L’aventure américaine

Révolution canadienne à New York

Tous les mercredis, pour les prochaines semaines estivales, notre chroniqueuse Marie-Claude Lortie présente des entrepreneurs canadiens qui ont tenté leur chance aux États-Unis. Aujourd’hui : une jeune femme de Toronto qui est en train de changer bien des choses dans le monde de la restauration. 

NEW YORK — Quand on la voit surveiller attentivement avec ses airs de gamine le passe de son restaurant tout blanc du Lower East Side de Manhattan, arrêter une assiette ici, donner le feu vert pour telle ou telle table, on ne s’en doute pas vraiment, mais Amanda Cohen est actuellement la chef-restauratrice la plus importante et influente, aux États-Unis, dans le monde de la cuisine végétarienne.

Son restaurant Dirt Candy est archi plein tout le temps. Les végétaliens et les végétariens y vont en pèlerinage.

En plus, elle est considérée comme la pionnière du mouvement « sans pourboire » adopté par toutes sortes d’autres restaurateurs américains qui intègrent maintenant le prix du service dans le prix des plats. Selon elle, la décision s’imposait, car les pourboires sont racistes et sexistes. (Les recherches montrent en effet, notamment, que les clients sont plus généreux avec les blondes…)

« Amanda Cohen est en train de révolutionner le monde de la restauration, vous n’êtes juste pas encore au courant », titrait le magazine Elle encore récemment.

Donc, personne ne sera surpris de savoir que, il y a trois ans, quand l’hebdomadaire Time a publié un grand dossier sur l’état de la gastronomie en occultant toutes les femmes-chefs influentes, elle a été la première à monter au créneau pour expliquer l’évidence : que les femmes occupent actuellement une place cruciale au sein de la restauration moderne.

Bref, Amanda Cohen fait partie de ces personnages incontournables de la cuisine actuelle à New York, aux États-Unis…

Et elle est canadienne.

Et elle a fait ça toute seule, avec sa famille – elle vient d’une famille d’entrepreneurs et de gens d’affaires de Toronto – pour l’appuyer côté financier. Se faire pousser dans le dos par des investisseurs qui veulent des rendements hyper rapidement, trop rapidement ? Pas pour elle.

« J’ai toujours su que je serais ma propre patronne », explique la femme d’affaires et chef de 42 ans, qui est partie de Toronto il y a 24 ans pour étudier l’anthropologie à la New York University. Et qui n’est jamais repartie de la métropole américaine.

Le secret de son succès ?

« Pour une fois dans ma vie, je me suis trouvée à la bonne place au bon moment », explique-t-elle. Ou en tout cas, avec le bon lieu et le bon projet, celui d’ouvrir un restaurant végétarien alors que New York, toujours devant les tendances, commençait à adopter cette façon de s’alimenter toujours présente depuis les années hippies, mais qui est devenue récemment hyper populaire, embrassée autant par Bill Clinton que Leonardo DiCaprio. Elle-même n’est plus strictement végétarienne, mais le légume demeure son ingrédient préféré dans la vie. « C’est ce qui me rend plus heureuse. »

Pour le meilleur moment, c’est une autre histoire. « En fait, c’était le pire moment », lance-t-elle en riant. Rappelez-vous l’automne 2008. Les institutions financières tombaient comme des mouches à la suite de la crise des hypothèques à risque. On était en plein ouragan économique.

Mais Dirt Candy s’est installé dans le East Village, dans un demi-sous-sol, avec ses 18 places, et l’aventure a commencé, et s’est poursuivie.

En 2015, face à la demande croissante de la clientèle, Cohen a décidé de déménager dans le LES (Lower East Side) où le nouvel établissement compte 50 places. Elle emploie maintenant 30 personnes. « Et c’est difficile, avoue-t-elle, d’y trouver de la place. » La demande est forte.

Le défi d’affaires est toutefois important. Comme on ne vend que des légumes, les clients s’attendent à payer moins que s’ils étaient dans un restaurant servant de la viande. « Pourtant, on travaille énormément ces légumes, on les pèle, on les coupe, on les met en conserve, on les déshydrate, on en fait des purées, des mousses, le nombre d’heures de main-d’œuvre est follement élevé », dit Amanda Cohen. « Si on ajoutait un tout petit peu de viande, on pourrait aisément augmenter les prix, mais on ne peut pas. »

Donc, oubliez le bio et les légumes artisanaux hyper sophistiqués. Le modèle d’affaires ne le permet pas. Les marges sont minces. De plus, Cohen a choisi d’inclure le prix du service dans les prix des plats. « Donc malgré tout, mes prix ont l’AIR élevés ! Disons que j’ai pas mal d’explications à donner à mes clients… »

Cela dit, grâce au volume, le restaurant est profitable, mais la femme d’affaires aimerait que ça le soit plus. Son plan à moyen terme, « dans un avenir quand même pas si lointain que ça » ? Ouvrir un autre Dirt Candy. Pas à New York où l’immobilier est trop cher. Peut-être au Canada. Peut-être en Californie. San Francisco l’intéresse, mais le prix des loyers y est aussi fou qu’à New York. Los Angeles serait une option plus réaliste. « On a une marque qui est forte actuellement, dit-elle. Il faut en profiter. »

Est-ce difficile d’ouvrir une entreprise à l’étranger ? « C’est étonnant comme j’ai été avantagée d’être canadienne à New York. Tant de Canadiens sont venus m’encourager », répond l’entrepreneure. Le referait-elle ? Le conseille-t-elle ? « Lancer une entreprise c’est une terriblement mauvaise idée , rétorque Cohen toujours en riant. Ne faites jamais ça. »

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