Programme Inspire

La SAQ incite-t-elle à la consommation ?

C’est un succès. Près de 1,2 million de Québécois se sont inscrits au programme de récompenses SAQ Inspire, lancé au début du mois d’octobre. Depuis, ces membres reçoivent régulièrement des courriels de la Société des alcools du Québec (SAQ). Le 19 novembre, la SAQ a envoyé un message intitulé : « 10 % avec tout achat de 100 $. Ça donne envie de fêter ! » Une semaine plus tôt, c’était : « Ce samedi : 10X les points. Olé ! »

Est-ce irresponsable, de la part d’une société d’État, d’inciter ainsi à la consommation d’alcool ? « Ce qu’on veut faire, c’est plus des propositions qui sont d’ordre inspirationnel (sic), indique Linda Bouchard, responsable des relations de presse à la SAQ. Ou des communications sur les offres qui sont proposées en magasin. Ça fait partie de l’intérêt du client de recevoir ces informations-là. »

« Il s’agit d’un grave problème sur le plan éthique et il importe d’y réfléchir », estime Manon Niquette, professeure à l’Université Laval et membre de ComSanté, le Centre de recherche sur la communication et la santé.

« À mon avis, les activités de communication des sociétés d’État ne devraient pas aveuglément emprunter le modèle du marketing commercial. » — Manon Niquette, professeure à l’Université Laval

« Si la SAQ communique avec les citoyens pour les convaincre d’acheter les produits qu’elle distribue de la même manière qu’un commerce privé, en quoi devient-elle différente aux yeux des citoyens ? Qu’est-ce qui justifie alors son monopole ? »

D’autant que la réception des courriels de la SAQ est automatique. « En s’inscrivant au programme, le membre consent à recevoir des communications électroniques en lien avec le programme », lit-on dans les modalités et conditions de SAQ Inspire. Il est toutefois possible de se désinscrire des courriels par la suite, sans renoncer à obtenir des points, précise Mme Bouchard.

RISQUE POTENTIEL

Les récompenses sont, de toute façon, bien maigres en dehors des promotions. Pour accumuler 1000 points, donnant droit à 1 $ de rabais, il faut dépenser… 200 $ avant taxes et droits. Est-ce pour ne pas pousser la consommation que le taux de remise n’est que de 0,5 % ? « "La modération a bien meilleur goût" a tout son sens dans ce concept, acquiesce Mme Bouchard. Pour nous, c’est vraiment plus la communication avec le client qui est importante dans ce projet. Mais ça reste quelque chose d’attrayant pour le consommateur. »

Mme Niquette y voit un risque potentiel. Une étude publiée dans Addiction en 2014 démontre que « moins il y a de restrictions gouvernementales en matière de publicité des produits alcoolisés, plus grand est le risque de consommation dangereuse chez les personnes âgées de 50 à 64 ans », note la professeure. Ces adultes d’âge mûr « sont plus vulnérables eu égard aux risques de dépendance à l’alcool et de mortalité liés à cette dépendance », explique Mme Niquette.

PRÉDISPOSITION NÉCESSAIRE

« Quand on s’adresse à un public très large, on s’adresse également à des gens qui souffrent de dépendance et à des gens plus vulnérables, souligne Richard Pesant, chargé de cours à l’Université de Montréal, spécialisé en dépendances depuis une vingtaine d’années. Ça peut être appétitif pour quelqu’un de vulnérable. »

« Mais est-ce que ça peut provoquer ou accentuer la consommation d’alcool de la majorité des gens, qui consomment de manière relativement contrôlée ? Je ne suis pas sûr. Il faut avoir déjà une prédisposition à la consommation abusive ou non contrôlée pour en arriver à consommer plus. »

Hubert Sacy, directeur général d’Éduc’alcool, préfère ne pas porter de jugement sur la SAQ, membre de son organisme. M. Sacy croit néanmoins que le programme Inspire peut « pousser les gens vers la qualité au lieu de les pousser vers la quantité ». En s’inscrivant, le client précise ses goûts – vin, champagne, spiritueux, cocktails, etc. « À partir de là, au lieu de tirer dans le tas en disant : il y a des gigantesques promotions, des rabais sur tout, la SAQ est en mesure de vous proposer des produits qui correspondent à vos goûts », souligne-t-il.

Il est à noter que le Conseil d’éthique de l’industrie québécoise des boissons alcooliques n’a reçu aucune plainte concernant le programme SAQ Inspire.

Pas d’autoexclusion possible

Grâce au programme SAQ Inspire, la SAQ sait exactement combien de bouteilles ses membres achètent. Y a-t-il des mesures prévues si quelqu’un exagère ? « Non, répond Linda Bouchard, porte-parole de la SAQ. Si vous venez souvent en magasin, je ne peux pas présumer que c’est pour votre consommation personnelle ou pour votre famille, des amis, votre cellier. » Seule nuance : la SAQ ne vend pas ses produits aux clients en état d’ébriété.

Est-il possible de demander à se faire interdire l’accès aux SAQ, comme on peut s’autoexclure des casinos ? « Non », indique Mme Bouchard. Au 31 mars 2014, un total de 4690 personnes s’étaient volontairement exclues des casinos et salons de jeux du Québec.

— Marie Allard, La Presse

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