Apiculture urbaine

Butiner au-dessus du bitume

D’ici la fin de l’été, Montréal abritera 10 fois plus d’abeilles que d’humains – comme c’est le cas à New York, Londres et Paris, où les productrices de miel bourdonnent par millions depuis déjà quelques années.

Alors que les abeilles se meurent à la campagne, on compte actuellement 250 ruches au sommet d’écoles, de couvents et d’immeubles des quatre coins de l’île. L’hôtel Reine-Élizabeth, le Palais des congrès, l’aéroport de Mirabel, l’Insectarium et la TOHU ont aussi les leurs.

En fin de saison, 20 millions d’ouvrières devraient donc survoler les gratte-ciel. Leurs petites ailes leur permettent de parcourir jusqu’à 3 km pour butiner les arbres fruitiers, le trèfle, le pissenlit ou les plates-bandes et boîtes à fleurs des habitations environnantes.

« Plusieurs dizaines d’espèces de plantes laissent leur trace dans le miel montréalais. »

— Éric Duchemin, professeur associé à l’Institut des sciences de l’environnement de l’UQAM et coordonnateur du Laboratoire sur l’agriculture urbaine

Depuis quelques années, le sort des abeilles inquiète les scientifiques. En Europe et en Amérique du Nord, des colonies entières ont été décimées. Une hécatombe attribuée aux monocultures, aux pesticides et au transport de ruches – parfois trimballées sur des centaines de kilomètres pour que leurs abeilles pollinisent les champs environnants.

Contre toute attente, les abeilles souffrent moins de la pollution urbaine que des pesticides, qui les rendent vulnérables aux maladies. Elles pâtissent toutefois du smog et des conditions climatiques. L’an dernier, les ruches montréalaises ont produit en moyenne 20 kg de miel chacune plutôt que 60. « La chaleur est arrivée très tôt et a été suivie d’une vague de froid, ça les a stressées », explique Éric Duchemin.

Les espèces indigènes sont plus résistantes. Mais elles vivent en solitaires, dans les troncs d’arbres plutôt que dans des ruches, et ne produisent pas assez de miel pour la récolte.

GRÂCE AUX ENFANTS

À Mont-Royal, 12 enfants ont fait changer la réglementation municipale pour qu’une colonie d’abeilles puisse s’installer sur le toit de l’hôtel de ville. L’élevage d’animaux est interdit à Mont-Royal, mais les élus de 6e année ont profité de leur expérience au sein du « conseil muniscolaire » (qui siège sept fois par année) pour faire adopter une exception à la règle. Désormais, les écoles et services municipaux peuvent obtenir la permission de se doter d’une ruche, pourvu que celle-ci soit installée hors d’atteinte.

Le maire, Philippe Roy, a lancé l’idée aux enfants après avoir lu un reportage du magazine Time sur la disparition des abeilles. Le projet a pris forme et été dévoilé aux médias locaux ce printemps. « Des citoyens sont aussitôt venus se plaindre, en disant que toute la ville se faisait piquer, mais la ruche n’avait pas encore été installée ! », raconte le maire. Depuis qu’elle y est, rien à signaler, dit-il.

« En général, l’abeille n’attaque pas, elle fait son travail – contrairement aux guêpes qui convoitent nos sandwiches et sont beaucoup plus agressives. »

— Éric Duchemin

Les ouvrières se tiennent en hauteur et ne volent pas en essaims, à moins qu’une ruche ait été laissée sans surveillance et que la colonie se soit scindée, parce que les reines se multiplient et s’affrontent.

Par précaution, Mont-Royal – et d’autres apiculteurs urbains – s’est tout de même dotée d’une trousse de premiers soins contenant un auto-injecteur EpiPen.

Entre 0,5 % et 2 % des gens sont allergiques aux insectes piqueurs et certains peuvent en mourir. Selon les études, les apiculteurs courent trois fois plus de risque de développer une allergie que les autres.

On compte toutefois plus de gens allergiques au venin de guêpes qu’au venin d’abeilles, précise la Dre Marie-Noël Primeau, de l’Hôpital de Montréal pour enfants. Les gens qui n’ont pas d’allergie à la base n’ont pas à être inquiets, assure l’allergologue. Il faut généralement avoir été piqué à quelques reprises avant de développer une allergie, dit-elle. Et dans pareil cas, recevoir une série d’injections permet de se désensibiliser.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.