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Édition du 13 janvier 2019,
section PAUSE CAFÉ, écran 2
Il y a deux ans, la jeune femme a reçu un diagnostic de cancer du sein, qui a nécessité une mastectomie – soit l’ablation chirurgicale des seins. « Pour moi, ça a tout le temps été clair que je ne voulais pas de reconstruction », dit Marie-Claude Belzile, rencontrée dans son appartement de Verdun, sa chienne Pinpin à ses côtés.
Plusieurs raisons motivaient sa décision : active de nature, elle souhaitait avoir la convalescence la plus courte possible, en plus de vouloir limiter les interventions médicales subies. « Ça ne m’intéresse pas de ravoir des seins qui ne sont pas les miens, résume-t-elle. Je ne veux pas de prothèses mammaires. Avoir un corps étranger en moi, je ne suis pas prête à ça. »
C’était clair, « mais j’ai quand même failli me réveiller après l’opération avec des expanseurs », dit Marie-Claude Belzile. Des expanseurs, ce sont des coquilles qui sont mises dans les seins, puis gonflées progressivement avec de l’eau saline pour étirer la peau avant de recevoir un implant mammaire. « L’oncologue avait écrit sur la requête d’opération : pose d’expanseurs, reconstruction mammaire », indique-t-elle.
La patiente a dû retourner voir son médecin pour faire corriger la requête. « Je lui ai demandé pourquoi il avait fait ça, dit Marie-Claude Belzile, et sa réponse a été : “Vous êtes si jeune”. Je me suis rendu compte qu’il y a un certain paternalisme. Notre société presse les femmes à se faire reconstruire, en reproduisant le discours hétéronormatif qui estime que la maternité, la sexualité et la féminité passent obligatoirement par les seins. »
Son expérience a poussé la jeune femme à créer en août la page Facebook « Tout aussi femme », qui présente des témoignages et informations sur le choix d’avoir une poitrine plate. Déjà, plus de 800 personnes « aiment » la page. « Au cours des derniers mois, le mouvement s’organise, surtout au Canada anglais et aux États-Unis, indique Marie-Claude Belzile. On forme un gros, gros flat community [communauté plate]. »
La réaction est plus timide au Québec. Les termes « poitrine plate » ou « sein plat » ne sont pas mentionnés sur le site de la Fondation du cancer du sein du Québec. « Une femme peut très bien ne pas envisager la reconstruction mammaire, mais plutôt opter pour une prothèse externe qui s’insère dans le soutien-gorge », précise le site. Comme s’il fallait soit l’un, soit l’autre – tant qu’il y a du monde au balcon, comme le dit l’expression. La Société canadienne du cancer a, pour sa part, ajouté la section « Garder son sein plat » à son site internet.
Est-ce que l’option de rester avec une poitrine plate est présentée aux femmes du Québec ? « Oui, bien sûr, répond Jida El Hajjar, vice-présidente en investissements et promotion de la santé à la Fondation du cancer du sein du Québec. Il faut informer les femmes de toutes les options possibles et ne pas avoir de préjugés. »
Ces préjugés sont doubles : on suppose qu’une jeune femme voudra retrouver une poitrine avenante et qu’une femme plus âgée n’en aura plus envie. « Précisons que la reconstruction immédiate avec implants mammaires est le scénario opératoire le plus souvent proposé aux femmes porteuses d’une mutation génétique, lit-on par exemple dans le numéro de mai-juin 2018 de Perspective infirmière. Ces dernières sont relativement jeunes. »
« Il y a la préconception que les femmes âgées ne veulent pas de reconstruction mammaire et donc cette option ne leur est parfois pas offerte, confirme Jida El Hajjar. Mais ce n’est pas l’âge chronologique qu’il faut prendre en considération, c’est l’âge physiologique. Si la femme a 70 ans mais est très, très en forme, pourquoi ne pas lui suggérer, si elle veut refaire son corps comme avant ? »
Au Canada, à peine 16 % des femmes ont recours à une reconstruction mammaire après une mastectomie, selon la Société canadienne du cancer. C’est notamment parce que ce sont les femmes de 50 à 69 ans – pas les plus jeunes – qui ont le taux le plus élevé de cancer du sein.
