Sicario

Les failles du système

TORONTO — Dans une Amérique où les questions frontalières sont plus que jamais au cœur des discussions, le narco-thriller de Denis Villeneuve fait écho aux méthodes américaines utilisées pour contrer le trafic de la drogue.

Denis Villeneuve s’est amené la semaine dernière dans la Ville Reine avec, déjà, le souvenir d’un accueil favorable au Festival de Cannes. Même si Sicario, sélectionné en compétition officielle, a finalement été écarté du palmarès (les frères Coen présidaient le jury), le cinéaste québécois pouvait quand même se vanter d’avoir bien su tirer son épingle du jeu là-bas. Son narco-thriller – un genre habituellement peu vu dans la plus grande manifestation cinématographique du monde – a généralement suscité de très bonnes réactions dans la presse internationale, et a été particulièrement bien soutenu par les critiques français.

À la veille de la sortie du film dans les salles nord-américaines, Denis Villeneuve peut envisager les choses avec confiance. La présentation de Sicario au TIFF a été populaire au point où des séances ont dû être ajoutées. L’ensemble de la presse nord-américaine semble aussi l’apprécier. Au moment d’écrire ces lignes, 94 % des 34 critiques recensées par le site Rotten Tomatoes étaient favorables. Metacritic affiche de son côté 11 critiques positives et 2 plus mitigées.

Aux yeux du cinéaste, toujours aussi modeste, la réussite du film est avant tout attribuable à la qualité du scénario de Taylor Sheridan.

« Dès la lecture, tu comprends que cet homme a fait beaucoup de recherches et qu’il sait de quoi il parle, a-t-il déclaré lors d’une rencontre de presse à laquelle assistaient quelques journalistes. Taylor est un Texan. Il connaît à fond ce milieu, comment il fonctionne, le comportement des agents, leur vocabulaire et, surtout, l’état d’esprit qui anime ces gens. Moi, en fait, j’ai filmé cette culture. »

UN QUESTIONNEMENT ÉTHIQUE

Sicario fait écho aux méthodes utilisées par les différentes agences américaines pour tenter d’enrayer le fléau du trafic de la drogue à la frontière séparant le Mexique des États-Unis. En cela, l’histoire évoque aussi les manquements éthiques découlant d’une doctrine selon laquelle la fin justifie les moyens. Ce questionnement ne pourrait être plus d’actualité.

« Ce film ne porte pas vraiment sur les cartels de la drogue, précise le cinéaste. Il s’intéresse plutôt aux réactions qu’ont les autorités américaines à propos d’événements qui se passent à l’extérieur de leurs frontières. Là, c’est au Mexique, mais cela pourrait tout aussi bien se passer ailleurs. Au Moyen-Orient, notamment. »

Construit autour de trois personnages principaux, le récit relate les trois jours « horribles » que vit Kate (Emily Blunt), une recrue idéaliste du FBI, après avoir été enrôlée pour aider un groupe d’intervention dirigé par un agent du gouvernement (Josh Brolin). La première scène du film indique d’ailleurs comment la jeune femme, spécialisée dans les affaires d’enlèvements, a réussi à se faire remarquer par les autorités.

Il appert pourtant qu’avec l’aide d’un consultant d’origine colombienne (Benicio Del Toro), le groupe s’apprête à exécuter – de façon clandestine – une opération d’envergure afin d’épingler de l’autre côté de la frontière un important caïd de la drogue.

Villeneuve ne lésine sur rien pour faire écho à la plus sauvage des réalités. Son film est dur, macabre parfois, et toujours sous tension. Les accents dramatiques de la trame musicale, signée par le compositeur islandais Jóhann Jóhannsson, installent d’emblée un climat anxiogène.

« Cela dit, je viens du Québec, souligne le réalisateur d’Incendies. Je crois que la force de notre cinéma vient du documentaire. J’ai été élevé en admirant les cinéastes qui affichaient ce sens de l’observation, ce sens du détail. Et qui savaient faire écho à notre réalité. Parfois, j’avais l’impression que tout ce qui concernait les États-Unis dans l’histoire de Sicario était relaté de façon hyper puissante par rapport au reste, notamment ce qui se passe au Mexique. J’ai donc dépouillé cet aspect du récit pour le ramener à un meilleur niveau de réalisme. »

MOINS D’ARGENT POUR LES FEMMES

L’histoire de la fabrication du film fait aussi beaucoup jaser. Doté d’un budget estimé à environ 30 ou 35 millions de dollars, Sicario aurait pu obtenir encore plus d’argent si le scénariste avait accepté de changer le personnage qu’incarne Emily Blunt en homme. Refus tout net.

« Le fait est que nous aurions eu un plus grand budget si le rôle avait été campé par Leonardo Di Caprio ou Brad Pitt, commente Denis Villeneuve. C’est la réalité dans laquelle on vit. Personnellement, les thèmes liés à la condition féminine me touchent. J’aime offrir de beaux rôles à de bonnes actrices et me battre pour qu’il y en ait. C’est ma façon de lutter contre les inégalités. »

Sicario prend l’affiche à Montréal le 25 septembre ; ailleurs au Québec le 2 octobre.

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