OPINIONs AIDE MÉDICALE À MOURIR

Alors que Québec songe à l’idée d’élargir l’aide médicale à mourir, voici les points de vue de deux médecins et d’un citoyen sur le sujet.

OPINION AIDE MÉDICALE À MOURIR

Revoir les lois 

Il faut saluer la décision du ministre Barrette d’entreprendre un processus de réflexion sur l’amélioration des lois sur l’aide médicale à mourir (AMM), processus qu’il veut lent et prudent.

Son initiative vise, essentiellement, trois choses : 

1) Prendre en compte les cas de démence tels que l’alzheimer ;

2) Améliorer les données sur des cas où l’AMM a été refusée en modifiant le mandat de la Commission de suivi des soins de fin de vie ;

3) Favoriser l’accès à l’AMM aux personnes atteintes de maladies de dégénérescence, telle la sclérose en plaques, qui se heurtent, selon le ministre, à la condition de « la mort naturelle raisonnablement prévisible » imposée par la loi fédérale C-14. Pour ce faire, il demande à la ministre de la Justice d’attaquer en cour cette loi.

Je voudrais me limiter aujourd’hui à ce dernier critère, que le fédéral nomme « mort naturellement prévisible », ce qui est le pendant de l’une des six conditions de notre loi québécoise qui exige d’être en « fin de vie » afin de se qualifier à l’AMM. Le ministre insiste sur le fait que le critère fédéral est flou, et j’en conviens.

Mais le critère québécois, lui, est trop clair : pour recevoir l’AMM, il faut justifier d’un pronostic de moins de 12 mois, ce qui exclut l’immense majorité des patients en phase avancée d’une maladie de dégénérescence.

Depuis plus d’un an, j’ai eu à gérer 12 demandes d’AMM (cette expérience et les réflexions qu’elle a engendrées sont relatées dans un livre qui vient de paraître : Les visages de l’aide médicale à mourir, Presses de l’Université Laval. 

Une seule de ces demandes provenait d’une patiente souffrant de sclérose en plaques depuis 20 ans, et l’AMM lui a été déniée parce que, selon la loi québécoise, elle n’était pas en fin de vie. Elle a dû se résoudre à se laisser mourir de faim. Et pourquoi n’ai-je reçu qu’une seule demande de ce type ? Parce que les patients qui connaissent la loi québécoise et leurs médecins savent bien qu’il est inutile d’espérer l’AMM s’ils ne peuvent démontrer qu’ils sont en fin de vie. Ils sont lucides, à bout, sans espoir, sans qualité de vie, sauf que la loi québécoise ne les considère pas comme étant en fin de vie.

Or au Québec et jusqu’à nouvel ordre, c’est la loi québécoise que je suis obligé d’appliquer. Cette loi était en vigueur bien avant la loi C-14.

Faire modifier la loi fédérale, à supposer qu’on y arrive à moyen terme (et on n’y arrivera pas à moins de convaincre la Cour suprême de ramener encore le gouvernement fédéral à la raison), ne changera rien à l’accessibilité à l’AMM si la condition « d’être en fin de vie » définie dans notre loi québécoise demeure.

Notre loi exige d’être atteint d’une maladie incurable irréversible en phase de déclin avancé, et causant des souffrances intolérables et inapaisables : cela m’apparaît bien suffisant pour être admissible à l’AMM sans avoir à y imposer une clause dite de « fin de vie ».

Cette notion restrictive et discriminatoire de fin de vie sera toujours un frein à toute tentative d’amélioration à d’autres aspects de la loi.

Si jamais les directives médicales anticipées révisées permettaient de demander l’AMM en prévision d’une situation d’inaptitude irréversible et permanente, il restera toujours le « mur » de cette fin de vie indémontrable. Imaginez prouver l’imminence de la fin de vie chez une personne souffrant d’alzheimer avancé !

Notre loi est comme une maison neuve. A priori, c’est une bonne chose. Mais cette maison est déjà en mauvais état à la suite de défauts majeurs de conception et de construction. Son toit est troué comme une passoire (l’exigence de fin de vie). Les espaces sont trop exigus (il faut déjà prévoir une rallonge pour les très nombreux locataires souffrant de démence). La décoration des plafonds laisse à désirer (on n’a pas prévu recueillir les données sur les cas de refus).

Le ministre a raison de dire que la question de la rallonge et des plafonds prendra du temps, et qu’il faut savoir être patient et méthodique, recruter de vrais experts. Mais vous conviendrez avec moi qu’il y a urgence à réparer le toit. Le nôtre avant celui de notre voisin fédéral. Et avant que les dégâts d’eau dégradent irrémédiablement le plancher lui-même…

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