Ce que Marie-Claude Belzile réclame, c’est que toutes les femmes soient bien informées, puis que leur choix soit respecté. « Certaines femmes qui ont décidé d’aller poitrine plate se réveillent après l’opération avec un excédent de peau, dénonce Marie-Claude Belzile. Le chirurgien leur laisse cette peau au cas où elles changeraient d’idée et voudraient avoir des implants mammaires. On appelle ça des oreilles de chien. Ça ballotte, ce n’est pas confortable, ça s’irrite. Il faut subir une autre opération pour corriger cela, si on arrive à l’obtenir. »
Les groupes Flat Closure NOW (traduction libre : fermeture plate maintenant) et Not Putting On A Shirt (Sans porter de chandail) dénoncent ce « déni de la poitrine plate ». Ils réclament des opérations plus soignées, qui laissent une poitrine certes marquée par des cicatrices, mais lisse et douce.
D’autres demandent que la poitrine asymétrique – avec un seul sein – soit aussi présentée comme un choix valide. « Le monosein est encore plus invisible dans la société », constate Marie-Claude Belzile. Elle-même a subi une double mastectomie alors qu’un seul de ses seins était atteint. « Je voulais de la symétrie, je n’avais pas de modèle [de femme avec un sein unique], se souvient-elle. Aujourd’hui, je ferais un autre choix, j’en enlèverais un seul. Mais je n’ai pas de regret. »
« C’est un choix à 100 % personnel, observe Jida El Hajjar. Il faut vraiment faire ce que la femme veut, selon comment elle veut se sentir après, dans son propre corps. »
Retournons au 6 juin. Lynda Ouellet, dynamique et sympathique femme de Mirabel, reçoit ce jour-là un diagnostic de cancer du sein gauche. « C’est un cancer hormono-dépendant de stade 3, grade 3 », décrit-elle. Elle choisit la mastectomie totale de ses deux seins, pour réduire les risques de récidive.
Lynda Ouellet décide aussi de ne pas avoir de reconstruction mammaire. « Étant diabétique, je suis plus à risque de faire des infections post-chirurgie, explique-t-elle. Je suis allergique à plusieurs antibiotiques, donc si une infection se produit, il est plus difficile de me traiter. » Autre hic : elle craint qu’une opération supplémentaire n’augmente son risque de faire un lymphœdème, soit une accumulation anormale de liquide lymphatique.
Cette décision n’a pas été prise sur un coup de tête. « Entre la chimiothérapie qui a débuté en juillet et l’opération qui a eu lieu en novembre, j’ai eu le temps de me renseigner », fait valoir Lynda Ouellet. Elle a posé des questions à des femmes qui ont eu une reconstruction mammaire, a regardé des photos de poitrines plates et refaites, etc.
« J’en ai discuté avec mon médecin de famille qui me connaît depuis des années et j’ai même consulté une psychologue, afin d’être au clair avec mon choix. »
— Lynda Ouellet
Son conjoint, avec qui elle forme un couple depuis 23 ans, lui a donné son appui. « Pour lui, il est plus important que je sois en santé que d’avoir deux seins », dit-elle. Pareil pour ses enfants. « Ce qui compte pour eux, c’est que je guérisse du cancer », souligne-t-elle.
Au début de novembre, Lynda Ouellet a rencontré la chirurgienne qui allait l’opérer à l’hôpital de Saint-Jérôme. « Elle a essayé de me convaincre de faire une reconstruction », soutient la patiente. Lynda Ouellet a tout de même pu signer un document spécifiant qu’elle voulait une mastectomie bilatérale sans reconstruction. « Le matin de l’opération, j’ai signé de nouveau le même document, afin de confirmer mon choix », dit-elle.
L’opération a eu lieu comme prévu. « Une semaine plus tard, lors du retrait des pansements, j’ai constaté qu’on m’avait laissé de la peau au lieu de faire quelque chose d’esthétique, dit Lynda Ouellet. Ayant vu des photos de poitrines plates, j’ai bien réalisé qu’il y avait quelque chose qui clochait. »
La chirurgienne « m’a dit avec un petit sourire en coin et en me tapant sur l’épaule : “Ben oui ! J’ai laissé de la peau, c’est pour ta reconstruction plus tard !” », écrit Lynda Ouellet dans une plainte qu’elle a déposée cette semaine auprès du Commissariat aux plaintes et à la qualité des services (CPQS) des Laurentides et du Collège des médecins.
