenne des autres provinces. L’Île-du-Prince-Édouard et la Saskatchewan suivent le Québec, avec 634 $ et 528 $ par habitant respectivement. L’Ontario est à 410 $ et le Nouveau-Brunswick est le moins dépensier à ce chapitre (290 $).

En moyenne, le fédéral contribue à 16 % du total des subventions annuelles, les provinces, à 65 % et les administrations locales (municipalités), à 19 %. Au Québec, la part provinciale des subventions est à 73 %.

Les garderies et les agriculteurs

Ces chiffres méritent toutefois d’être ajustés. Le réseau des services de garde au Québec est largement financé par l’État. Les sommes annuelles versées aux centres de la petite enfance (environ 1,1 milliard) ne figurent pas dans les subventions, puisqu’il s’agit d’organismes à but non lucratif. En revanche, celles transférées aux garderies privées (1,2 milliard) sont considérées comme des subventions.

Certains pourraient juger légitimes ces énormes subventions aux garderies privées, qui sont à la limite d’un service public à la petite enfance. Si l’on retranche cette dernière portion du total, les subventions par habitant reculent à 653 $. Le Québec demeure premier, mais l’écart avec la moyenne canadienne recule à 29 %, ce qui demeure fort important.

Autre nuance : environ 10 % du total des subventions au Canada est versé pour le secteur agricole (moyenne de 52 $ par habitant, contre 87 $ au Québec, 166 $ en Saskatchewan et 184 $ au Manitoba). La plupart de ces subventions sont liées aux divers programmes d’assurance agricole du fédéral et des provinces, qui permettent aux agriculteurs d’avoir des revenus moins fluctuants, entre autres.

Les effets de la gestion de l’offre dans le secteur laitier, principalement au Québec, ne sont pas compris dans ces chiffres. Les quotas et les prix fixés par le système ne se traduisent pas en subventions. Néanmoins, il y a bel et bien transfert de fonds des consommateurs-contribuables vers les producteurs, mais Statistique Canada ne le chiffre pas.

Sans cette gestion de l’offre, donc, les subventions au secteur agricole correspondent à 11 % du total des subventions au Québec, contre 37 % au Manitoba.

Nouvelle économie et pénurie

Au Québec, la plus grande part des subventions est versée sous forme de crédits d’impôt, notamment pour la recherche et le développement ou pour favoriser la nouvelle économie (affaires électroniques, multimédia, effets spéciaux, etc.). Il y a aussi des crédits d’impôt pour la culture et les ressources.

Selon mes estimations, ces divers crédits représentent environ 30 % du total des subventions versées aux entreprises du Québec.

Parlant de distorsions économiques nuisibles, voici mon exemple. Plusieurs PME cherchent des employés en informatique pour combler leurs besoins. Il y a d’ailleurs une pénurie de programmeurs, notamment, ce qui menace la compétitivité, la créativité sinon la survie de certaines PME.

Or, malgré cette pénurie, le gouvernement du Québec continue de subventionner généreusement les salaires des informaticiens dans certaines situations, par le truchement de crédits d’impôt, ce qui empire la situation. Son objectif de création d’emplois dans la nouvelle économie est noble, mais il crée une concurrence déloyale pour certaines PME, qui doivent offrir une fortune pour dénicher de bons programmeurs.

La semaine dernière, justement, un entrepreneur me disait chercher « désespérément » cinq employés en informatique depuis un mois, dont quatre programmeurs, mais sans succès. Il offre pourtant des salaires concurrentiels, des avantages sociaux et un régime de retraite…

Avec un taux de chômage très bas, une diminution du nombre de jeunes employés et une économie en croissance, le gouvernement du Québec doit sérieusement réfléchir à son assortiment de subventions, afin de ne pas nuire sérieusement à notre avenir. Pourquoi ne pas prévoir un plan de sortie progressif pour certaines industries qu’il subventionne, une fois l’objectif atteint ?

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