« C’est de la trahison totale, dit Lynda Ouellet avec douleur. Il n’y a eu aucun respect de mon choix. »
Ni le CPQS ni le Collège des médecins n’ont voulu émettre de commentaires.
Le Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) des Laurentides ne peut commenter le cas de Lynda Ouellet, mais « prône une approche de partenariat de soins qui privilégie une communication entre le personnel soignant, le patient et ses proches en tout temps, a indiqué Thaïs Dubé, agente d’information au CISSS des Laurentides. L’objectif recherché étant que les patients puissent faire des choix libres et éclairés en ce qui a trait à leur santé ».
« Je me retrouve avec deux bosses sur ma poitrine, comme deux poches vides, décrit Lynda Ouellet dans sa plainte. Il est impossible pour moi de mettre des vêtements moulants. Je suis dans un dilemme et me retrouve dans une impasse. »
Beaucoup d’études sur la qualité de la vie après le cancer ont montré un bénéfice immédiat, psychologique et physique de la reconstruction mammaire. Sur le moral, sur le social, sur le relationnel. C’est ce qui a donné l’idée de promouvoir la reconstruction immédiate. Les patientes sont de plus en plus jeunes. Le fait de s’habiller comme il faut, d’aller à la plage avec leur famille, d’être à l’aise dans des robes de soirée, tout cela est important pour elles.
Les taux étaient très faibles de 2007 à 2011. On avait autour de 1 femme sur 10 qui se faisait reconstruire après une ablation complète du sein. Dernièrement, le taux s’est amélioré, on est rendu à 2 femmes sur 10.
On veut travailler à trois aspects. Améliorer l’accès à l’hôpital pour avoir en même temps un chirurgien-oncologue et un plasticien pour faire la chirurgie et la reconstruction. Améliorer les informations données aux patientes, puisque certaines ne savent pas que la reconstruction est couverte par l’assurance maladie. Et sensibiliser et éduquer les médecins de famille et les chirurgiens généraux de la province au fait que c’est sécuritaire et que ça a un effet bénéfique sur les patientes.
Notre but, c’est de dire : « Vous avez un cancer, la reconstruction est disponible, on peut vous l’offrir. » Si les patientes ont toute l’information mais qu’elles ne sont pas convaincues, c’est leur choix éclairé et libre. Notre objectif, c’est vraiment de respecter ce que les patientes disent. Être à l’écoute de ses patients, c’est la première chose qu’un médecin doit faire. L’option de non-reconstruction est très valable au CHUM. On donne d’ailleurs les coordonnées pour les prothèses externes. Mais l’option de la reconstruction est aussi valable et offerte.
C’est difficile. Les chirurgiens plasticiens sont là pour les reconstructions mammaires. Les mastectomies sont faites par des chirurgiens oncologues. On voit des cas où les chirurgiens n’ont pas pris le temps de bien fermer. Ça marque les femmes, ce n’est vraiment pas joli. Comme plasticiens, on nous demande de corriger cela. Mais ce n’est pas couvert par l’assurance maladie ; il faut demander de pouvoir le faire, c’est un processus long. Un fini bien fait lors de la mastectomie sans reconstruction, par les chirurgiens oncologues, serait vraiment apprécié.
Les patientes doivent prendre leur dossier en mains. Il faut qu’elles verbalisent. C’est leurs droits, leur corps. Elles doivent dire au chirurgien : « Je ne veux pas de reconstruction, je ne veux pas d’excès de peau, je veux que ça soit un fini esthétique. » Ça évite beaucoup de frustrations.
Oui. Elle m’a envoyé un courriel et je lui ai répondu : « Vous êtes la bienvenue. » Lors du BRA Day, dans des salles en toute intimité, les patientes peuvent voir des femmes qui ont eu différents types de reconstruction. Elles peuvent toucher, regarder de quoi ça a l’air. Ça leur fait du bien. C’est un plus, si on a des femmes qui ne se font pas reconstruire et qui peuvent témoigner au BRA Day.
Les propos de Dr Bou-Mehri ont été édités en raison de l’espace limité.